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Les ratés de la Hasbara francophone

Nicolas souligne les limites voire la contre-productivité de la communication dite de hasbara

Il est redondant de rappeler que défendre Israël devant une opinion publique de plus en plus mal disposée à son égard est une tâche vitale. Mais vu la suite de mes propos je juge important de revenir sur ce point. למען ציון לא אחשה, ולמען ירושלים לא אשקוט עד יצא כנוגה צדקה וישועתה כלפיד יבער (Pour l’amour de Sion, je ne garderai pas le silence, pour Jérusalem je n’aurai point de repos, que son salut n’ait éclaté comme un jet de lumière, et sa victoire comme une torche allumée) : cette phrase d’Isaïe est gravée au plus profond de moi. Et pourtant.

Et pourtant, il me semble que les interventions de certains (beaucoup) dans la sphère francophone causent plus de dégâts qu’ils n’en réparent. A commencer par l’unité de communication de l’armée et son activité sur les réseaux sociaux. Qu’on ne s’y trompe pas, ce service à toute sa place, il est important de communiquer et de transmettre les chiffres et résultats des activités de l’armée. Mais ce n’est pas du tout son rôle que de se lancer dans une gigantesque entreprise de défense de la légitimité d’Israël. S’il y a une mission pour laquelle l’armée ne peut être équipée c’est bien celle-là : la lutte idéologique. Elle n’en a pas les ressources nécessaires. Si Israël est une démocratie vibrante (et elle l’est), elle n’a pas besoin de l’armée pour le dire.

Cette dernière à un rôle central dans la défense matérielle du pays, mais elle ne doit pas en déborder. Et quand elle déborde, quand elle cherche à redorer le blason d’Israël, l’échec est automatique : les messages sont trop caricaturaux, les termes mal adaptés et Tsahal manque sa cible. Dernier exemple en date (aujourd’hui) : « Appeler au Jihad et à l’enlèvement d’Israéliens : qui peut encore penser que le Hamas est une organisation politique ? » Que voulez-vous donc dire par-là ? Le Hamas est une organisation politique au sens où son but est le pouvoir politique, celui de gouverner la destinée des hommes d’une Cité particulière. Qu’il ait recours au terrorisme pour arriver à ses fins n’y change rien. Alors s’il vous plait, laissez l’analyse politique aux gens qui en ont les compétences et contentez-vous d’être le bras armé du gouvernement.

De la même façon, vous pouvez mettre un maquillage brésilien à un soldat en guise de camouflage à l’occasion de la coupe du monde (véridique), il n’en reste pas moins un soldat, et c’est ce que retiendra quiconque suit la page de Tsahal sur Facebook. Quand on veut promouvoir une autre image d’Israël, plurielle et ouverte, l’essentiel est justement ce qui se passe hors de l’armée. En cela non seulement vous échouez mais donnez une mauvaise réputation de propagande gouvernementale à la hasbara toute entière. Un soldat est par définition un homme pas entièrement libre, et il n’y a aucune honte à cela. Mais seul un homme libre par rapport à une institution peut défendre celle-ci par sa plume.

J’en viens donc maintenant à ceux qui sont censés être les plumes libres venant à la défense d’Israël. Et aussi stupide que cela puisse sembler, je pense qu’il y a une mésentente fondamentale à ce sujet. L’hébreu, n’ayant pas de terme entre ארץ (similaire au land anglais) et מדינה (état) pour décrire Israël, n’y aide pas, mais ce qui est en jeu dans la hasbara c’est la défense d’Israël en tant que pays. Un pays survivant certes par l’action énergique de l’état qui l’incarne, mais qui n’y est pas identique. Bien trop souvent, les grognards de la hasbara francophone, ceux les plus lus du moins (jss, dreuzz, europe-Israël, le plus hebdo… liste en bataille et non exhaustive), se lancent dans de mini guerres totales dans lesquelles aucune concession n’est possible et, tels les esséniens antiques, se réduisent à voir le monde comme plongé dans une opposition manichéenne.

La trop longue hégémonie socialiste sur Israël a peut-être faire croire à trop que tout était politique et confondre société et Etat, mais je crois que le sionisme libéral de Jabotinsky est bien plus approprié de nos jours sur ce point. Etre patriote c’est défendre l’indépendance de son peuple quand celle-ci est (trop souvent) menacée, mais ça n’implique en rien une défense automatique de la moindre politique gouvernementale au nom de l’unité nationale, pas plus que la diffusion d’une image perpétuellement grotesque du monde arabe.

En tant qu’Israélien de droite je m’attriste de voir le résultat d’années de cette hasbara boiteuse dans de trop larges parts de la communauté juive française, devenue le miroir déformant d’idées qui me sont pourtant chères. Il n’est pas normal que des gens qui ont choisi de ne pas venir vivre en Israël soient systématiquement plus royalistes que le roi.

Avraham Burg est sûrement à bien des égards plus sioniste que ceux qui se pensent être les plus grands défenseurs d’Israël. Je comparerais cela au fait que religieusement, le plus grand mécréant qui soit, s’il vit sur la terre d’Isräel, accompli de ce fait même des mitzvot qui sont inaccessibles aux juifs religieux vivant en exil. Mais qu’importe aux yeux de ce qui veulent « sauver » les israéliens d’eux-mêmes, et pour qui, dans cette tâche, aucune ligne rouge n’existe.

Michaël Blum, journaliste pour des organes de presse français et vivant pourtant lui-même en Judée-Samarie, se voit ainsi régulièrement victime d’un lynchage en ligne organisé, sous le simple prétexte d’avoir un minimum de nuance dans ses propos. Est-ce ainsi, en présentant comme antisémite ou comme traitre (en fonction de la (non) judaïcité de la cible), qu’on espère expliquer au monde qu’Israël n’est pas une sorte de junte fasciste ?

Manquerait-on soudain de vrais ennemis qui cherchent à nous éliminer que nous habitions Toulouse, Bruxelles ou Itamar, pour s’en prendre aussi violemment à des gens dont le désaccord avec nous est profondément sincère ? Lutter inlassablement contre la désinformation commise par de trop nombreux journalistes incompétents, oui, la remplacer par une vision encore plus caricaturale de la réalité, non. Dieu merci, la société israélienne est bien plus plurielle et tolérante que ce qu’on pourrait le croire à la vue des zélotes de la hasbara francophone.

à propos de l'auteur
Originaire de Normandie, Nicolas termine actuellement son master à l'IDC Herzliya. Habitant Jérusalem depuis trois ans, il est tombé amoureux de cette ville et de sa diversité unique au monde.
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