Lettre à mon fils : Back to the trees…
Yafo, le 14 septembre 2021
Mon amour de fils.
Je vais t’étonner, mais tu vois, Zemmour, de base, je l’aime bien, même quand il déconne. Je l’aime bien parce que j’aime bien dans l’absolu l’esprit de joute et les perspectives de débat constructif qu’il soulève.
Alors Zemmour, je ne partage à peu près aucune de ses conclusions, mais je trouve les idées qu’il soulève pertinentes et je m’étonne tout autant de l’indignation puérile qu’on oppose à cet homme dont on ne peut nier ni l’intelligence, ni l’érudition que du manque de préparation des pseudo-chevaliers qui prétendent croiser le fer avec lui.
Ses positions à l’égard des femmes en particulier m’agacent, mais je sais que ce type-là descend chez lui les poubelles et je me dis qu’à la maison au moins, il ne remporte pas tous les tournois.
Là, c’est reparti pour un tour. Zemmour a encore poussé d’un cran le curseur de la haine qu’il inspire aux bien-pensants en écrivant que « Les anthropologues nous ont enseigné qu’on était du pays où on est enterré. » C’est un peu vrai, ma foi, et aussi complètement faux.
Je ne vais pas commenter l’exemple qu’a choisi Zemmour, parce que cet exemple est aussi douloureux que de mauvais goût. Par ailleurs, Zemmour sait très bien que nombre d’enfants d’Algériens sont totalement perdus et ne se sentent pas plus algériens qu’autre chose, même si on leur a inculqué de force la nostalgie du bled. Les racines moisies de ces enfants-là ne les raccrochent à rien, formatés qu’ils sont depuis le berceau à partir loin, au mieux en pèlerinage en Arabie Saoudite, au pire en guerre en Syrie où personne ne les connaît ni ne les attend. Tout ça au nom de leurs frères palestiniens qu’ils ne connaissent non plus ni d’Adam ni d’Eve.
Mais cet homme sait ce qu’il fait. En mettant comme beaucoup dos à dos ainsi les deux communautés phares que sont la juive et l’arabe, il ratisse juste et très large sans que personne ne s’offusque plus ni d’amalgames, ni de disproportion.

« Les anthropologues nous ont (donc) enseigné qu’on était du pays où on est enterré. » J’ai quelques contre-exemples à soumettre à la réflexion de tous.
Jacques Brel peut bien être enterré aux Marquises, il n’en est pas moins Belge, je crois, et le plat pays reste à jamais le sien.
Depardieu peut embrasser Poutine sur la bouche tant qu’il veut, il reste à tout jamais le plus grand Cyrano du monde.
Je ne saisis pas bien non plus ce que devient cette théorie fumeuse pour les membres de notre famille dont les corps reposent dans la triste Pologne, ce qui ne les empêche nullement d’avoir leurs plaques mémorielles à Marseille.
Moi même, tu vois, si je suis enterrable, quoi ? Les perspectives de mort sont si inventives par les temps qui courent, si je suis enterrable, donc, je serai probablement enterrée, (tu te souviens bien, pas de pierre, juste des graines de fruitiers que je puisse m’exprimer encore et vous donner ad vitam aeternam du juteux sucré d’abricots ou de cerises) sur mon lieu de vie, en Israël.
Mais n’en déplaise à Zemmour, je ne pense pas une seconde que j’en serai moins française… (Le cerisier, pitango, s’il te plaît, c’est comme ça qu’on appelle ici le cerisier de Cayenne.)

Je lisais des trucs bizarres sur l’alyah des Juifs de France, fuite, désertion, lâcheté, trahison, et je m’étais dit qu’il était sans doute opportun de raconter la mienne, d’alyah. Comment un beau matin, j’étais partie de France avec mes gosses et mes chats, sans aucune raison.
Comme il n’y avait rien à comprendre, tous mes amis ne comprirent pas et ils furent quelques uns à m’en vouloir, carrément, de les avoir quittés alors que moi, je n’ai jamais quitté personne. La Terre, si petite, tourne si vite, est-ce qu’on peut quitter quelqu’un ?
« Certains ont mis du temps à me pardonner.
D’autres ont exigé des explications, comme après une rupture.
Qu’est-ce qui t’a pris ? Pourquoi ? Comment ? Explique…
Expliquer quoi ? J’en aurais été bien incapable. Est- ce qu’on demande ainsi des comptes à tous ceux qui s’expatrient en Guyane ou en Martinique ? Ah non, pardon, je voulais dire en Angleterre ou au Japon ?
Evidemment, on va me dire mais Israël, pour un Juif, ce n’est pas l’Angleterre, ni le Japon. Israël c’est le pays des Juifs. Notre pays. Qu’on a volé. Assez étrangement, maintenant que j’y pense, ce sont précisément ceux qui nous crachent “retourne chez toi” qui militent pour BDS et hurlent à l’usurpation. Faudrait savoir quand même. «
(Tiens, c’est intéressant, ça. Donc mort et enterré, mon corps acquerrait des droits sur cette terre qu’on ne m’a pas reconnus de mon vivant ? Des droits anthropologiques ?)
« Mais je charrie. C’est vrai que ce n’est pas pareil. Israël est le seul pays du monde où on n’a pas de comptes généalogiques à rendre. Le seul pays du monde où on a le droit d’être con et même très con, sans que quiconque ait seulement l’idée d’insulter notre grand-mère. Le seul pays où notre stupidité n’engage que nous. C’est difficile à croire, mais juste ça, déjà, c’est un sacré luxe.
Donc un beau matin de juillet (il y a 14 ans), sans avoir une seule seconde réfléchi à tout ça, j’ai quitté mon village sur un coup de tête.
Je dois dire que, de base, le principe de nationalité me laisse froide. La nationalité en tant que mémoire culturelle et historique commune, c’est intéressant, je n’en disconviens pas mais la nationalité politique, quelqu’un peut me dire quel est son intérêt métaphysique ? La citoyenneté, j’en suis revenue et le partage des facilités administratives qu’elle sous-entend m’attendrit peu. La réaction mitigée à la sanction de déchéance de nationalité me laisse à penser que je ne suis pas la seule à être si peu émue par le concept.
De fait, si j’ai du mal avec les nationalités, c’est que je les trouve un peu dérisoires. Je me sens comment dire… habitante de la planète Terre je crois. Profondément humaine. Mais humaine au sens être humain, pas humaniste ou je ne sais quel poncif pompeux.
Je me sens humaine sans fanfaronnade aucune car si en tant que colons (quoi ?!) de cette planète, les humains sont sans doute le groupe vivant le plus extraordinaire, ils sont aussi le plus improbable et le plus inconséquent du monde et il n’y a pas de quoi être super fier d’en être. Cependant, que je le veuille ou non, comme mes voisins d’Egypte, qu’ils me serrent la main ou pas, comme mes voisins de Gaza, qu’ils me reconnaissent ou pas, comme mes voisins de Syrie, du Liban ou de Jordanie, qu’ils m’apprécient ou pas, j’en suis. On en est tous. Il n’est pas possible de revenir là dessus.
Mes réticences nationalistes ne changent rien à l’affaire. Française depuis toujours, je suis devenue israélienne en 2007 et depuis que j’ai appris que l’Espagne accordait la nationalité aux descendants de ceux qu’elle a virés en 1492, je me demande même si je ne vais pas aussi demander la nationalité espagnole.
Mais quel que soit à terme mon nombre de cartes d’identité et mon lieu de résidence, n’en déplaise aux intégristes de tous bords, je reste pour toujours française.
Je suis française de naissance, de cœur et d’esprit. De garrigue et de calanque. De mistral et de tramontane. De Bretagne et de Languedoc. De Corse et de Frioul. De Martinique et de Guadeloupe. De Montaigne et de Diderot. De Pagnol et de Saint-Ex. De Proust et de Zola. De Perec et de Cohen. De Desnos et de Camus. De Raiser, Gotlib et Goscinny. De Cabu et de Wolinski. Je pourrais continuer pendant des heures mais tout le monde, j’imagine, a bien compris l’idée.
Je suis française de souche.
Je ne sais pas bien ce que les gens entendent par ce terme galvaudé, mais moi, c’est littéralement que je le ressens. Profondément fichée en terre de France, ma souche provençale est la base immuable de mon arbre généalogique personnel, c’est d’elle que partent mes propres racines.
(Pas de Cayenne, tiens, le cerisier, un micocoulier plutôt, s’il te plaît ou non, je sais. Un arbousier.)

Je suis de souche, mais pas de n’importe quelle souche, de souche de figuier. Souche de pas n’importe quel figuier d’ailleurs, de figuier du Bengale comme celui de l’école Mikve Israël, là où Charles Netter, au siècle dernier, décida derrière ses petites lunettes de geek que c’était une chouette bonne idée de faire fleurir le désert.
A Mikvé, parmi nombre d’arbres étonnants, on trouve cet extraordinaire banian qui à lui tout seul représente l’humanité dans ses errances et ses enracinements miraculeux. Planté il y a quelques 130 années en terre de Palestine ensablée, le banian de Mikvé a enfoncé ses racines comme il a pu, et quand il n’a pas pu les enfoncer, il les a libérées aériennes et les racines, comme des arabesques, se sont envolées et en s’entremêlant, elles ont donné naissance à de nouveaux troncs qui eux-mêmes se sont enracinés plus loin dans le sable et quand ils n’ont pas pu, se sont embrassés entre eux et ont formé de nouveaux troncs, qui eux-mêmes se sont enracinés avant de survoler l’espace en graphiques volutes et ainsi de suite jusqu’à former les arcades d’une magique cathédrale végétale, à l’ombre de laquelle tous les errants de passage viennent prendre une émouvante leçon de racine depuis que le pays existe.
On s’est bien fait génocider à mi-siècle et j’ai eu droit aux copines qui ayant appris au catéchisme que les juifs avaient des cornes et une queue voulaient à toute force vérifier, mais je ne vois aucun rapport entre ça et ma souche ayurvédique. Quand ta maison est inondée, elle reste ta maison. Tu écopes, tu draines et tu attends que ça sèche. Nous, on a fait pareil. A chaque coup dur, on a géré et on a attendu que ça sèche.
Comme un brave petit ficus, c’est en tant que française que j’ai rhizomé de France en 2007. Sans aucune raison, vaseuse ou pas. Je suis partie par envie d’étirer mes racines. Parce que j’avais du Bellay en tête et que moi aussi comme Ulysse je voulais faire un beau voyage. J’avais à l’esprit les mots de ce pote qui avait ouvert une boutique d’art marocain derrière la place de la Comédie à Montpellier, la lumière dans ses yeux quand il m’avait dit en me servant mon petit verre de thé à la menthe, pourquoi veux-tu que Dieu ait fait le monde si vaste si c’est pour qu’on reste comme des idiots sans bouger chacun dans notre coin ?
Je suis partie par pur esprit d’aventure. D’ailleurs comme je l’ai dit à mes amis, je ne pars pas, j’ouvre une fenêtre. J’élargis l’horizon.
Voici 14 ans aujourd’hui que je vis en Israël. Israélienne en France, française en Israël, j’ai incontestablement élargi l’horizon et je ne me lasse pas d’expliquer à mes étudiants de l’Université ouverte qu’en apprenant le français, il vont s’ouvrir à la langue des romantiques et des poètes, à la langue des droits de l’homme.
Macron (dans mon texte, j’avais écrit « ce nigaud de Hollande ») n’en a aucune idée mais je suis un de ses plus fervents ambassadeurs…
Voilà voilà. Je ne sais pas si l’autre me lira, mais je persiste et je signe.
PS : Jim Morrison et Oscar Wilde enterrés au Père Lachaise, on en parle ?
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