L’explosion de l’antisémitisme ne remonte pas au 7 octobre
Vendredi 17 mai, vers 6h45, un homme a tenté de mettre le feu à la synagogue de Rouen. Depuis, la plupart des commentateurs rappellent que l’attaque du 7 octobre perpétrée par le Hamas et les opérations militaires lancées par Israël dans la bande de Gaza en représailles ont suscité une forte augmentation des actes antisémites en France.
En 2023, le ministère de l’Intérieur et le Service de Protection de la Communauté Juive ont en effet comptabilisé 1676 actes antisémites contre 436 en 2022, soit 1000 % d’augmentation après le 7 octobre. Pour rappel, 60 % de ces actes portent atteinte principalement aux personnes (violences physiques, propos ou gestes menaçants…) et 40 % sont des propos menaçants. Ils ont été recensés dans 616 villes ou communes différentes et dans 95 des 101 départements français.
Le 6 mai 2024, lors du dîner annuel du Crif, Gabriel Attal a également dévoilé que 336 actes antisémites ont été perpétrés depuis le 1er janvier 2024. Soit une hausse de 300 % par rapport aux trois premiers mois de l’année 2023. Les chiffres des actes antisémites sont donc au plus haut depuis le 7 octobre 2023, pour un total de 2012 actes antisémites en l’espace de 15 mois. Cependant, il serait totalement erroné de penser que cette explosion d’antisémitisme ne remonterait qu’au 7 octobre. Des menaces et des violences secouent la communauté juive, ponctuellement, régulièrement, durablement – faisant des lieux de culte et des écoles, des fidèles, de certains responsables ou membres de la communauté juive autant de cibles, dès octobre 2000.
Les raisons en sont multiples. Il existe une transversalité de l’antisémitisme. Tout d’abord, cette haine s’appuie toujours sur l’ancienneté de préjugés. Ensuite, l’antisémitisme s’adapte à l’actualité. Justement, ces dernières années, ce dernier s’est développé durant la crise financière de 2008 et on a pu le voir émerger chez une frange des gilets jaunes. Il y eut également une séquence d’antisémitisme pendant la pandémie de Covid, lorsque des militants d’extrême droite s’en sont pris à des personnalités juives sur certaines plateformes et les réseaux sociaux. Mais, depuis quelques années, certaines voix utilisent le conflit israélo-palestinien pour faire se réveiller et exploser l’antisémitisme, pendant que d’autres se donnent le droit de haïr tous les juifs parce qu’ils haïssent Israël.
En France, tout commence le 1er octobre 2000
Et ce rappel historique paraît nécessaire. D’octobre 2000 à la fin de l’année 2022, nous comptabilisons 744 actes en 2000, 936 en 2002, 974 en 2004, 832 en 2009, 614 en 2012, 851 en 2014, 808 en 2015, 687 actes en 2019. Toutes ces hausses interviennent lors des soubresauts du conflit israélo-palestinien, qui se déroule pourtant à 3500 kilomètres de nos frontières. Mais, tout commence réellement le 1er octobre 2000 et se poursuit jusqu’en décembre 2022, avec 13 091 actes antisémites comptabilisés en France, à la suite de plaintes ou de signalements à la police. Si nous ajoutons les 2042 actes depuis le 1er janvier 2023, nous en sommes à un total affligeant de 15128 actes antisémites perpétrés depuis octobre 2000. C’est énorme.
Dès le début de la Seconde Intifada, une violence antisémite déferle dans plusieurs démocraties occidentales. Rien qu’en France, les deux premières semaines du mois d’octobre 2000 sont marquées par une succession frénétique d’actes antisémites. Qu’on en juge : Tout commence le 1er octobre 2000, alors que des fidèles sortent de la synagogue d’Aubervilliers. Une petite voiture se met à foncer brusquement sur eux. Les gens s’écartent, il n’y a aucun blessé et la voiture s’éloigne rapidement. La police se rend sur place mais repart très vite. Quelques heures plus tard, les fidèles présents dans la synagogue sont aspergés d’un liquide projeté depuis l’aire de jeux mitoyenne. Affolés, ils sortent en panique.
Dans la semaine du 2 octobre 2000, une synagogue du XIXe arrondissement de Paris reçoit des menaces et des insultes téléphoniques. Une bouteille incendiaire est lancée dans l’enceinte de la synagogue. Dans la nuit du 3 au 4 octobre 2000, un engin incendiaire est projeté sur celle de Villepinte. Les 4 et 5, des élèves se font agresser à la sortie de l’école Ohr Yossef, dans le XIXe à Paris.
Le vendredi 6, des jeunes de l’école juive Gaston-Tenoudji de Saint-Ouen reçoivent des pierres et sont insultés. Le 7, un cocktail Molotov est lancé dans un restaurant casher parisien. Et, durant l’office, un inconnu en jette un autre à l’intérieur de la cour de l’école Chné Or d’Aubervilliers. Le dimanche 8 octobre, ce même type d’explosif atteint la synagogue de Clichy-sous-Bois, tandis qu’au cimetière de Trappes, les tombes juives sont profanées, les veilleuses arrachées et des pots de fleurs cassés. Le même jour, trois cocktails Molotov sont lancés sur la synagogue des Ulis. Le premier niveau de la synagogue est entièrement ravagé, le rabbin monte au premier étage et échappe ainsi à la mort.
À Trappes toujours, la synagogue est complètement dévastée par un incendie. Quelques jours plus tard, le rabbin de la synagogue de Creil est victime d’injures racistes. Deux engins incendiaires sont lancés contre l’édifice, et plusieurs fidèles, à la sortie de l’office, sont la cible d’injures racistes. Le lendemain, deux appartements sont incendiés à Choisy-le-Roi (Val-de-Marne). À Paris, une personne qui portait un pendentif se fait agresser et frapper par un homme « de type nord-africain », près de la station de métro Pyrénées.
Une menace pour la République
La nuit du 12 au 13 octobre 2000, un ou plusieurs individus cassent deux vitres de la synagogue de Bondy et lancent un ou plusieurs engins incendiaires dans la synagogue. Une pièce de 30 m² brûle entièrement. Dans la capitale, la porte d’une synagogue du XXe arrondissement est incendiée à une heure du matin. Le soir, un cocktail Molotov est lancé sur l’école Tenoudji de Saint-Ouen, au moment même où dix personnes cagoulées (un commando) et armées de battes de baseball et de barres de fer lancent des pierres et incendient la porte d’un particulier de Choisy-le-Roi en jetant un objet incendiaire.
Dans la nuit du 13 au 14 octobre 2000, quarante personnes scandent des slogans antisémites dans le XIXe arrondissement de Paris. Deux personnes portent sur elles des cocktails Molotov. À la même heure, deux bouteilles incendiaires sont lancées sur la synagogue de Chevilly-Larue. À Villeneuve-la-Garenne, près de Paris, les incidents se multiplient : injures et menaces, agressions de fidèles rentrant chez eux après l’office, jet de pots de fleurs sur les fidèles depuis des appartements. Trois personnes sont poursuivies par des jeunes cagoulés, qui leur jettent des pierres et profèrent des injures antisémites.
Dans la nuit du 15 au 16, à Meudon, deux cocktails Molotov sont lancés contre la synagogue, qui fait également office de centre communautaire. L’un explose, l’autre pas. Quelqu’un qui se trouvait là aurait crié « Allah Akbar », avant d’être arrêté par la police pour interrogatoire.
Comme quoi, la tentative d’incendie perpétrée contre la synagogue de Rouen ce vendredi 17 mai n’est qu’un épisode parmi d’autres, d’une longue liste. C’est pourquoi il importe de remettre en perspective historique le sujet afin de bien comprendre les enjeux et de mesurer avec exactitude les craintes suscitées dans notre pays par cette flambée.
On ne le répètera jamais assez, l’antisémitisme ne menace pas que les Français de confession juive, il est une menace pour la République.
Tribune publiée sur l’EXPRESS le 18/05/2024. Avec l’aimable autorisation de l’auteur.