Lettre ouverte à Monsieur Matthias Fekl, ministre de l’Intérieur
Monsieur le Ministre,
C’est avec stupeur que j’ai appris l’autorisation par le préfet de police de Paris d’une manifestation pour appeler au « boycott d’Israël » et à la « séparation du CRIF et de l’Etat » samedi prochain devant Beaubourg.
Organisé par un collectif d’associations antisionistes, voire racistes ou appelant au boycott illégal d’Israël, ce rassemblement n’a qu’un objet: exprimer en plein Paris la haine d’Israël et des Juifs.
Alors que nous sommes en état d’urgence, que 250 de nos compatriotes ont été assassinés en un an et demi, que les Français juifs figurent au premier rang des cibles des djihadistes, qu’on a tué à Toulouse et à l’Hyper Casher au nom de la haine d’Israël, que la société française est plus fracturée que jamais, notre pays ne peut tolérer pareils débordements. Il faut interdire cette manifestation sur le champ, avant qu’il ne soit trop tard.
Il faut interdire cette manifestation car l’antisémitisme aujourd’hui en France se nourrit d’abord de la haine d’Israël. Cette haine se drape dans l’habit politiquement correct du soutien à la cause palestinienne et de la campagne d’appel au boycott dite « BDS ».
Or, l’appel au boycott est illégal en France comme l’a jugé sans ambiguïté la cour de cassation le 20 octobre 2015. Dans le cas d’Israël, ce n’est pas seulement illégal, c’est un acte politique d’une extrême gravité. Je me permets respectueusement de vous rappeler que le génocide des Juifs d’Europe par les Nazis a commencé par des appels au boycott des « produits et commerces juifs ». Retenons les leçons de l’Histoire!
Plus encore, cette haine tue aujourd’hui dans notre pays. Ce n’est pas un hasard, loin s’en faut, si c’est un supermarché casher qu’Amedy C. a pris pour cible le 9 janvier 2015. Haine d’Israël, haine des Juifs, haine de la France aussi. Là encore, tirons les enseignements de l’expérience: on a commencé par tuer des Juifs puis des militaires, des policiers, des journalistes avant d’attaquer tous les Français sans distinction. On en est là.
Monsieur le Ministre, il faut interdire cette manifestation car il est de votre responsabilité de préserver l’ordre républicain. Je me souviens parfaitement de vos paroles le 28 janvier 2014 suite au « jour de colère ». Alors député du Lot-et-Garonne, vous interpelliez le gouvernement pour dénoncer, je cite, le défilé d’une « nébuleuse de la haine […]. Des antisémites, des intégristes, des négationnistes, des fanatiques, […] des adeptes de la quenelle, […] ».
Ouvrez les yeux, qui à votre avis défilera dans une manifestation pour la « séparation du CRIF et de l’Etat »? Vous ajoutiez alors justement: « la critique du pouvoir est toujours légitime en démocratie, mais pas la haine à l’état pur contre les Juifs […] ». C’est exactement la même chose.
Je voudrais citer l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter, qui avait très opportunément souligné: jusqu’au « jour de colère » et depuis les jours sombres de l’Occupation, jamais on n’avait scandé « les juifs dehors » en plein Paris. Et pourtant! Quelques mois plus tard, le 13 juillet 2014, en marge d’une manifestation prétendument pro-palestinienne, la Synagogue de la rue de la Roquette a été chargée par des dizaines d’individus au cri de « mort aux juifs » et des commerces tenus par des Français juifs ont été mis à sac à Sarcelles.
Six jours après, le 19 juillet, une manifestation pro-Hamas, pourtant interdite, avait rassemblé des dizaines de milliers de personnes et dégénéré dans le quartier à Barbès-Rochechouart. On se souvient tous de ces images terrifiantes de dégradations sauvages du mobilier public et d’agressions ultra-violentes contre les forces de l’ordre.
Nul doute que ces images ont durablement discrédité l’Etat et fait le lit du Front national comme de tous les populismes. Est-ce cela que l’on veut à quelques semaines d’une élection présidentielle sous haute tension? La République ne tolère pas l’expression publique de la haine, ni l’Etat de tels déchaînements de violence.
Il faut interdire cette manifestation, enfin, pour en finir avec le double langage des gouvernements successifs de François Hollande, qui ne cesse d’abaisser le discours publique et menace l’existence même de notre République. Les Français n’en peuvent plus que la parole politique ne soit pas suivie d’effets!
On ne peut d’un côté, comme l’ancien Premier ministre Manuel Valls, le 13 janvier 2015, au lendemain des attentats, affirmer devant la Représentation nationale qu' »il y a surtout ce nouvel antisémitisme qui est né dans nos quartiers, […] sur fond des détestations de l’Etat d’Israël, et qui prône la haine du juif […] » et faire exactement l’inverse en tolérant de telles manifestations, dont l’objet même est illégal, et qui ont précisément pour vocation de fédérer toutes ces « détestations » d’Israël.
Je pourrais multiplier les exemples à l’infini, je citerai simplement le cas de cette résolution absurde de l’UNESCO niant les liens historiques entre le peuple juif et Jérusalem, pour laquelle la France a voté une première fois en avril 2016 avant de s’abstenir quelques mois plus tard, alors que la premier ministre l’avait dénoncée devant l’Assemblée nationale. Comme je l’ai dit directement lors de la séance des questions au gouvernement le 2 novembre 2016 : « paroles, paroles, toujours des paroles… »
Monsieur le Ministre, la faiblesse et l’indécision sont en train de tuer notre République, comme en témoignent la montée en puissance des extrêmes, la propagation de l’islamisme, l’explosion des thèses complotistes, tous unis par une obsession commune : la haine d’Israël et des Juifs. C’est pourquoi, une fois encore, je vous demande solennellement d’interdire cette manifestation.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.