Lettre ouverte au Président de la République
Lettre ouverte au Président de la République
Le 19 décembre, un affront pour les Français juifs et pour la République
Monsieur le Président de la République,
Quand le destin s’acharne, la compréhension humaine trouve ses limites. Au crime abject dont fut victime Sarah Halimi la nuit du 3 au 4 avril 2017, torturée puis défenestrée par son voisin Kobili Traoré aux cris d’Alla Akbar, la réponse de la justice le 19 décembre 2019 n’a fait qu’accentuer la douleur de la famille, le désarroi de la communauté juive et le choc pour tout le pays. En ce jour de la honte, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris décidait que du fait de sa consommation de cannabis avant son passage à l’acte, le discernement de Traoré avait été aboli et qu’il n’était donc pas pénalement responsable de ce crime qualifié d’antisémite. Il ne serait pas jugé.
Le 16 juillet 2017, lors de la commémoration de la rafle du Veld’Hiv, vous demandiez Monsieur le Président que « toute la clarté soit faite » sur ce crime. La justice ne vous a pas entendu.
Une décision de justice ne se commente pas, mais ici, les questions qu’elle soulève vont bien au-delà de l’affaire elle-même. Cette décision des juges constitue un affront pour les Français juifs et pour la République. Le risque de jurisprudence folle que cette décision peut créer suscite les plus grandes craintes pour l’avenir. Pourquoi la consommation de stupéfiants constitue-t-elle dans les autres cas de délits et de crimes un facteur aggravant, alors qu’elle serait considérée comme un facteur atténuant, et plus encore, comme un facteur d’excuse, dans le cas de l’assassinat d’une vielle dame juive ? La confiance dans la justice est un pilier central de notre pacte social et républicain. Le 19 décembre a ouvert une brèche dangereuse pour la répétition de l’inconcevable.
Pour que Sarah Halimi ne soit pas assassinée une seconde fois par l’indifférence et le déni, pour que sa famille puisse faire son deuil et pour que les Français juifs et la République parviennent à refermer cette plaie laissée ouverte, nous attendons de la cour de cassation qui a été saisie qu’elle permette le jugement du meurtrier de Sarah Halimi comme un Etat de droit a le devoir de l’exiger.
Mais au-delà, cette décision s’inscrit dans un climat déjà pesant et éprouvant pour les Français juifs. Les actes antisémites se multiplient et se banalisent, faisant naitre dans la communauté juive un sentiment croissant d’inquiétude et d’abandon. C’est peu de dire, monsieur le Président, que dans un tel contexte, les Français juifs ont accueilli la décision du 19 décembre comme un nouveau signal négatif dans la capacité, ou la volonté, de notre société à lutter contre l’antisémitisme, et comme une preuve supplémentaire, s’il en fallait, de l’indifférence face à ce combat.
Comme vous le savez Monsieur le Président, les actes antisémites sont en forte progression alors que l’antisémitisme traditionnel revêt si souvent, comme vous l’avez-vous-même souligné, les habits neufs de l’antisionisme. Cet antisionisme peut s’exprimer librement dans notre pays à l’image des appels répétés au boycott d’Israël, malgré une législation l’interdisant mais qui demeure non appliquée avec les effets que l’on connait. C’est dans ce contexte que la résolution contre l’antisémitisme reprenant la définition de l’IHRA, que vous aviez appelé à être adoptée par la France, a été votée par l’Assemblée nationale. Si l’on doit se réjouir de ce vote, on ne peut que regretter qu’il se soit déroulé en l’absence des deux tiers des députés. Un tel absentéisme pour un texte certes non contraignant mais au symbole si important est lourd de sens dans le contexte actuel.
Comme vous le savez monsieur le Président, la vie de nombreux Français juifs devient si difficile dans certains territoires perdus de la République qu’ils sont obligés de quitter leurs lieux de vie pour protéger leurs enfants. Là encore, l’inconcevable est toléré. Vous aviez proposé, lors du dernier diner du Crif, un audit sur l’antisémitisme à l’école, notamment dans certains quartiers où la présence d’élèves juifs, comme l’enseignement de la Shoah, sont devenus impossibles. Les résultats de cet audit seraient fort utiles pour lutter contre cette propagation de la haine anti-juive à l’école, lieu essentiel s’il en est pour combattre le mal. Nous attendons ces résultats.
Comme vous le savez monsieur le Président, des militants de la haine peuvent cracher leur venin antisémite et négationniste lors de pseudo-spectacles ou sur les réseaux sociaux, être condamnés pour cela, et ne pas voir leur peine être appliquée. Et que dire de ces élus de la République qui expriment les pires thèses complotistes anti-juives, souillant l’écharpe tricolore qu’ils arborent, sans en être inquiétés ?
Cette spirale de la haine antisémite qui emporte notre pays vers des abymes dont l’histoire nous a montré l’horreur quand le laisser-faire l’emporte sur le combat doit être stoppée.
Le B’nai B’rith France, membre du B’nai B’rith International, la plus ancienne et la plus importante organisation humanitaire juive dans le monde, présente dans 50 pays et dans toutes les régions en France, est particulièrement préoccupé par cette banalisation de l’antisémitisme et fait de ce combat contre la haine anti-juive et pour la défense des valeurs de la République une priorité absolue.
Votre volonté Monsieur le Président de lutter contre l’antisémitisme est incontestable. Certains des propos forts que vous avez prononcés restent dans nos mémoires. Pour autant, la montée inexorable de cet antisémitisme aux multiples facettes, émanant des extrémismes de tous bords, des populismes et de l’islamisme politique, et qui reflète la haine de la République et de ses valeurs, nécessite aujourd’hui un sursaut national massif, un courage politique sans compromis et sans calcul, et une volonté partagée sans faille à tous les niveaux de la société. Nous attendons que de véritables actions de lutte contre la haine anti-juive sous toutes ses formes soient prises, au-delà des mots, des discours et des condamnations.
Monsieur le Président, pour que les Français juifs puissent continuer à contribuer à la grandeur, à la réussite et au rayonnement de la nation et de la République, comme ils s’y emploient avec loyauté depuis 1791, nous attendons simplement que notre avenir et celui de nos enfants y soit garanti. Il y a quelques années de cela, cette question ne se posait pas. Aujourd’hui, elle est réelle et légitime. Depuis le 19 décembre, elle résonne avec encore plus de force et d’écho. Nous attendons Monsieur le Président, avec impatience mais aussi avec confiance, que vous lui apportiez une réponse sans appel à la hauteur des doutes et des inquiétudes qu’elle suscite en chacun de nous.
Respectueusement,
Philippe MEYER
Président du B’nai B’rith France