Les pacifistes de 2003 fourbissent leurs armes

Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, s'adresse au Conseil de sécurité des Nations unies, le mercredi 5 février 2003, quelques jours avant son discours du 14 février 2003. (Crédit : AP/Kathy Willens)
Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, s'adresse au Conseil de sécurité des Nations unies, le mercredi 5 février 2003, quelques jours avant son discours du 14 février 2003. (Crédit : AP/Kathy Willens)

– 10-14 mars 2025 –

Pacifistes de 2003

Vous vous souvenez ? Les cheese-eating surrender monkeys [les lâches singes bouffeurs de fromage], le boycott des French fries aux USA, les manifestations pour la paix, semblables aux pro-Hamas d’aujourd’hui ? Le discours de Dominique de Villepin à l’ONU, étendard de la noble souveraineté de la France ? À mon avis, non.

D’où vient la guerre ? Qu’est-ce qu’on en fait ? Le discours sur cette question vitale tourne en rond, courant parfois en sens inverse de la menace qui s’approche. On parle de commencer et d’arrêter des guerres comme s’il s’agissait d’émissions télévisuelles.

Adam Boehler, l’envoyé chargé par le président Trump de la libération des otages américains où qu’ils soient dans ce vaste monde, a scandalisé le gouvernement israélien en négociant en tête à tête avec le Hamas. Pour se faire pardonner il s’est fait inviter par des médias américains et israéliens, où il a étalé des bêtises, précisé qu’il n’était pas « un agent d’Israël », s’est félicité de pouvoir trouver la part humaine chez les gars du Hamas et a loué Donald Trump et Benjamin Netanyahu, deux grands chefs d’État : « Ils ne commencent pas des guerres, ils les arrêtent ».

La grande vague pacifiste du XXIe siècle a démarré au lendemain de l’attentat djihadiste contre le World Trade Center. Touche pas à l’Afghanistan [base arrière des moudjahidines]. Les Américains étaient accusés de vengeance primaire et brutale contre la pauvre victime qui les avait attaqués. Vingt-deux ans plus tard, par la même inversion, les victimes des atrocités du 7 octobre sont accusées du génocide des Palestiniens.

La haine anti-américaine était à son comble en 2003, à la veille de l’opération militaire en Irak. À Paris, les manifestants enragés marchaient entre la Bastille et la République. C’était peace & love en tête de cortège, brisé soudain par les cris rauques du PKK – « Libérez Ocalan »[1] – suivi de contingents de plus en plus agressifs, des djihadistes en keffieh armés de kalachs en carton, des anars et autres voyous avec canettes de bière et pitbulls surexcités.

Une fois passées les jeunes filles en fleur brandissant le drapeau multicolore de la Paix, les médias détournaient le regard. Un public berné se satisfaisait de ces manifs « bon enfant ». Des commentateurs, des responsables politiques, des spécialistes ès questions militaires racontaient comment les Américains étaient à la peine devant l’armée redoutable de Saddam Hussein ; si bien que les Boys déjà à Baghdâd restaient, dans les médias français, embourbés à des centaines de kilomètres de là.

Aujourd’hui, les jeunes filles en pastels délicats ont disparu, les manifestants contre le « génocide » à Gaza ne cachent pas leurs accessoires contondants et tranchants, visant l’extermination d’Israël et ses Juifs.

Pour un autre camp, c’est l’Ukraine qui menace la paix mondiale en énervant la Russie nucléaire.

Les États-Unis, guerriers sous l’administration Bush, sont avec Trump des pacifistes d’un nouveau genre. Et les Européens s’apprêtent à entrer en économie de guerre.

Notons d’emblée une différence de taille entre l’Amérique, accusée de faire couler le sang irakien pour voler leur pétrole, et l’Ukraine, coupable de ne pas avoir vaincu la Russie en trois années de combat acharné : l’Amérique, point touchée par le pacifisme international, menait de front son opération « shock and awe » [choc et effroi], tandis que l’Ukraine, privée du soutien américain, court un risque existentiel.

Israël se défend contre un ennemi génocidaire international. C’est une forever war, une de ces guerres sans fin que son bienfaiteur, le président Trump, abhorre. Pendant la guerre d’indépendance, des survivants de la Shoah, hommes et femmes, ont combattu avec un courage inouï et une intelligence héroïque. Leurs descendants, génération après génération, prennent le relais. Les enfants, les petits-enfants de mes proches vont au combat. Leurs pères et grands-pères, leurs collègues et leur fratrie, les sabras et les olim, les intellectuels et les ouvriers, les riches et les pauvres acceptent la charge militaire, le risque vital, les pertes et les blessures, le deuil et la détermination.

Faute de pouvoir « arrêter » la guerre, les Israéliens se sont perfectionnés dans l’art et la pratique militaire.

Et pourtant, sans le soutien des États-Unis…

Chez nous-autres Américains aussi, dans ma jeunesse, les hommes (et quelques femmes) partaient à la guerre, risquaient leur vie sur le front, vivaient les horreurs du combat low-tech, le corps quasiment nu exposé aux instruments meurtriers. Nous avons vécu la transformation de l’économie américaine, à peine remise de la grande dépression, en économie de guerre. La société civile, l’opinion publique, la capacité industrielle, tout était mobilisé en un temps record.

Le but n’a jamais été d’arrêter cette guerre. Il fallait la gagner. En sortir vainqueur. Mon pays est devenu une grande puissance. Entraîné ensuite, pour le bien, pour le mal, dans des guerres limitées. Pour protéger la liberté défendue au prix fort contre les fascistes, pour contrer l’ennemi communiste, par des motivations moins nobles, parfois, et souvent avec des stratégies peu claires donnant des résultats bâclés. Petit à petit, on est passé d’une armée de citoyens aux militaires de métier.

C’est quoi cet impérialisme pacifiste ?

Le 11 mars, Donald Trump, accompagné de l’entrepreneur Elon Musk et son fils, bavarde avec des journalistes devant la Maison Blanche. Il annonce un cessez-le-feu de 30 jours accepté par l’Ukraine et proposé aux Russes ainsi que l’achat d’une voiture Tesla rouge, garée là.

Le président Donald Trump et le PDG de Tesla, Elon Musk, s’adressent aux journalistes alors qu’ils sont assis dans un véhicule Tesla Model S rouge sur la pelouse Sud de la Maison Blanche, le mardi 11 mars 2025, à Washington. (Crédit : Pool via AP)

Il entre et sort de la voiture, l’admire en long et en large, lance quelques flèches contre Biden, sénile, incompétent et maladroit. Vroom vroom, le président achète une voiture et verse un acompte pour le prix Nobel de la paix. Avec ce prix anticipé, il va s’acheter le Groenland, le Canada, le Panama et Gaza. Drapé dans sa cape de pacifiste, il prêtera main forte aux grands desseins de conquête de Vladimir Poutine et ils en partageront les bénéfices.

PS : L’aide militaire et de renseignement aux Ukrainiens a repris. « La balle est dans le camp russe ».

Alors que les pacificateurs se réunissaient à Djeddah en Arabie Saoudite, 34 chefs d’état-major se retrouvaient à Paris à l’invitation du président Macron. L’Europe prend acte de la rupture brutale de l’ordre mondial – la vie, la liberté et la recherche du bien-être – entretenu par les démocraties depuis 80 ans.

Photo de groupe lors d’une réunion sur la défense européenne et l’Ukraine, au Quai d’Orsay à Paris, le mercredi 12 février 2025. De gauche à droite : Maria Tripodi, sous-secrétaire d’État italienne aux Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, ministre polonais des Affaires étrangères, José Manuel Albares, ministre espagnol des Affaires étrangères, Andrii Sybiha, ministre ukrainien des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères, Kaja Kallas, haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-présidente de la Commission européenne, Annalena Baerbock, ministre allemande des Affaires étrangères, David Lammy, ministre britannique des Affaires étrangères, et Andrius Kubilius, commissaire européen à la Défense et à l’Espace. (Crédit : Christophe Petit-Tesson/AP)

On s’attendait à des bouleversements plus ou moins douloureux, c’est la déchirure de l’alliance transatlantique qui se profile. Face à la première vraie guerre en Europe, le président américain prend fait et cause pour la Russie. En avançant les buts de guerre de Poutine, Trump prête l’énorme puissance militaire et financière américaine à l’Axe du Mal – la Russie, la Chine, la Corée du nord, l’Iran[2]. Il renforce le chantage nucléaire russe en se faisant passer pour un homme de paix, voué à empêcher la troisième guerre mondiale.

N’est-ce pas ce chantage nucléaire qui empêche Israël de vaincre l’Iran et l’Ukraine de repousser l’envahisseur russe ?

Le dilemme sioniste

Est-ce logique ? Ce président Trump, de mauvaise réputation au sein du monde libre, serait le sauveur d’un État juif mal-aimé. Un duo Trump-Vance qui soumet à la question le pauvre petit Juif Zelenski se dresse, par ailleurs, entre Israël et ses ennemis génocidaires. Le président promoteur immobilier – qui charge son partenaire de golf, Steve Witkoff, d’imposer à Netanyahu un cessez-le-feu périmé, confectionné par Joe Biden et permettant au Hamas de se refaire une beauté, tout en libérant chichement des otages torturés et affamés – est supplié par des Israéliens, excédés par les insuffisances de leur gouvernement, de faire encore des miracles.

C’est logique ? Si Trump laisse tomber l’Ukraine sans dire pardon, c’est que la guerre est ingagnable, le schnorrer Zelenski en tenue militaire manque de savoir-faire, la Russie a bien le droit de refuser l’OTAN sur ses frontières, le sort de l’Ukraine n’est pas une question existentielle pour nous et c’est fou de provoquer une puissance nucléaire…

Bref, Donald Trump est le président le plus pro-Israël de tous les temps. Jamais il ne nous abandonnerait. Ainsi, sa politique intérieure et extérieure, son entourage, ses discours, son imprévisibilité, son look, tout est bon. On ferme les yeux et on se bouche les oreilles pour ne pas être séduit par les sirènes never-Trumpists. On défend l’allié génial contre les dérives du Trump derangement syndrome.

Dans ce schéma, le réveil militaire de l’Europe sonne faux, associé qu’il est avec ces instances internationales – l’ONU, l’UE, les ONG et autres moralisateurs – qui font tant de misères à l’État d’Israël, au nom justement d’un ordre mondial aux valeurs à géométrie variable. On préfère un Donald Trump qui se la joue solo, parle cash, ne cache pas ses visés économiques et fait peur aux méchants.

Seulement, à l’heure qu’il est, Gaza est suspendue entre la guerre et la paix, les otages encore en vie sont affamés, assoiffés, torturés, privés de tout. Witkoff passe à Doha en coup de vent et s’en va à Moscou. Boehler, qui a réussi à faire honte dans une administration pourtant riche en incompétents, est réputé un jour écarté du dossier, et le lendemain maintenu dans ses fonctions malgré le retrait de sa nomination officielle, et libre de poursuivre ses aventures avec son conseiller, le milliardaire promoteur immobilier palestinien Bashar al Masri.

L’entrepreneur palestinien Bachar al-Masri devant son projet résidentiel de Rawabi, le 23 février 2014. (Crédit : Hadas Parush/Flash 90)

L’ultimatum démonétisé

Une séquence typique commença le 6 mars.

  • D’abord, le président Trump s’adresse au Hamas « malsain et tordu » : il faut libérer tous les otages tout de suite, sinon, c’est fini pour vous.
  • L’ultimatum est appuyé par le secrétaire d’État Marco Rubio qui jure que son président ne rigole pas, il fera ce qu’il a dit.
  • Puis il est aussitôt modéré par Witkoff qui avoue que ce n’est pas simple.
  • Finalement, l’administration fournira un soutien moral, mais c’est Israël qui doit agir.

[Traduction fidèle] On ne sait pas s’il y aura une résolution, un deal pour la paix, le retour des otages. Ça exigera une bonne action humanitaire de la part du Hamas. L’heure est venue pour le Hamas d’acquérir un peu de capital politique, de montrer qu’ils en sont capables. C’est leur chance d’agir raisonnablement, de faire ce qui est correct et s’en aller. Ils ne feront pas partie d’un gouvernement ici [à Gaza].

On a besoin d’armes et de cohérence

On se met où, entre ceux qui soutiennent l’Ukraine tout en traitant Israël de brutes sans merci et ceux qui défendent Israël en tournant le dos à l’Ukraine ? Les premiers ne veulent rien savoir du djihad qui nous menace tous, les derniers ferment les yeux sur l’axe qui s’étend de la Russie à l’Iran.

S’il faut tout pardonner à Donald Trump, « le meilleur ami d’Israël » qui se bat héroïquement contre l’antisémitisme [de gauche], comment comprendre la haine du Juif et de l’État juif qui creuse son sillon au sein de son administration ? On le minimise, on le marginalise.

Il n’y a pas meilleur exemple que Jonathan S. Tobin, rédacteur en chef du Jewish News Syndicate, qui expose en toute sincérité les mauvais bougres (au Pentagone, aux Services du renseignement, en podcast sur X Y & Z et à table à Mar-a-Lago), pour conclure que c’est le président, pas la droite woke qui est aux manettes. Aussi :

  • Tucker Carlson réalise un entretien problématique avec le Premier ministre du Qatar (il a déjà interviewé, avec forte indulgence, Poutine et Lavrov) ;
  • Tulsi Gabbard a retiré in extremis la nomination de l’antisioniste notoire Daniel Davis, préconisé comme son adjoint aux Services du renseignement (National Intelligence) ;
  • le super-méga-podcasteur Joe Rogan, complotiste antisémite, influence les cœurs et les esprits par centaines de millions.

La liste est sans fin et Tobin arrive à les couvrir tous d’une couche de film extensible. Ils comptent pour rien. D’accord, ils nagent dans la piscine Trump, c’est malheureux, mais n’y prêtez pas attention.

Par ailleurs, les enthousiasmes inspirés par le président imprévisible sont vite périmés. Il va vider Gaza, l’acheter, la transformer en terrain de jeu des riches. Yoffi. C’est la seule solution. Quel courage. Il n’y a que lui qui ose le dire. Oups. Il vient de jurer que personne ne sera expulsé.

Des pourparlers directs avec le Hamas ? Et pourquoi pas ? Ça fait plus de 500 jours qu’on négocie par l’intermédiaire du Qatar, de l’Égypte et qui encore, pour un maigre résultat. Ah, mais Boehler est désavoué. À moitié. Il n’aura pas son titre, mais sa mission demeure : libérer l’otage américain. First.

Notre force est en position de faiblesse

Les soldats sont héroïques et courageux. Les otages sont des héros de l’espoir. Le peuple, résistant, puise dans des ressources extraordinaires. Qu’est-ce qui nous manque pour dompter la cruauté des faibles ?

La guerre de Gaza confirme les théoriciens militaires qui enseignent que dans une époque de guerre totale avec un ennemi qui est le Mal absolu, il n’y qu’une façon de combattre : on se bat pour gagner[3].

Publié dans Tribune Juive le 17/03/25.

[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Abdullah_%C3%96calan

[2] https://www.europe1.fr/international/proche-orient-chine-russie-iran-coree-du-nord-sont-les-quatre-cavaliers-de-lapocalypse-estime-pierre-lellouche-4270629

[3] https://www.jpost.com/opinion/article-845672 (en anglais)

à propos de l'auteur
Nidra Poller, née en 1935 à Jessup, Pennsylvania (USA) vit depuis 1972 à Paris. Sa carrière littéraire débute avec la publication en 1966 d’une nouvelle, « Wedding Party in Piazza Navona » dans la revue Perspectives. Romancière, auteur d’une œuvre de fiction en anglais et en français, elle est connue depuis 2000 comme journaliste. Ses articles ont paru dans une large gamme de publications d’envergure internationale, dont INQUISITR, Tablet, Midah, New English Review, Dispatch International, Commentary, Wall Street Journal Europe, National Post, (Canada) Jerusalem Post, Israel Affairs, Makor Rishon, Standpoint, NY Sun… Parutions récentes : {fiction} Karimi Hotel & autres nouvelles d’Africa, l’Harmattan, 2011 Karimi Hotel & other African equations, authorship intl, 2012 {actualité} Al Dura: Long Range Ballistic Myth, authorship intl, 2013 {à paraître fin 2014} Gaza-Israel Dateline Paris, authorship intl. Notes from a Simple Citizen, authorship intl,
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