Lettre ouverte du Beit Haverim aux candidats à la presidence du Consistoire

Lettre ouverte du Beit Haverim, groupe juif gay et Lesbien, aux candidats a la presidence du Consistoire

Chère Evelyne Gougenheim, Cher Joël Mergui,

Vous êtes tous deux candidats à la présidence du Consistoire, et nous vous félicitons pour cet acte d’engagement fort pour la communauté.

Nous sommes le Beit Haverim : le groupe Juif français LGBT qui existe depuis 1977, près de 40 ans.

Par « LGBT », il faut comprendre « Lesbien, Gay, Bisexuel et Transsexuel. »

Les LGBT Juifs concernent plusieurs dizaines de milliers d’hommes et de femmes, au bas mot, en France.

Cela signifie que, dans votre entourage, vous avez tous un jour côtoyé une personne LGBT sans forcément le savoir.

Il est un fait que beaucoup d’entre elles se cachent, par peur du rejet.

Ceci génère une souffrance que nous déplorons.

Nous vous écrivons à ce titre. Dans votre programme, quelles actions concrètes prévoyez-vous pour nous ?

En effet, nous représentons l’un des derniers tabous de la communauté, étant entendu que « ça n’existe pas chez nous », et que « c’est formellement condamné par la Torah.»

De fait, nous sommes discriminés :

  • Des juifs gays sont rejetés de certaines synagogues.
  • Des pères se voient refuser l’accès à la Téba pour la Bar-Mitzvah de leur fils.
  • Des formations liées aux problématiques de l’homophobie ne sont pas dispensées aux rabbins, moyennant quoi les rabbins ne sont ni préparés ni sensibilisés sur cette question.
  • Des écoles et des lycées juifs ne se sont toujours pas, à ce jour, alignées sur l’agenda de l’Education Nationale (et de certains établissements confessionnels) qui ont ouvert leurs portes à l’intervention ponctuelle d’une délégation LGBT permettant aux enfants de comprendre ce qu’est altérité sexuelle et de comprendre en quoi il est essentiel de respecter l’Autre dans sa différence – alors même qu’une telle action pédagogique ne promeut en rien l’homosexualité et ne contrevient nullement à l’instruction religieuse des élèves !

Autant d’éléments qui ne relèvent pas, hélas, de l’anecdote. Ce sont bien au contraire des questions de fond qu’il devient urgent de mettre sur la table car elles contribuent durablement au rejet des Juifs LGBT et provoquent un profond malaise dans la communauté.

Les rabbins consistoriaux ne cessent de nous dire : «Nous condamnons seulement l’acte mais les homosexuels sont les bienvenus».

Comment serions-nous les bienvenus, si nous devons nous cacher par peur du scandale ?

Il y a quelques années, le Grand Rabbin de France signait un document condamnant l’homophobie.

Mais depuis, qu’a fait le Consistoire ? Comment ce message a-t-il été relayé ?

A notre niveau, rien n’a changé…

Nous sommes pourtant des Juifs comme les autres. Nous sommes laïques, traditionnels, orthodoxes ou libéraux. Nous mangeons casher ou pas. Beaucoup d’entre nous jeûnons à Kippour. Nous avons perdu des membres de notre famille durant la Shoah.

Nous sommes fiers d’Israël qui, entre autres choses, fait figure de pays pionnier et progressiste en termes de droits LGBT.

L’an dernier, lors de l’assassinat d’une jeune adolescente, Shira, à la Gay Pride de Jérusalem, le Grand Rabbin Haïm Korsia a posté un message de condoléances sur Facebook.

Nous avons salué ce geste, qui donna lieu toutefois à une avalanche de messages homophobes émanant de notre communauté – lesquels messages n’ont jamais été censurés.

Ils étaient pourtant à vomir.

Où est donc passé l’esprit de tolérance, de respect et d’humanisme qui devrait guider notre communauté, à chacun de ses pas ? De par son Histoire, notre peuple sait mieux que quiconque ce qu’est l’injustice…
Il est d’ailleurs édifiant que notre association, dont la maison est située près de Gare du Nord, ne fasse l’objet d’aucun dispositif de sécurité de la communauté.

Ne sommes-nous pas d’autant plus menacés, en tant que Juifs et gays??

Que faut-il en conclure ? Que notre sang a moins de valeur ?

C’est évidemment impensable.

Que notre sexualité soit ou non condamnée par la Torah (nous ne souhaitons pas ouvrir le débat ici), de nombreux Juifs transgressent quotidiennement la Halakha : certains mangent du porc, d’autres prennent la voiture à Shabbat, d’autres volent, des hommes battent leurs femmes, d’autres encore déshonorent leurs pères et mères. Voire pire.

Ne sont-ce pas là des actes nettement plus condamnables qu’une orientation sexuelle que, par définition, nous n’avons pas choisie ?
Nous ne sommes pas des monstres, des pervers. Nous ne sommes pas contagieux.

Nous sommes des gens respectables, issues de familles respectables.

Nous permettons à des personnes précarisées, en raison d’une rupture familiale ou communautaire, de renouer avec la religion et de repenser leur judéité de façon sereine.

Nous sommes, comme vous, à la recherche de l’amour, de l’équilibre et d’une place dans la société.

Nous avons appris à porter fièrement notre double identité, juive et LGBT, malgré les traditions.

Mais nous attendons aujourd’hui quelque chose de vous.

Nous souhaiterions connaître vos positions sur les thèmes suivants :

  • La lutte nécessaire contre l’homophobie
  • La question de notre sécurité et de notre intégrité
  • La levée du tabou nous concernant
  • La prévention de toute discrimination par des interventions que ce soit dans le cadre scolaire ou rabbinique
  • L’importance d’une prise de parole publique du Consistoire qui, seule, pourrait venir à bout de tant d’idées préconçues et dévastatrices

En un mot : le respect auquel nous avons droit.

Car il s’agit bien de cela, au fond, et vous le savez.

Nous ne vous demandons pas la lune, simplement de reconnaître notre existence et notre réalité.

Pourrions-nous, dans ce sens, nous rencontrer pour en parler de vive voix ?

Si nous sollicitons cet entretien, c’est que la communauté Juive de France a besoin de tous ses membres.

Le peuple Juif est l’équipage d’un même voilier voguant au gré de chaque mitzvah.

C’est ainsi : nous sommes liés par nos actions.

Aussi sortirons-nous grandis de cet acte d’ouverture et d’acceptation.

Une fois encore, cela mettra en évidence la beauté des valeurs du Judaïsme : une beauté vivante, réjouissante, qui ne s’est jamais éteinte.
Ne nous rejetez plus !

Nous avons besoin de vous.

BEIT HAVERIM

à propos de l'auteur
Alain Beit est président du Beit Haverim , groupe juif LGBT, depuis a 4 ans. Issue d'une famille traditionnelle, il defend les droits des LGBT juifs dans la communauté française. Il a participé à la rédaction du livre "Judaïsme et Homosexualité : 40 ans d'histoire avec le Beit Haverim"
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