Lettre ouverte à Monsieur Karim Khan, Procureur de la CPI
Monsieur le Procureur de la CPI,
Je me permets de vous écrire cette lettre ouverte car, depuis la parution du brûlot de Stéphane Hessel « Indignez-vous » il y a de cela plusieurs années, il est de bon ton de manifester son indignation. Indignons-nous donc, indignez-vous ! Si l’indignation est le ferment de « l’Esprit de résistance », en tant que juive, je me dois de m’indigner.
D’ailleurs, je partage avec Stéphane Hessel son sujet d’indignation : Israël. Mais la comparaison s’arrête là. Car alors qu’il s’en prend à Israël de manière éhontée, qu’il vomit sa haine de l’État juif, moi je m’indigne du traitement que réservent les médias au conflit israélo-arabe, et maintenant je m’indigne contre la CPI.
Monsieur Khan, vous avez le titre de Procureur de la CPI, Cour pénale internationale, dont la mission consiste à « juger des individus pour génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et agression ».
Or, j’apprends que vous avez demandé aux 3 juges de la Chambre préliminaire que soient émis des mandats d’arrêt contre Benjamin Netanyahu, Premier ministre d’Israël et contre Yoav Gallant, son ministre de la Défense, pour
- des crimes contre l’humanité (extermination, meurtres, persécutions et autres actes inhumains), ainsi que pour
- des crimes de guerre (meurtres, atteintes à l’intégrité physique et mentale, traitements cruels, attaques intentionnelles contre des civils et le fait d’affamer volontairement une population).
Je suis littéralement sidérée ! Le respect que j’ai pour le système judiciaire et pour la fonction que vous occupez risquent fort d’en être très affectés. Certes, je savais depuis quelques semaines qu’il était question de condamner le Premier ministre, mais je croyais naïvement que, comme vous êtes autorisé à tenter un accord avec le principal intéressé avant de lancer une requête, vous arriveriez à un terrain d’entente. De toute évidence, ce n’est pas le cas.
Bien sûr, pour vous dédouaner, vous avez pris soin de demander des mandats d’arrêt contre les membres du Hamas, Yahya Sinwar, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri (Deif) et Ismail Haniyeh, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui auraient été commis sur le territoire d’Israël et dans la Bande de Gaza, à partir du 7 octobre 2023 au moins.
La réaction d’Israël
L’annonce de ces mandats a fait l’effet d’une bombe en Israël, mais aussi dans toute la diaspora juive. Les Israéliens se sont imaginés, à tort de toute évidence, que vous êtes impartial, et ce d’autant plus que vous avez effectué un voyage en Israël pour constater de visu les dégâts matériels et psychologiques engendrés par l’agression inqualifiable du Hamas. Vous avez alors déclaré que « la prise d’otages constitue une grave violation des Conventions de Genève », qu’il s’agit d’un crime relevant du Statut de Rome, et vous avez appelé « à la libération immédiate de tous les otages pris en Israël et à leur retour sains et saufs auprès de leurs familles. » ».
Alors, comment ne pas éprouver un sentiment de trahison en apprenant le dépôt de votre requête ? Sentiment que je partage largement avec les Israéliens à la suite de cette récente condamnation qui soulève en moi des interrogations et des inquiétudes profondes.
Des questions sans réponse
1. Israël est une démocratie et, comme toute démocratie, elle dispose d’un pouvoir judiciaire indépendant parfaitement capable de mener des enquêtes et qui a fait ses preuves à maintes reprises. Alors, pourquoi ne pas en avoir discuté avec le gouvernement israélien ? La CPI n’est-elle pas un tribunal de dernier ressort ?
2. Et pourquoi, alors que vous étiez attendu en Israël, annulez-vous votre visite quelques minutes seulement avant que les Israéliens n’apprennent que vous avez lancé une requête pour que soient émis des mandats d’arrêt contre leur Premier ministre et son ministre de la Défense. Était-ce de cela que vous comptiez leur parler lors de cette visite ? On ne le saura jamais. Mais vous comprendrez bien qu’Israël s’est senti trahi.
3. Le Hamas : Pourquoi avoir attendu 7 mois avant de condamner les violences et les massacres perpétrés le 7 octobre ? Attendiez-vous qu’ils récidivent, comme ils l’avaient annoncé, pour les condamner ? Ou serait-ce parce que vous ne pouviez pas condamner la victime sans condamner l’agresseur ?
Peut-être était-ce une décision de dernière minute car, alors qu’on parlait depuis plusieurs semaines de la condamnation de l’État juif, rien ne laissait présager que le Hamas serait mis dans le même panier.
Une hypothèse que confirme la décision inattendue de l’ONU de parler des otages justement quelques jours avant le dépôt de votre requête. Drôle de coïncidence ! Cette organisation s’est toujours refusée à condamner le Hamas et elle a fait la sourde oreille à toutes les demandes qui lui ont été adressées pendant 7 mois au sujet des otages.
Génocide : Israël vs. le Hamas
Vous soupçonnez Israël de vouloir exterminer le peuple palestinien ? Sur quoi vous basez-vous ? Vous me répondrez sur le recours à la famine comme arme de guerre. Prouvez-le et surtout prouvez qu’Israël est animé d’intentions génocidaires quand il combat l’organisation terroriste qui a violé et son territoire et ses citoyens.
En revanche, vous vous êtes bien gardé de condamner le Hamas pour ses intentions génocidaires qui obéissent parfaitement à la définition que donne la CPI du terme « génocide » : « La définition du terme génocide crée une exigence de double intention : l’intention criminelle générale de commettre l’acte en question (p. ex., meurtre ou atteinte grave à l’intégrité physique) et une intention spécifique de commettre l’acte dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe défini ».
Or, non seulement le Hamas a énoncé clairement dans sa Charte ses intentions génocidaires, mais il les a aussi mises à exécution ce samedi 7 octobre où ses membres se sont livrés aux actes les plus abominables qu’on puisse imaginer dans le but avoué d’éradiquer les Juifs.
Ils ont posé au moins 2 actes, pour ne pas dire 3, sur les 5 qui figurent dans la définition que donne le Statut de Rome du « génocide »:
(1) meurtre de membres du groupe;
(2) atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
(3) « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » (cas des otages toujours en captivité).
Qui plus est, le Hamas a répété à maintes reprises qu’il est prêt à refaire ce qu’il a fait le 7 octobre autant de fois qu’il le faudra pour atteindre son objectif : éradiquer l’État juif et le remplacer par un État islamiste.
Peut-être avez-vous choisi le déni ? Vous voyez la paille qui est dans l’œil de Netanyahou, mais ne voyez pas la poutre dans l’œil de Sinwar !
Les conséquences de votre geste
Je me suis demandé comment vous avez pu émettre des mandats d’arrêt simultanément à Netanyahou et aux membres du Hamas sans réfléchir auparavant aux répercussions que cette décision pourrait avoir sur notre société.
Bien sûr, vous avez pris toutes les précautions possibles : vous avez sans le moindre doute rempli les conditions exigées à l’Article 15 du « Statut de Rome », vous vous êtes assuré qu’il « existe une base raisonnable pour ouvrir une enquête » et que l’affaire « semble relever de la compétence de la Cour ».
Je sais aussi que, comme vous l’avez vous-même déclaré le 20 mai, vous avez fait appel à un groupe impartial d’experts en droit international pour étayer les requêtes que vous avez déposées. À cela, il faut ajouter les avis de plusieurs de vos conseillers spéciaux que vous avez pris soin de remercier pour leurs contributions dans le cadre de cet examen.
Malgré toutes les précautions dont vous vous êtes entouré, je suis étonnée que pas un des experts que vous avez consultés ne vous ait mis en garde contre la réaction des pays occidentaux quand ils apprendront que, pour la première fois, un chef d’État, qui plus est toujours en exercice et soutenu par l’Occident, est traduit devant une Cour de justice, la CPI en l’occurrence.
Et ce qui devait arriver arriva !
En mettant sur le même plan le dirigeant de l’État juif et démocratique, qui lutte depuis 7 mois pour récupérer les otages et chasser les membres du Hamas, et une organisation terroriste (même si à vos yeux elle ne l’est pas), vous vous êtes attiré les foudres d’un certain nombre de pays : « Inacceptable » a déclaré l’Italie; « Regrettable », l’Allemagne; « Je vais être clair, a déclaré Joe Biden : quoi qu’insinue le procureur, il n’y a pas d’équivalence entre Israël et le Hamas, il n’y en a aucune ».
Bien sûr, le gouvernement israélien est scandalisé par votre décision. Il s’est senti – et on le serait à moins – profondément humilié et éprouve un sentiment de honte d’avoir été ainsi traité.
Monsieur le Procureur, je ne vous apprendrai rien en vous disant que le monde est pour chacun de nous ce que chacun est lui-même. Alors, après avoir pris connaissance des mandats que vous avez émis, après avoir écouté vos justifications sans tenir compte de la situation d’Israël, après avoir pris connaissance des gens que vous avez défendus (le fils de Khadafi, C. Taylor, etc…), j’en arrive, hélas, à la conclusion suivante : Ce n’est pas à Israël à avoir honte de l’émission de ces mandats, c’est à vous, Monsieur le Procureur, d’en avoir honte.
Honte à vous pour avoir émis des mandats d’arrêt contre le chef du gouvernement israélien et contre son ministre de la Défense;
Honte à vous pour avoir mis dans le même panier le dirigeant d’un État démocratique et celui d’une organisation terroriste ;
Honte à vous qui, à la lumière de votre décision, nous conduisez à conclure, qu’à vos yeux un terroriste n’est pas plus condamnable que le Premier ministre d’un État démocratique. Après tout, si toutes les vies se valent, tous les actes violents se valent ;
Honte à vous qui contribuez par vos gestes à décrédibiliser la CPI alors que cette Cour attend de vous d’être valorisée. Comme l’a dit le Premier ministre sur X, « Cela jettera une marque de honte éternelle sur la cour internationale » ;
Honte à vous qui avez choisi d’adopter un comportement antisémite et qui, ce faisant, jetez de l’huile sur le feu.
À votre décharge
Je crois être à même de comprendre votre réaction. La CPI fait l’objet de nombreuses critiques (pratiques procédurales parfois contradictoires, difficulté à promouvoir une jurisprudence et une prise de décision cohérentes, etc…). Même les partisans de la CPI formulent des critiques à son encontre, ils lui reprochent de n’avoir produit « que cinq condamnations concernant des crimes fondamentaux et vu de nombreuses affaires médiatisées se terminer par un acquittement ou sans verdict ».
Elle compte sur vous pour « réparer ce qui est cassé », elle attend de vous des résolutions significatives, pourquoi pas quelques coups d’éclat qui la feront connaitre. De toute évidence, vous avez répondu à ses attentes. En l’espace de quelques mois, vous lui avez fourni un tableau de chasse dont vous pouvez vous enorgueillir et qui vous vaudra sans doute des félicitations.
Vous avez peut-être nui à la réputation d’Israël, et je ne fonde aucun espoir sur les juges qui abonderont certainement dans le même sens que vous. Mais à bien y penser, je crains que cette décision ne représente un danger pour nos démocraties et qu’elle ne fasse qu’accroître la méfiance qui s’est déjà installée un peu partout envers nos institutions. Comment, après cet évènement qui soulève les passions, ne pas se poser la question : Qui sera le prochain ?
Conclusion
« Ce soir, plutôt que d’adopter le ton de monsieur Biden, on devrait plutôt se féliciter de cette décision et de ces mandats d’arrêt demandés », a déclaré l’avocat Emmanuel Daoud.
Un peu d’humour ! Il ne croit pas si bien dire ! Il a doublement raison. Essayons donc de voir le verre à moitié plein et de rire un peu de votre requête.
Premièrement, c’est bien la première fois que le Hamas et le gouvernement israélien sont sur la même longueur d’onde sur un point : condamner les décisions de la CPI.
Deuxièmement, grâce à vous, l’unité est rétablie en Israël. Voyez-vous, Monsieur Khan, en hébreu nous disons « gam zou letova », ce qui veut dire « Tout ce qui arrive est pour le bien ».
Alors, je vous adresse nos chaleureux remerciements.