Libération

‘’Moderato cantabile’’. C’était l’incantation qu’opposait à la fougue contestataire du jeune historien, revenu pour quelques jours de l’enfer de Gaza, le calme, pondéré, sérieux ,comptable, par ailleurs oncle du premier. Tous deux venus rendre Jonathan, au moins spectateur, au mieux arbitre de leur différence de position. Dans les situations extrêmes, gardons-nous des arguments extrêmes, défendait l’oncle, sûr de lui. Avec pour résultat prévisible, d’exciter encore plus la radicalité du neveu, remonté comme une pendule contre la ‘’mollesse de l’arrière’’.

Et tous deux, le supposé spectateur objectif et l’oncle, malgré tout éberlué, eurent droit à la démonstration implacable d’un point de vue catégorique.

Vous (facteur générationnel, Jonathan se voyait associé dans ce ‘’vous’’ à l’oncle, massif, établi), vous passez à côté de la remise en cause que la modernité impose aux structures du monde  contemporain. En priorité absolue, la libération des deux carcans mortels  que constituent pour le temps présent et pour le futur, la religion et l’histoire. C’est d’une évidence aveuglante, bien sûr, dans cette région, infestée (le mot fit sursauter l’oncle pourtant habitué aux foucades de son neveu), par ce double phénomène. Autant du côté israélien que du palestinien.

La religion. Sa grande tentation, désastreuse, est de s’abstraire de son territoire naturel, celui de la conscience individuelle. Pour prétendre à l’universalité. S’immisçant dans le régulation de la vie publique. Inutile de répertorier. Des révoltes juives contre les Romains, en passant par les Croisades, au conflit de Bosnie-Herzégovine, la liste des guerres, massacres, provoqués par les affrontements religieux serait trop longue. Cette litanie des désastres de société, se complète par le risque de conditionnement de l’intellect personnel. C’est immédiatement visible dans l’enfermement idéologique auquel conduit la pratique religieuse extrême. Des grenouilles de bénitier aux moines tibétains ou aux hordes de zombis noirs de quartiers de Jérusalem. Encore plus visible dans les commandements communautaires qui régissent les fidèles de l’Islam radical.

L’histoire. L’autre grande escroquerie. Je suis bien placé pour en parler dit le jeune historien. L’histoire qui participe, il est vrai, à la connaissance de l’humanité. Mais qui prétend maitriser la connaissance du passé. Selon des sources à fiabilité variable. A travers des faits qui n’existent plus. Sélectionnés selon des critères du présent, à objectivité questionnable. Qui prétend, sur ces base, influencer, sinon diriger le présent. Simple exemple, on voit ici, en Israël, l’histoire vouloir déterminer la géographie. Semi sérieux, semi facétieux, le jeune homme, alla même jusqu’à citer une strophe d’un poème de Jean Cocteau que Jonathan lui avait un jour récité. L’histoire est sage, assise avec l’ennui des sages. / Et tient un livre atroce ouvert sur ses genoux, / Elle mouille son doigt pour décoller des pages / Qui ne parlent jamais de nous.

Cette nécessité, la libération de ces deux carcans, vaut pour le monde entier. Mais en tout égoïsme, il est impératif qu’elle intervienne ici. Car c’est bien ici que religion et histoire conjuguent leurs pouvoirs d’influence, pour charger le présent de leur poids insupportable. L’histoire longue que les suprémaciste israéliens utilisent pour revendiquer une supposée prééminence géographique. L’histoire courte que les Palestiniens exploitent pour revendiquer le retour à un passé devenu  totalement mythique. La religion, qui instrumentalisée dans le cadre de son invasion dans le système politique aboutit à déformer dans l’extrémisme l’ensemble de la société israélienne. Qui, intégrée dans le messianisme islamiste le plus radicalisé, aboutit à jeter les Palestiniens dans l’univers de l’inhumanité la plus absolue.

Libération, qui n’ira pas d’elle-même. Car elle exigera que la société du présent se débarrasse de la société du passé. Historique et religieux. Des deux côtés. Sur le plan historique, devront être remplacés les politicards actuels, des deux bords, porteurs des vieilles lunes des temps passés. Sur le plan religieux, la règle de la séparation de la synagogue et de l’Etat devra être imposée en Israël. Et l’Islam palestinien devra se séparer de tout rattachement à l’extrémisme et à la radicalité. Un grand remplacement qui devra également s’appliquer à un univers militaire hypertrophié et enkysté dans ses pratiques.

Vaste programme ! murmura Jonathan, regardant du coin de l’œil, son ami comptable, visiblement sous le coup des déclarations exaltées de son neveu. Qui, ignorant la vague ironie cachée derrière la remarque, fit mine de la recevoir comme une approbation.

Exactement, fit-il. La vie, c’est le présent. C’est l’instant sans cesse réinventé. Suffisamment compliqué pour que nous ne soyons encombré d’un héritage, historique ou religieux, qui prétend nous imposer son poids. S’il faut être extrême, il le faut. Pour aussi libérer les forces de la paix sur celles de la guerre. Pour renforcer le dialogue et le partage plutôt que l’affrontement, aussi automatique que stérile.

‘’Cantabile sans moderato’’, en somme conclut Jonathan, tout guilleret.

 

à propos de l'auteur
Fort d'un triple héritage, celui d'une famille nombreuse, provinciale, juive, ouverte, d'un professeur de philosophie iconoclaste, universaliste, de la fréquentation constante des grands écrivains, l'auteur a suivi un parcours professionnel de détecteurs d'identités collectives avec son agence Orchestra, puis en conseil indépendant. Partageant maintenant son temps entre Paris et Tel Aviv, il a publié, ''Identitude'', pastiches d'expériences identitaires, ''Schlemil'', théâtralisation de thèmes sociaux, ''Francitude/Europitude'', ''Israélitude'', romantisation d'études d'identité, ''Peillardesque'', répertoire de citations, ''Peillardise'', notes de cours, liés à E. Peillet, son professeur. Observateur parfois amusé, parfois engagé des choses et des gens du temps qui passe, il écrit à travers son personnage porte-parole, Jonathan, des articles, repris dans une série de recueils, ''Jonathanituides'' 1 -2 - 3 - 4.
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