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Les institutions féministes face aux victimes de viols du 7 octobre : Un silence bien trop assourdissant

“Il ne s’agit pas des bonnes victimes, il ne s’agit pas des bons bourreaux”.

Cette phrase prononcée par le journaliste français, Eric Naulleau, lors d’une émission télévisée, tente d’expliquer l’absence de condamnation des associations internationales féministes concernant les viols systématiques perpétrés sur des femmes israéliennes lors de l’attaque du Hamas sur le sud du pays le 7 octobre 2023. [1]

Sa déclaration soulève une question récurrente en victimologie : qu’est-ce quu définit une bonne victime ? Qu’est-ce qui caractérise un véritable agresseur ?

Cette question est déjà présente et est discutée par les victimologies dès les années 60.

Selon la victimologie classique, il y aurait un degré de participation de la victime aux actes criminels qu’elle subit. La victime peut précipiter le crime. La seule bonne victime ou « victime idéale » serait une victime parfaitement innocente qui n’aurait rien à se reprocher dans le déroulement de l’agression. [2] La victime serait agressée alors qu’elle se trouve dans une situation qui lui est habituelle à une heure « décente » de la journée, par un individu grand, fort et cruel, qu’elle ne connaît pas. Cette victime est forcément faible et vulnérable pour être agressée, mais assez forte pour porter plainte.

Décrite par le criminologue Nils Christie, [3] cette notion de victime idéale a été sévèrement critiquée par les auteurs féministes. Ainsi selon Susan Estrich[4], dans le contexte de la victimologie classique, la victime idéale ne peut pas être une femme. En comparant la notion de victime idéale avec la notion juridique de « reasonable man » (l’homme raisonnable) [5], cette auteure démontre, dans son ouvrage, the real rape, que le seul fait d’être une femme l’exclut automatiquement de la catégorie de la victime idéale. Toute femme porterait en elle une part de culpabilité lorsqu’elle est agressée. [6]

Cette vision de la victime en partie responsable, est largement remise en cause par les auteurs féministes. La victimologie traditionnelle ne défend pas les victimes. Au contraire, elle institue leur culpabilité [7]. Les auteurs féministes rappellent que la victime est par essence innocente.[8] Le viol n’est pas un acte solitaire, déclenché par le comportement de la victime. Il s’agit d’un outil de domination d’une personne sur une autre, [9] une invasion sexuelle du corps par la force, en l’absence de tout consentement. Cette intrusion constitue pour l’auteure féministe américaine Susan Brownmiller une « violation délibérée de l’intégrité psychique et physique, et un acte hostile et dégradant de violence ».[10] Cet acte est composé de trois éléments : le sexe, la violence et la domination.[11]

D’après les différents témoignages des victimes, les attaques terroristes perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 fournissent des preuves évidentes que le viol a été utilisé comme arme de guerre.[12] Ces actes s’apparentent aux viols de masse : des viols systématiques utilisés comme une arme de combat. Les viols de masse sont rigoureusement réprimés en vertu de l’article 27 de la Convention de Genève qui stipule entre autres : « Les femmes seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur ». A cet article s’ajoute l’article 76 du protocole de la convention de Genève qui énonce : « Les femmes doivent faire l’objet d’un respect particulier et seront protégées, notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et toute autre forme d’attentat à la pudeur ».

Les actes commis lors des attaques perpétrées par le Hamas rentrent clairement dans le champ d’application de ces articles. Pourtant, au jour où j’écris ces lignes ni les institutions internationales, ni les mouvements féministes n’ont décrié ces viols et les autres atteintes faites aux femmes depuis le 7 octobre 2023. Par leur silence, ces mouvements féministes qui dénonçaient les théories de « victimes idéales » et de victimes responsables, font le jeu de ces mêmes théories de victimes pas complètement innocentes probablement en raison de leur nationalité. En parallèle, leurs agresseurs ne peuvent pas être considérés de manière formelle comme des bourreaux puisqu’ils sont Palestiniens issus d’un peuple considéré lui-même comme victime.

Une question se pose : Le viol, la torture le meurtre peuvent-ils être justifiés par le statut de victime qu’ils véhiculent traditionnellement ?

D’après les théories développées par les auteures féministes nord-américaines, le viol constitue un crime, il est une utilisation, une dégradation des corps. Il ne devrait pas avoir de « parce que ». Aucun argument ne devrait justifier le viol.

Par leur silence, les institutions féministes et internationales s’opposent à leur propre argument.

Par leur silence, ils refusent de reconnaître le statut de victimes, à des personnes violées et torturées. Toutes les théories défendues depuis plus de 50 ans semblent s’éteindre face à la peur de prendre parti dans un conflit trop complexe.

Le viol même lorsqu’il est commis sur fond de conflit reste un viol. Défendre des victimes israéliennes ne revient pas à prendre position. Cela revient simplement à rejeter des actes abominables. Le seul est unique coupable doit rester l’agresseur. Les institutions féministes quelle que soit leur nature, devraient sortir de ce silence, bien trop assourdissant. Elles doivent pouvoir écouter toute victime de viols, sous peine d’adopter ce contre quoi elles luttent depuis plus de 50 ans : la culpabilisation des victimes.

[1] “Ce ne sont pas les bonnes victimes, ni les bons bourreaux”, Punchline, Cnews, Europe 1, 10 of November 2023, available at https://www.youtube.com/watch?v=Lz593u_RLAs
[2] CHRISTIE Nils, « The Ideal Victim », in FATTAH Ezzat A.(ed.) From Crime Policy to Victim Policy, New-York, Basingstoke, Macmillan, 1986, 329 p., (pp. 17-30).
[3] Id.
[4] ESTRICH Susan, Real rape, Cambridge, Harvard University Press, 1987, 176 p., p. 65.
[5]  L’équivalent en droit français du « bon père de famille » qui agit selon le bon sens et les bonnes mœurs.
[6] Estrich, S. (1987). Real rape. Harvard University Press.
[7] BEVACQUA Maria, Rape on the Public Agenda: Feminism and the Politics of Sexual Assault, Boston, Northeastern university press, 2000, 280 p. COLLETTE- CARRIÈRE Renée, « La victimology et le viol, un discours complice », Criminologie, 1980, vol. 13, n° 1, 1980, (pp. 60-79), p. 64 ;
[8] BARIL Micheline, L’envers du crime. op cit., p. 192.
[9] COLLETTE- CARRIÈRE Renée, « La victimologie et le viol, un discours complice », Criminologie, 1980, vol. 13, n° 1, 1980, (pp. 60-79), p. 64.
[10] BROWNMILLER Susan, Le viol, Paris-Montréal, l’Étincelle. Stock-Éditions, Édition française, 1976, p. 456.
[11] BRENNER Hanna, «Beyond Seduction: Lessons Learned about Rape, Politics, and Power from Dominique Strauss-Kahn and Moshe Katsav», 20 Michigan Journal of Gender & Law, 2013, (pp. 225-290), p. 226.
[12] Horowitz, Shale. « Why Israel Is Judged Differently. » Middle East Quarterly (2023); ‘Jack topper, Not just killed, cruelly mutilated’: Witness describes assault of women on Oct. 7, cnn news, 17 of November 2023 https://www.cnn.com/videos/world/2023/11/16/sexual-violence-israeli-women-hamas-attack-tapper-pkg-lead-vpx.cnn; Haaretz, Why Is the Cruel Sexual Violence of the October 7 Hamas Attack Being Ignored?, 14 of November 2023, https://www.haaretz.com/israel-news/podcasts/2023-11-14/ty-article-podcast/why-is-the-cruel-sexual-violence-of-the-october-7-hamas-attack-being-ignored/0000018b-cdbe-d423-affb-ffbfe0d20000.

à propos de l'auteur
Docteur en droit, Maitre de Conférence au Collège Académique du Galil et chercheuse à l'université de Bar Ilan. Beatrice est Chair du groupe de recherche sur le victimologie de l'association européenne de Criminologie. Domaine de spécialisation : Le droit de la rue, la procédure pénale comparée; la participation des victimes au procès; droit, mémoire collective et traumatisme. Beatrice mêle la recherche en droit à la création de projets sociaux. Née en France, mariée et mère de 4 enfants, elle vit en Israël depuis plus de vingt ans.
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