L’Histoire, la Grèce et la Bible
A l’heure où j’écris ces lignes, le cessez-le-feu est survenu entre Israel et Gaza. Ce n’est pas le premier. On peut craindre que ce ne soit pas le dernier.
Chacun sait qu’il n’y a pas encore de véritable paix. Chacun sait aussi que si cette Paix aura un coût, comme la Vie elle-même, elle n’a pas de prix. Peut-on s’accorder sur quelques propositions ?
Proposition 1 : en Israël, l’armée sert à protéger les civils et les enfants. A Gaza, les enfants et les journalistes servent de bouclier au Hamas. Nous ne serions simplement plus là pour en discuter si les forces avaient été inversées, ou si le Dôme de Fer n’avait pas existé.
Proposition 2 : Refuser l’existence aux juifs en tant que nation et refuser la vie aux juifs en tant qu’individus sont des propositions identiques. L’antisionisme est l’autre nom de l’antisémitisme. Cette équivalence est une évidence et un truisme.
Proposition 3 : L’indignation sélective, qui ne dénonce que les situations dans lesquelles des juifs sont impliqués, est le symptôme, sournois et hypocrite, du syndrome antisioniste.
Proposition 4 : Combattre l’intégrisme islamique est accepté pour toutes les démocraties SAUF pour Israël, ce petit état de survivants résilients qui dérange tant. Cette singularité est un autre symptôme de ce même syndrome.
Proposition 5 : Le prix d’une roquette équivalent à celui de 5,000 vaccins contre le Covid 19, ne pas lancer quelques milliers de roquettes aurait permis au Hamas de vacciner 20,000,000 personnes, soit 3 fois TOUS les Palestiniens qui vivent a Gaza, en Judée et en Samarie.
Proposition 6 : Dans un monde où tous sont connectés, chacun peut dire n’importe quoi, et la vérité est mise au même niveau que le mensonge. Il faut donc rappeler que Gaza n’est plus occupée par Israël depuis le retrait unilatéral ordonné par Ariel Sharon.
Proposition 7 : En corollaire, si Gaza n’est pas sous occupation, et si les gigantesques montants alloués par la Qatar et la Turquie, l’Iran et l’Europe n’avaient pas servi aux roquettes, Gaza aurait pu consacrer ces sommes à des projets constructifs et pacifiques pour tenter de devenir un autre Singapour, dont elle partage à peu près la superficie.
Proposition 8 : L’Europe, dans un savant mélange et une alchimie contradictoire, associe antisémitisme séculaire et culpabilité secondaire à la Shoah, volonté de se dédouaner de 2,000 ans de persécutions et de s’amadouer l’islam des rues. Avec effronterie, elle parle d’apartheid au moment où entre en place un gouvernement israélien qui inclut un parti islamiste, sans se demander pourquoi un parti sioniste est inconcevable en terre d’Islam.
Proposition 9 : Comme un virus qui mute, l’antisémitisme a successivement revêtu divers attributs : racial pour les nazis, économique pour les communistes, religieux pour les catholiques. L’antisionisme, récente mutation de l’antisémitisme, en est la version nationale, qui permet de réunir les attributs précédents en une nouvelle forme adaptée a l’islamogauchisme clientéliste.
Proposition 10 : Le mode de fonctionnement de cet antisionisme-antisémitisme a été analytiquement défini par Nathan Sharanski, dans la règle des 3D.
D1 : Double standard. Ce qui est vrai pour les autres ne l’est pas pour les Juifs, et inversement.
D2 : Diabolisation. Les Juifs sont coupables par définition, de manière axiomatique et postulatoire.
D3 : Dégélitimation. Les Juifs n’ont pas le droit d’être en Israël, ou de s’y défendre, ce qui revient au même.
Comme ils n’ont pas le droit d’être ailleurs non plus, pour les tenants de cette attitude, se pose une question indécidable.
Les gens n’ont-ils donc rien appris de l’Histoire ?
L’Histoire ne se répète pas. Elle se déroule en se renouvelant. Elle bégaye.
Ni linéaire, comme si le passé n’importait pas, et que le futur n’était qu’une course folle vers un avenir déterminé.
Ni circulaire, comme si le passé se répétait sans innover, et que le Destin était écrit une fois pour toutes.
Elle est hélicoïdale et spiralée, revenant sur elle-même, mais se renouvelant sans cesse. Elle est comme la femme aimée du poème de Verlaine, toujours la même mais toujours une autre.
L’Histoire n’est pas écrite d’avance parce que les Hommes la réécrivent à chaque instant.
Elle est donc ontologiquement indéterminée.
Et si son étude ne permet pas de prévenir le futur, au moins permet-elle de dégager quelque Sagesse.
C’est ainsi qu’on peut s’abreuver aux deux sources qui ont nourri notre civilisation occidentale : la Bible et la Grèce.
On peut y choisir quelques héros emblématiques, dont l’exemple peut nous aider a dégager un sens dans les moments dramatiques que nous traversons.
La Bible d’abord. Joseph, Moïse, David.
Parce qu’il représente la force conquérante qui séduit la jeunesse, parce qu’il fonde la Nation Juive, David est le héros de mes 20 ans.
Parce qu’il représente la Libération du Peuple juif, et sa naissance dans la douleur, parce qu’il est l’accoucheur du Peuple juif, Moïse est mon préféré à 35 ans.
Moïse est à l’origine des deux idées originelles et fondatrices de l’Occident, la Libération plutôt que la soumission (la Sortie d’Egypte), et la Loi plutôt que l’autoritarisme arbitraire (le don de la Loi au Sinaï) .
Pourtant à 50 ans, c’est Joseph mon préféré. Trahi par ses frères, enlevé à son père Jacob, emprisonné par Pharaon, déterminé, résilient, et magnanime, il surmonte toutes les difficultés, réagit à toutes les épreuves, et ne se laisse abattre par rien.
Il est l’auteur de sa propre histoire. Quand il tombe, c’est toujours pour se relever. Et relever les autres par la même occasion.
La Grèce ensuite. Prométhée, Antigone , Ulysse.
A 20 ans, Prométhée est mon préféré, il préfigure la maîtrise des hommes sur la nature. Il anticipe symboliquement le Pouvoir qu’apportera plus tard la Science et la Technique. Le Savoir et Le Pouvoir.
A 35 ans, Antigone est ma préférée. En résistant à l’autorité, ne se soumettant qu’à sa morale personnelle, elle symbolise la primauté de la Conscience sur la Loi. Elle introduit l’Ethique.
Pourtant à 50 ans, Ulysse sera mon préféré. Lors de la Guerre de Troie, chacun est dans son droit et tous ont tort. Les raisons des uns valent celles des autres. Tout est gris clair ou gris foncé, mais jamais noir et blanc. La ruse d’Ulysse lui permet de dépasser la force d’Ajax ou la vaillance d’Achille. Sa détermination lui permet de vaincre les obstacles mis sur sa route pour retrouver Ithaque et Pénélope.
Joseph et Ulysse. Similitude de Destin. Héros modernes. Résilience et détermination. Ténacité et persévérance. Ne jamais renoncer. Survivre à tout. C’est aussi le message que j’ai reçu de mon père, seul rescapé de sa famille, dont la déportation par les nazis a été marquante dans la formation de mon caractère.
Gaza et Israël. La Grèce et la Bible. Joseph et Ulysse.
Mais quel rapport avec le conflit actuel ? Quels exemples nous donnent-ils ?
Nous aspirons à la paix, à la tolérance réciproque, au respect mutuel.
Nous aurions préféré que nos enfants et petits-enfants soient préservés, et qu’en place de servir l’armée, ils apprennent le tennis ou le piano.
Mais avec qui faire cette paix ? Y a-t-il quelqu’un en face ? La paix avec soi-même, qui est d’ordre psychologique, peut être décrétée unilatéralement. Mais la paix avec l’autre, qui est d’ordre politique, nécessite l’existence d’un adversaire capable de se transformer en partenaire. Or ce partenaire absent se fait encore et toujours attendre.
Nul n’est parfait, et nous avons parfois fait des erreurs.
Nous nous sommes souvent raidis, mais le peuple à la nuque raide, comme nous décrit la Bible, attend encore une main qui vienne prendre celle que nous voulons bien tendre.
Nous l’attendons encore…
Pourtant, traversant tous ces obstacles, malgré les pseudo-vérites, les vraies désillusions et les fausses victoires, il faudra bien l’atteindre cette paix qui, comme l’horizon, s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en approche.
Alors, même si nous avons vaincu avec la force de David et la puissance de Prométhée, même si nous avons donné la suprématie au droit sur l’arbitraire, et à la lumière sur l’obscurantisme, il nous faudra la ruse d’Ulysse, en même temps que la résilience et la magnanimité de Joseph.
Il nous faudra la ténacité de l’un et la persévérance de l’autre.
Nous les aurons évidemment. Nous n’avons pas d’autre choix.
Survivre est notre deuxième nature.
Il n’y a pas d’alternative.