Les rabbins de Tzohar, disciples modernes de Hillel

Cette semaine, j’ai eu la chance d’assister au mariage d’un de mes amis, en Israël. Il ne s’agit pas d’un couple pratiquant et, si ce mariage s’était déroulé il y a quelques années, il aurait probablement eu lieu à Chypre, comme c’est le cas pour de nombreux Israéliens non pratiquants qui ne veulent pas d’un mariage religieux (1). Ou, pour être plus précis : qui sont découragés par le processus devant leur permettre de se marier religieusement. L’honnêteté nous contraint en effet à reconnaître qu’à part un petit nombre de personnes se revendiquant comme anti-religieuses, la grande majorité des Israéliens non pratiquants n’ont rien contre un mariage religieux; pour la plupart d’entre eux, il s’agirait même d’une option qu’ils pourraient envisager avec plaisir. Mais ils sont découragés, pour ne pas dire plus, par la manière dont le Grand Rabbinat procède et par ses nombreuses, et souvent irréalistes, exigences (2). Et pour être parfaitement honnête, de plus en plus de couples pratiquants sont également troublés par la manière dont les choses se déroulent dans ce domaine (3).

Mais les choses ont commencé à changer ces dernières années grâce à l’organisation rabbinique Tzohar, qui regroupe un certain nombre de rabbins orthodoxes ayant une approche quelque peu différente de celle du Grand Rabbinat. “Avec la loyauté à l’Etat d’Israël et le respect de la Halacha [loi juive] comme fondements, Tzohar a pour mission de garantir le futur juif de l’Etat d’Israël” (4). Une mission que l’organisation remplit depuis maintenant 20 ans et dont le champ d’action ne se limite pas uniquement aux mariages, mais recouvre également un grand nombre de projets permettant au public israélien de (re)découvrir ses racines juives, tel que le Jewish Holiday Project (5). Récemment, Tzohar s’est également associé à l’Association du Barreau israélien afin de promouvoir un nouveau type de contrat prénuptial – valable aussi bien au regard de la Halacha que selon la loi civile – destiné à réduire le nombre de femmes ‘agunot (6). L’organisation a ainsi permis à “des millions d’Israéliens de se rapprocher de leur héritage juif” et a vu son travail récompensé en 2009 par une Médaille présidentielle en reconnaissance de son impact positif sur la vie juive du pays.

Et c’est ainsi que mon ami et sa fiancée ont pu bénéficier d’un mariage religieux qui soit véritablement significatif à leurs yeux. Le rabbin en charge du mariage s’est assuré que la cérémonie se déroulait en parfait accord avec la Halacha, tout en laissant le champ libre aux fiancés chaque fois que celle-ci le permettait. Il a expliqué le sens et l’importance de cette cérémonie et a parlé de la manière dont le judaïsme traditionnel envisage le mariage et la relation entre un homme et son épouse. Pour la plupart des personnes présentes, c’était peut-être bien la première fois qu’elles entendaient un tel discours ! Et il y a fort à parier que, grâce à ce rabbin, elles considéreront désormais le judaïsme traditionnel quelque peu différemment.

Quelques mois avant le mariage, mon ami et sa future femme ont également du étudier ce que l’on a coutume d’appeler la « pureté familiale », c’est-à-dire les nombreuses halachot régissant la vie d’un couple marié – cette étape est obligatoire, du moins pour la future épouse, afin d’obtenir le droit de se marier en Israël. Ont-ils l’intention de se conformer à ces halachot ? Je n’en sais rien. Et je n’ai pas à le savoir; il s’agit de leur décision. Ce que je sais, en revanche, c’est que ce domaine, qui est l’un des piliers de la vie juive, peut se révéler fort délicat – et ce, pour n’importe quel couple. Et je peux parfaitement comprendre que des gens qui n’ont pas l’habitude de se plier aux règles religieuses puissent avoir le désagréable sentiment que les rabbins tentent de contrôler leur vie intime. Dans ce domaine, aussi important que peu aisé à aborder, Tzohar fait un excellent travail en s’assurant que les jeunes couples reçoivent des explications qui soient à même de dissiper leurs craintes et de les aider à comprendre le sens profond de ces halachot.

Je suis moi-même marié depuis un an, et mon mariage a également été célébré par un rabbin affilié à Tzohar (qui se trouve être l’une des personnes les plus aimables que je connaisse). Ma femme et moi étant pratiquants, nous n’avons eu (quasiment) aucun problème à nous plonger dans l’étude des aspects halachiques du mariage et de la manière dont le judaïsme traditionnel considère cette étape, ô combien importante, de la vie d’un être humain. Cet apprentissage ayant donné un tel sens et une telle profondeur à notre union, je considère que chaque couple devrait pouvoir bénéficier de la même opportunité, indépendamment du degré d’observance religieuse de chacun.

La deuxième bénédiction récitée lors d’une cérémonie de mariage, avant que le fiancé ne passe la bague au doigt de sa fiancée, stipule que D-ieu « mekadesh ‘amo Israel ‘al yedeï ‘hupa vekidushin”: Il sanctifie Son peuple Israël par le biais de la ‘hupa (le dais nuptial) et des kidushin (la cérémonie de mariage). Chaque couple qui décide de se marier sous une ‘hupa accomplit donc un acte d’une extrême importance et mérite de recevoir cette bénédiction, qu’il s’agisse de personnes pratiquantes ou non. Le but de Tzohar est de s’assurer que chaque couple juif soit conscient de cette réalité (7). Et, étant donné la manière dont ce but est mis en œuvre, les rabbins de Tzohar méritent véritablement le titre de disciples de Hillel, qui avait coutume de dire: “aimez les créatures et rapprochez-les de la Torah” (8).

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(1) Etant donné que le mariage civil n’existe pas en Israël, la seule manière de se marier, pour un couple juif, est de passer par une cérémonie religieuse supervisée par le Grand Rabbinat. Selon de récentes statistiques, 7961 couples (dans lesquels les deux conjoints sont juifs) se sont mariés à l’étranger en 2012; cela représente 21% du nombre de couples qui se sont mariés en Israël pendant la même année (37 751 couples). Pour plus de détails, voir The Jerusalem Post, 21 aout 2014.

(2) D’après le rav David Stav, co-fondateur de l’organisation Tzohar, “plus de 700 000 immigrants, Juifs de naissance, sont légalement empêchés par le Grand Rabbinat de se marier en tant que Juifs. […] 24% des couples israéliens choisissent de se marier civilement à l’étranger. Leurs enfants seront considérés comme non-Juifs par le Grand Rabbinat” (traduit par mes soins). Pour plus de détails, voir Jewish and Israel News, 6 février 2015.

(3) Certains d’entre eux vont même jusqu’à organiser des “mariages halachiques illégaux”. Voir The Times of Israel, 16 février 2014.

(4) Toutes les citations de ce paragraphe sont tirées de la page anglophone du site de Tzohar, et traduites par mes soins.

(5) L’année dernière, pour Yom Kippur, 50 000 Israéliens ont participé aux 280 offices “Praying together” organisés par Tzohar à travers tout le pays, y compris dans des prisons. Selon Nachman Rosenberg, Vice-président de l’organisation, “le succès croissant de notre programme annuel de Yom Kippur est le reflet d’une soif de plus en plus forte [de la population israélienne] pour la tradition juive. Ce programme fait partie intégrante de l’engagement de Tzohar en vue de garantir le futur juif de l’Etat d’Israël pour les générations à venir.” Pour plus de détails, voir The Jewish Voice, 24 septembre 2014.

(6) Une ‘aguna (littéralement: une femme enchaînée) est une femme dont le mari refuse de donner l’acte de divorce (get) requis par la loi juive ou dont le mari a disparu sans qu’une preuve de son décès ne puisse être apportée; elle est donc toujours considérée comme mariée au regard de la loi juive. Le contrat prénuptial, qui est légalement contraignant, vise à réduire les cas possibles de femmes ‘agunot en attirant l’attention du couple sur les problèmes qui pourrait, à D-ieu ne plaise, survenir plus tard et en prévoyant d’ores et déjà un certain nombre de mesures. Pour plus de détails, voir Alliance, 16 mars 2015.

(7) Pour un témoignage sur la manière dont le travail de Tzohar peut aider à relier les Juifs non pratiquants à leur héritage juif, voir Connecting to Judaism under the chuppa ! par le rav David Brofsky.

(8) Pirkeï Avot (Maximes des pères) I, 12

à propos de l'auteur
Traducteur indépendant (hébreu-français et anglais-français), Julien Pellet est né à Lausanne (Suisse) dans une famille juive traditionaliste. A l'adolescence, les discussions autour de l'actualité proche-orientale le poussent à s'intéresser à ses racines juives et à se rapprocher de la communauté. Ce rapprochement s'accentue au cours de ses études de droit, durant lesquelles il est actif au sein de l'association locale des étudiants juifs. Son Bachelor en poche, Julien délaisse le droit pour se consacrer à la lutte contre l'antisémitisme avec l'association CICAD, basée à Genève. Puis, en 2010, les montagnes suisses cèdent la place aux collines de Jérusalem, où il étudie à la yéshiva Machon Meir. Julien rentre en Suisse pour partager son temps entre la CICAD et l'école juive de Lausanne, où il découvre les joies (et parfois les peines !) de l'enseignement. Mais Jérusalem le réclame à nouveau et c'est grâce à celle qui finira par devenir sa femme que Julien y fait son grand retour à l'été 2014, accueilli comme il se doit par les roquettes du Hamas.
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