Les JO de Paris, Israël et les réseaux sociaux : les liaisons dangereuses ?

L'Israélienne Avishag Semberg quitte le ring après avoir battu la Turque Rukiye Yıldırım pour remporter une médaille de bronze lors du match de taekwondo féminin de 49 kg aux Jeux olympiques d'été de 2020, le samedi 24 juillet 2021, à Tokyo, au Japon. (Crédits : AP Photo/Themba Hadebe).
L'Israélienne Avishag Semberg quitte le ring après avoir battu la Turque Rukiye Yıldırım pour remporter une médaille de bronze lors du match de taekwondo féminin de 49 kg aux Jeux olympiques d'été de 2020, le samedi 24 juillet 2021, à Tokyo, au Japon. (Crédits : AP Photo/Themba Hadebe).

Les réseaux sociaux sont un nouveau champ de bataille. Le déserter, c’est d’une certaine manière capituler. Pour illustrer les mécanismes de désinformation et ridiculiser les fauteurs de haine, j’ai monté une petite expérimentation sur X (ex-Twitter) à propos des JO de Paris et de la délégation israélienne. C’est Thomas Portes, le député LFI, bien involontairement, qui m’en a donné l’idée.

Préambule : Avant toute chose, je voudrais présenter mes excuses sincères pour cette petite facétie qui, pour le besoin de l’étude, m’a contraint de poster une information erronée sur X / Twitter. J’espère qu’il ne m’en sera pas tenu rigueur. Si elle en emprunte la méthodologie, ce n’est pas une véritable étude scientifique, juste une approche pragmatique, une illustration.

Les Jeux Olympiques (JO) 2024 de Paris, évènement mondial célébrant le sport et la paix entre les nations, n’ont pas échappé aux malveillances des acteurs du chaos. Tout est bon pour l’AgitProp (agitation/propagande) et faire le buzz : des propos incendiaires de Thomas Portes, largement relayés par les réseaux sociaux, mettant une cible sur le dos de la délégation israélienne, en passant par les fake news sur l’impréparation, jusqu’au sabotage des lignes à grande vitesse de la SNCF. Les réseaux sociaux, souvent seule source « d’information » d’une partie de la population, sont devenus un vecteur clé de la désinformation où prédominent l’émotion et l’immédiateté, volontiers sur un mode violent, au détriment de l’analyse, de la réflexion et du débat. Par un malheureux effet rebond, les médias traditionnels empruntent souvent les mêmes travers. Aussi, j’ai voulu par une petite expérimentation exposer les mécanismes sous-jacents, pour aider les internautes sincères désirant s’informer ou influer, et renvoyer la politesse aux fâcheux dont la haine est le fond de commerce.

L’étude 

Afin de simuler l’actualité et susciter l’émotion, j’ai posté dans l’après-midi du 26 juillet, plusieurs heures avant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, le message suivant : « 1ère Médaille Olympique pour #Israël en #Taekwando aux #JO de #Paris : Avishag Semberg, 19 ans comme toutes les jeunes filles de son âge sert dans les #FDI. Ça va pas faire plaisir à LFI ! ». Le tout illustré par une photo de la jeune athlète souriante, en kimono, arborant un drapeau bleu et blanc avec l’étoile de David. Image qui a fait le tour du monde lors des JO reportés de Tokyo en 2021. A priori, si l’on s’accorde quelques secondes de réflexion, il est difficile de le prendre au premier degré.

Pour faire bonne mesure, j’ai publié, dans le même temps, plusieurs commentaires qui ne laissaient aucun doute sur le fait qu’il s’agissait d’un canular, tel que : « Excusez-moi pour mon trait d’humour… à l’égard de LFI. Je n’ai pas pu résister. En fait, cet évènement se passait en 2021… »

Enfin, j’ai posté un correctif 3 heures après, à titre de « témoin » pour l’étude, et pour en mesurer l’impact : « Chers amis par cette facétie (la cérémonie d’ouverture n’a pas eu lieu), je désirais répondre aux torrents de haine déversés sur la délégation d’#Israël par #LFI ou d’autres, et mettre un peu de baume au cœur aux honnêtes gens. Que les meilleurs gagnent et la Paix aux #JO ! »

Résultats 

Mon post initial, suscitant des interactions quasi-instantanées, a eu une progression exponentielle. Après une journée, ce post :

  • totalisait plus de 73,9K vues,
  • dépassait les 5K likes et
  • 1,1K reposts.

Après seulement quelques heures, la republication d’une personnalité politique de premier plan atteignait :

  • 188K vues,
  • 3,4K likes,
  • 703 reposts,
  • 702 commentaires, parmi lesquels l’inénarrable Aymeric Caron.

Et le compteur ne cesse de grimper malgré l’évidence de la supercherie !

Par contre, mes autres messages ont eu une progression lente et plus linéaire, avec des scores modestes :

  • 8K vues,
  • 60 likes,
  • 8 reposts,
  • 18 commentaires.

C’est à dire qu’ils sont passés complètement inaperçus, tout comme mon erratum :

  • 488 vues,
  • 23 likes,
  • 8 reposts,
  • 3 commentaires.

La typologie des comptes n’a rien d’aléatoire. Dans un premier temps, si pour les likes, les profils sont diversifiés, tant sur l’orientation politique que pour leur position sur le conflit opposant Palestiniens et Israéliens, il n’en va pas de-même pour les retweets et les commentaires, le plus souvent polémiques, insultants voire menaçants (contenu disponible en ligne). Prédominent, les faux profils, souvent anonymes, avec peu de followers, au contenu stéréotypé, semblant se répondre les uns aux autres, et créant l’illusion d’un échange. Ce qui n’empêche pas d’authentiques abonnés de tenter de participer à la discussion, ou pour « cracher ma haine » comme me l’a confié un intervenant.

Puis, dans un second temps, lorsque le post a atteint une visibilité suffisante, les « influenceurs » et autres « trolls » rentrent dans la danse, en majorité pour mettre de l’huile sur le feu (s’ils mettaient autant de créativité pour la paix entre les peuples…). Des personnalités publiques rejoignent également ce concert dissonants, le plus souvent pour dénoncer les excès et soutenir les athlètes ou indiquer qu’il s’agit d’une fake news. Malheureusement, ce n’est pas le cas de toute la classe politique.

Enfin, les tartuffes comprenant, mais un peu tard, qu’ils ont été grugés, se drapent dans les habits de la vertu outragée pour me reprocher mon ignorance, ou un procédé indigne, qu’ils utilisent pourtant abondamment.

Interprétation

Mon message a été construit de façon à être facilement et rapidement repérable dans l’immensité des posts déversés en continu sur le réseau social. Il intégrait deux actualités (les JO et Israël), incluait des #hashtags pour les mots clés de référencement, et une photo à fort contenu émotionnel donnant une image positive de l’Etat hébreu. La progression observée est artificielle, car exponentielle, alors qu’elle devrait être linéaire comme pour mes autres tweets servant de témoins dans l’étude. Une intervention extérieure, (une ou plusieurs entités) utilisant des robots ou « bots » et des « trolls » (personnes travaillant sous pavillon ou se servant de la toile comme exutoire), est probablement à la manœuvre. L’excès de faux profils en est une autre confirmation. Peu importe que le contenu soit réel ou simulé, qu’il ait été admis et démontré qu’il s’agissait d’une fake news, il a fait le buzz et continue à le faire !

Cette petite étude est une façon d’illustrer les mécanismes sous-jacents. L’enjeu est de créer une ambiance délétère, d’influencer des évènements, des élections, instiller le doute, la peur dans les populations. Ce sont des moteurs très puissants de déstabilisation. Quel que soit notre niveau socio-culturel, notre profession, notre âge, notre pratique des réseaux sociaux, nous sommes toutes et tous perméables à un moment ou sur un sujet donné, et donc manipulables !

Conclusion

Les démocraties sont des mécaniques fragiles, contraintes dans leurs actions de respecter l’État de droit. Leurs idées, leur mode de vie, leur liberté, dérangent les régimes totalitaires, les extrémistes politiques et les fondamentalistes religieux, qui ne sont pas tenus aux mêmes limites. Au-delà des conflits armés, la guerre hybride fait rage au niveau global. Si dans « l’art de la guerre » de Sun Tzu, l’information est un élément fondamental, aujourd’hui, dans un monde de post-vérité, c’est la désinformation qui est devenue stratégique, et nos démocraties n’ont pas appris à s’en prémunir. Les réseaux sociaux sont devenus le champ de bataille de la manipulation des masses par excellence, car invisible et à effet prolongé. Ils altèrent la réalité, la rend moins crédible que les théories complotistes, et chacun s’y sent libre de tous les excès.

Ce qui a fait dire à Umberto Eco[1] :

Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel.

Pourtant, le web est également un univers extraordinaire où circule des trésors. Il est donc impératif de se le réapproprier. Pour naviguer dans ce monde, il faut en maîtriser les règles, prendre du recul avec les contenus et le temps de la réflexion. C’est à ce seul prix que nous donnerons tort à l’auteur du « Nom de la rose » !

[1] Umberto Eco attacca i social: « Internet ha dato diritto di parola agli imbecilli »

à propos de l'auteur
Hagay Sobol, Professeur de Médecine est également spécialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les individus et les filières djihadistes. Ancien élu PS et secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée, il est vice-président du Think tank Le Mouvement. Président d’honneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses années à travers le collectif Tous Enfants d'Abraham.
Comments