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Les Juifs de Rhodes : ce peuple disparu

Frank-David revient sur l'histoire des siens - les derniers déportés à la fin de la guerre, en août 1944

Vous n’avez certainement jamais entendu parler des Juifs de Rhodes. Ils ont été les derniers à être déportés à la fin de la guerre, en août 1944. Aujourd’hui, je fais partie des quelques centaines de descendants à travers le monde de cette communauté disparue.

J’ai toujours entendu mes amis juifs parler de leurs origines, taquiner les comportements typiques de leurs proches (comme le faisait Elie Kakou), l’accent de leurs grands-parents, les expressions en arabe qu’ils ont l’habitude d’entendre à la maison, parler des spécialités qu’ils mangent chez eux : fricassés, moulouhia, pkaila, dafina, gnaouilla, etc.

Je me moquais aussi de l’accent de ma grand-mère mais à part mes soeurs et mes cousins, personne ne pouvait trouver vraiment ça drôle. Les expressions n’étaient pas en arabe mais en ladino, un mélange d’espagnol et d’hébreu que quasiment plus personne ne comprend.

Je peux vous parler toute la journée de nos plats typiques mais vous ne pourrez pas me répondre que votre mère les fait mieux que personne : les yapraks, les boyos, les boreks, etc.

Pour la première fois de ma vie, je suis allé avec toute ma famille à Rhodes. Nous en avions entendu parlé toute notre vie : sa mer Egée, son climat, ses petites rues, sa vie paisible, etc. Nous voulions voir. Nous avons trouvé un quartier fantôme, comme des ruines d’un peuple disparu.

D’autres juifs séfarades

Je ne compte pas le nombre de fois où on m’a demandé : T’es Tunisien ? non… T’es Marocain ? non… Ah t’es Algérien alors ? non… non plus… T’es ashkénaze ? ….

Contrairement à ce que pensent beaucoup de juifs, les juifs qui ont été expulsés d’Espagne à la fin du XVe siècle par la Reine (les juifs séfarades) n’ont pas uniquement été vers l’Afrique du Nord. Certains ont été ailleurs, plus loin encore, et notamment sur l’Ile de Rhodes.

C’est donc depuis le début du XVIe siècle qu’une communauté juive s’est installée sur l’Ile de Rhodes. Au début du XXe siècle, la communauté juive de Rhodes comptait environ 6 000 personnes sur une population totale de 30 000 personnes à Rhodes.

16 août 1944 : 500 années d’histoire effacées en une journée

Le 16 juillet, les Allemands ordonnent à tous les hommes juifs de Rhodes de se présenter au centre de commandement de l’armée de l’air. Ils sont arrêtés.

Le 18 juillet, les Allemands ordonnent aux femmes et aux enfants juifs de rejoindre les hommes déjà arrêtés sous peine d’exécuter les hommes s’ils ne le font pas.

Le 23 juillet, les sirènes retentissent dans tout Rhodes – comme lors des bombardements – pour appeler la population de l’Ile à se protéger dans les abris. En réalité, c’est une diversion pour que la population de Rhodes ne voie pas les juifs partir.

Après plusieurs jours de bateau et quelques jours au camp d’Haidari, les 2 500 juifs de Rhodes prennent le train depuis Athènes vers Auschwitz.

Le 16 août 1944, les juifs de Rhodes sont les derniers juifs à arriver à Auschwitz. Environ 350 hommes et 250 femmes sont sélectionnés pour « travailler ». Les 1 900 autres sont gazés le jour de leur arrivée.

C’est ce jour-là, que ma grande cousine Alice Tarica, 14 ans, qui faisait partie des 250 femmes sélectionnées, a perdu ses parents, son frère jumeau et ses sœurs. Alice était la seule rescapée d’Auschwitz de ma famille. Elle a été recueillie par son oncle, mon grand-père, à la libération qui l’a élevée comme sa fille.

Samy Modiano : Le dernier juif de Rhodes ?

En allant à la veille synagogue de Rhodes, nous avons croisé Samy Modiano.

Lorsque j’ai entendu Samy parler, j’ai eu comme un électrochoc, il avait exactement le même accent que ma grand-mère que je n’avais pas entendu depuis qu’elle est décédée il y a 17 ans. C’est absurde mais elle était la seule dans mon esprit à avoir cet accent…

Samy a été déporté à Auschwitz et faisait partie des 350 hommes qui ont été choisis pour travailler. Il a survécu. Aujourd’hui, il transmet le souvenir et souhaite nous faire prendre conscience de la lourde responsabilité dont nous héritons tous : les témoins des témoins.

Ma nièce Laura qui a 13 ans, le même âge que Samy quand il a été déporté, a été également très émue de le rencontrer et a souhaité partager son témoignage avec ses amis. Il faut croire que l’action de Samy n’est pas vaine. Voici un extrait de son texte :

« Nous avons rencontré Samy « Samuel » Modiano, rescapé des camps de concentration, « matricule B-7496 ».

Déporté à Auschwitz le 24 juillet 1944 à seulement 13ans, il y a perdu toute sa famille. Il habitait donc à Rhodes, où il préparait sa Bar Mitzvah au côté de sa famille. Finalement, il a fait sa Bar Mitzvah, mais à Rome, à 77ans, soutenu par la communauté juive de Rome, sans sa famille, seulement entouré par des personnes qui pleuraient.

Il a survécu aux camps, il pesait seulement 23 kilos, à 14 ans. Tout le monde pensait qu’il était mort, il fut jeté dans une fosse commune, (fosse dans laquelle on jetait les juifs morts dont l’identité était inconnue). Heureusement, quelqu’un a vu qu’il était vivant et il a été sauvé.

Aujourd’hui, il veut raconter ce qu’il s’est passé, pour qu’on s’en souvienne et que ça ne se reproduise plus jamais. Il transmet son expérience aux générations suivantes, qui devront la transmettre à celles d’après et ainsi de suite.

« On l’a payé cher d’être juif, mais on est encore là ». Je m’en rappellerai de son témoignage, rappelez-en vous aussi, et pensez-y quand vous entendez des propos antisémites »

Où vivent les juifs originaires de Rhodes aujourd’hui ?

Avant la guerre et au début de la guerre, certains juifs de Rhodes ont émigré pour le travail en Afrique et notamment au Congo et en Afrique du Sud. La majorité des descendants des juifs de Rhodes sont d’ailleurs en Afrique du Sud ou au Congo aujourd’hui. Ma famille aurait dû se trouver là-bas aussi si le destin ne les avait pas retenus à Paris. D’autres sont en Belgique, en France ou encore aux États Unis.

Parmi les coïncidences heureuses, nous avons croisé à Rhodes Tony Randel et sa famille, dont la grand-mère était la sœur de mon grand-père. Elle a eu la très bonne idée de partir de Rhodes pour aller vivre aux États-Unis avant la guerre. Tony habite Los Angeles et travaille dans le cinéma.

Pendant cette rencontre, je ne pouvais m’empêcher de penser à cette devinette très connue, typique de l’humour juif : « Quelle différence y a-t-il entre un juif pessimiste et un juif optimiste ? Le juif pessimiste a fini à Hollywood et le juif optimiste à Auschwitz. »

L’illustration était tragiquement parfaite.

Et la Juderia de Rhodes aujourd’hui ?

Il n’y a plus de juifs à Rhodes aujourd’hui. Le quartier juif – la juderia – est encore là mais les maisons sont vides, en ruine, ou habitées par des gens qui s’y sont installés quand les juifs ont été déportés. Des gens d’ailleurs assez à cran quand ils voient des juifs visiter le quartier… Ça ne doit en effet pas rendre très détendu d’avoir profité d’une tragédie pareille pour s’approprier une maison qui n’est pas la sienne.

Les juifs de Rhodes ont donc été mais ils ne sont plus. Les derniers d’entre eux s’éteignent et quand ma génération ne sera plus là, ils auront complètement disparu. Je voulais ici leur rendre hommage.

à propos de l'auteur
Moi en quelques hashtags : #français #juif #athée #laïc #sioniste #geek #startuper
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