Les Juifs iraniens tentent de survivre

Un vent de colère souffle en Iran depuis le 16 septembre, jour du décès de Mahsa Amini, trois jours après son arrestation à Téhéran pour «port de vêtements inapproprié et non-respect du strict code vestimentaire pour les femmes iraniennes». Les émeutes dans les rues ont fait plus de 41 morts après neuf jours de protestations mais le bilan serait plus lourd selon l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo.
Le président Ebrahim Raïssi a appelé «les autorités concernées à agir fermement contre ceux qui portent atteinte à la sécurité et la paix du pays et du peuple». Le ministre de l’Intérieur Ahmad Vahidi, a lui dit attendre du «pouvoir judiciaire qu’il poursuive rapidement les principaux auteurs et meneurs de ces émeutes» qui se sont étendues à plusieurs villes d’Iran.
En Iran, les femmes doivent se couvrir les cheveux et le corps jusqu’en dessous des genoux et ne doivent pas porter des pantalons serrés ou des jeans troués, entre autres. Le parti réformateur de l’Union du peuple de l’Iran islamique a exhorté l’État à annuler l’obligation du port du voile et à libérer les personnes arrêtées. Les manifestations sont marquées par des affrontements avec les forces de sécurité et des véhicules de police sont incendiés par les protestataires qui scandent des slogans hostiles au pouvoir. Amnesty International accuse les forces de sécurité de tirer «délibérément à balles réelles sur des manifestants».
Plusieurs milliers de Juifs vivent encore en Iran. Ultra minoritaires au milieu de la majorité musulmane chiite du pays, ils tentent de rebâtir des ponts avec le reste de la société, coupés au lendemain de la révolution islamique de 1979. Cette communauté juive, dans cette partie du monde qui est le berceau historique du judaïsme, a évolué en fonction des relations de l’Iran avec Israël sachant que du temps du Shah, les relations étaient excellentes.
La population juive en Iran est estimée aujourd’hui à moins de 10.000 personnes. Selon certaines estimations ils ne seraient que 8.300 vivants principalement à Téhéran, et dans les grandes villes du pays, notamment à Chiraz (sud), à Ispahan (centre), à Kermanchah et à Hamedan (ouest). Les Juifs de Téhéran ont été invités à se tenir à distance des synagogues, par sécurité.
Les Juifs iraniens disposent d’associations et d’institutions, dont la plus importante est le Comité juif de Téhéran, régi indépendamment par un conseil d’administration juif. La population juive s’est réduite par l’émigration de milliers de Juifs vers les États-Unis après la Révolution de 1979. Bien qu’Israël ait été la principale destination d’émigration des Juifs dans le monde pour raison sécuritaire, ceux d’Iran étaient moins motivés pour s’installer en Israël.
D’abord le sentiment patriotique et l‘attachement au pays natal sont solides. Ensuite sont parvenues à eux les informations concernant la discrimination d’Israël envers les Juifs orientaux. Enfin il ne fait aucun doute que les perspectives d’une vie plus confortable aux États-Unis, ont fait de l’Amérique la première destination des Juifs iraniens.
La question vient immédiatement à l’esprit : que font encore les Juifs dans les pays musulmans ou arabes ? Pourtant la création de l’État d’Israël a transformé ceux qui y vivaient depuis des siècles, en sionistes donc en ennemis potentiels, aux yeux des dirigeants musulmans. Ils sont peu nombreux ceux qui sont restés pour des motifs souvent matériels, parfois sentimentaux car on ne quitte pas son pays natal de bonne grâce.
Israël est préoccupé par la situation des quelques 8.300 Juifs iraniens sur les 100.000 qui vivaient avant la révolution. Ce ne sont certainement pas les conditions de vie dans un pays fermé, politiquement instable, religieusement sclérosé, dramatiquement anachronique, qui les poussent à rester. D’autant plus, qu’ils resteront toujours suspects d’être soit des provocateurs sionistes, soit pire, des espions à la solde de «l’entité sioniste».
Le rabbin Yéhouda Gerami, dont la parole n’est certainement pas libre, peut fustiger le Premier ministre israélien et les Sionistes dans un communiqué en hébreu diffusé lors de la journée Al-Quds : «Vous ne représentez pas le judaïsme. Nous condamnons fortement vos actions agressives et nous voulons le dire au monde entier : Il y a une grande différence entre le judaïsme et le sionisme». Il est difficile de jeter la pierre au rabbin qui est en fait plus à plaindre car il parle sur ordre des mollahs.
En écho, Homayoun Sameyah, représentant des Kélimiens (juifs) iraniens au Parlement a déclaré : «Ce régime ne comprend pas le langage de la diplomatie et nous devons parler à ce régime avec le langage de la force. L’expérience nous a montré qu’à chaque fois que des pays ont essayé de parler au régime sioniste par la diplomatie, cette méthode était inefficace contre les sionistes, et les actions du régime ont montré qu’il fallait lui parler par la force. Comme nous l’avons vu, depuis les dernières décennies, jamais le compromis, ni les négociations avec le régime sioniste n’avaient utilité et ils n’ont porté rien. Aujourd’hui il paraît que la seule façon d’affronter ce régime est la Résistance armée du peuple palestinien. Les relations diplomatiques et politiques de certains pays arabes avec le régime sioniste sont vouées à l’échec, et un sort amer attend ces pays. Les récents affrontements entre le peuple palestinien à la mosquée d’al-Aqsa et les forces militaires du régime sioniste ont montré qu’il est opposé aux relations diplomatiques avec Israël et qu’il condamne tout compromis et relations diplomatiques avec le régime».
Ce sont deux citoyens malheureux qui ne sont pas crédibles car ils parlent soit sous la contrainte, soit sous l’emprise d’un zèle télécommandé. Il est clair qu’ils sont instrumentalisés par le régime, qui se veut l’ennemi héréditaire d’Israël. Ils représentent cependant deux autorités sur lesquelles les Juifs peuvent s’appuyer. En tant qu’homme non politique, le Grand rabbin est le seul interlocuteur entre les mollahs et ses ouailles.
Mais malgré la position de dhimmis des Juifs, l’Iran s’attaque par lâcheté à présent aux quelques-uns qui n’ont pas choisi l’exil mais qui ont de la famille en Israël. Une loi vient d’être votée par le parlement pour transformer les contacts avec les familles en Israël en infraction pénale. La peine, à la discrétion du juge, pourrait aller de six mois à deux ans de prison, 31 à 74 coups de fouet ou 1.200 à 4.800 dollars d’amende.
En Israël vivent des Iraniens qui ont fait leur alyah au lendemain de la Révolution et qui seront définitivement coupés de leurs familles restées en Iran. La communauté juive était prospère et respectée sous le règne du Shah. Mais après l’arrivée de Khomeiny, certains ont été considérés comme complices de l’ancien régime et ont été exécutés. Ils ont été donc nombreux à fuir vers Israël, le Canada et les États-Unis entraînant un traumatisme par suite de la rupture des familles et de la difficulté de réinsertion à l’étranger.
Les échanges téléphoniques et les appels WhatsApp permettaient aux enfants vivant en Israël de communiquer avec leurs parents. Ils ne pourront plus le faire sans enfreindre la loi et subir les conséquences de cette interdiction. Les lettres vers Israël, qui passaient par des pays tiers, vont se raréfier voire être totalement stoppées. Les fêtes familiales à l’étranger, sous prétexte de vacances en Turquie, sont désormais impossibles.
Malgré la pandémie du coronavirus et la situation économique écroulée, les Juifs continuent à rester dans une situation difficile, parce qu’ils n’ont peut-être pas de solution d’avenir. Pourtant le régime iranien se targuait d’être contre le sionisme et non contre le judaïsme. Mais cette nouvelle loi affecte les Juifs iraniens vivant en Iran et en Israël ; il est difficile de ne pas la qualifier de loi raciste.
Les tombeaux d’Esther et de Mardochée à Hamadān restent leur lieu de pèlerinage. La reine Esther, qui a vécu au Vème siècle avant J.-C, dans ce qui allait devenir l’Iran, est la preuve que les Juifs étaient autrefois installés dans la région sans y être brimés. Les membres de la communauté vieille de 2.700 années, descendent des Juifs qui ont préféré rester dans la région après l’exil à Babylone quand le roi perse Cyrus II, dit Cyrus le Grand, les a autorisés à retourner à Jérusalem pour y reconstruire le temple détruit par Nabuchodonosor. Aujourd’hui, ils ne sont plus que quinze, qui se réunissent tous les samedis dans la synagogue d’Hamadān, à trois cents kilomètres de Téhéran, juste un petit «myniane» pour prier.
Mais ce n’est pas la première fois que les Juifs d’Iran sont victimes de décrets humiliants leur imposant de vivre dans des habitations plus basses et plus modestes que celles des musulmans, de ne pas porter de beaux habits, voire de mettre des chaussures dépareillées. Mais depuis la Révolution de 1979, ils jouissent de la liberté de culte. En fait, ils sont tolérés, à condition de se montrer discrets et de ne pas protester même quand l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad avait déclaré que «le mythe du massacre des Juifs est une invention occidentale». Ils sont exclus de l’armée et de la fonction publique et sont principalement établis à Téhéran, Ispahan et Chiraz.
Ils ont à présent du mal à supporter de vivre dans un pays qui proclame à longueur de journée qu’il est l’ennemi héréditaire d’Israël et dont les chaines de télévision parlent dans leurs émissions des crimes commis par les «sionistes». Il est à craindre que les Iraniens les utilisent en fait comme des otages pour se prémunir contre une attaque éventuelle d’Israël visant les installations nucléaires.
Article initialement publié dans Temps et Contretemps.