Les Gouttenoire, une famille Soussienne

Sousse est l’une des rares villes de Tunisie et peut être unique ou il existe un château dont l’architecture et la construction remontent au tout début du 20e siècle (1895/1900).

« La villa du Sahel » puisque c’est son nom est située dans le quartier populaire de « la Souisse » à quelques centaines de mètres du cimetière musulman de la route de Sousse à Monastir.

Le nom de cette villa provient de son appartenance à la Société des Huileries du Sahel Tunisien qui l’avait fait construire pour y loger son directeur.

Cette villa n’a pas été construite dans un quartier populaire par hasard. Il fallait en effet que le directeur qui l’occupait soit logé à quelques centaines de mètres de l’usine située en contrebas. Ainsi sur un simple appel téléphonique du gardien, Jean Gouttenoire pouvait être sur place en quelques minutes.

Cette usine en effet était très sensible. Pour extraire chimiquement de l’huile des grignons (résidus de la peau et des noyaux des olives pressées) on utilisait du sulfure, produit très inflammable et quasi impossible à éteindre. De telle sorte que des incendies se produisaient fréquemment.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette usine, la plus importante de Sousse, avait été édifiée en périphérie de la ville, loin de toute habitation. Avec l’huile produite, impropre à la consommation l’usine fabriquait du « savon de Marseille en barres de 1kg.

Outre l’usine en elle même, le terrain comportait un parc autour de la « villa du Sahel », des logements pour du personnel tout autour, un terrain de tennis, un chenil car M. Jean Gouttenoire, le directeur de l’usine était grand chasseur et possédait beaucoup de chiens, et un grand potager.

Le parc comme on le devine sur la photo était complanté d’eucalyptus et de palmiers.

Jean Gouttenoire avait deux fils. Georges né en 1903 à Sousse et Henry né en 1904 à Sousse également. Ces deux fils dont l’un, Georges, dirigea la première centrale électrique de Sousse, étaient très proches. Ainsi, ils ont constitué l’un des premiers doubles de tennis de Sousse et ont même été champions de tennis d’Afrique du Nord du double en 1919.

Georges et Henry avaient une autre passion : la naturalisation des oiseaux. Ainsi leur importante collection d’oiseaux naturalisés atteignait 1500 pièces qui plus tard fut vendue au musée de Nice pour Georges fin des années 70. Une cinquantaine de pièces ont été données au lycée de jeunes filles de sousse ou elles se trouvent peut être encore.

Les jeunes frères Gouttenoire étaient officiers de réserve et en tant que tels participaient régulièrement aux festivités qui étaient organisées pour accueillir les équipages des navires de guerre en escale à Sousse. Pour l’occasion des bals populaires, des tournois de tennis et des promenades dans bled arbi (la ville arabe) égayaient la ville.

Il faut dire qu’on ne manquait pas de militaires à Sousse ! Garnison très importante, la ville comportait trois régiments : le 4e régiment de tirailleurs tunisiens, le 1er régiment étranger de cavalerie, et enfin le 10e régiment d’artilleurs Sénégalais.

Pour occuper toute cette troupe à Sousse des courses hippiques étaient régulièrement organisées au champ de course. Je ne suis malheureusement pas parvenu à identifier clairement ce champ de course mais je pense qu’il était situé route de Kaala Sghira.

Les deux frères Gouttenoire, champions de tennis comme on l’a vu, créèrent avec d’autres, le tennis club de Sousse et la fille de Henry, Christine en fut une licenciée célèbre puisqu’elle remporta des compétitions importantes au milieu des années 50. Elle vit toujours et elle nous honore de sa confiance depuis des années.

La villa du Sahel tout comme la société des Huileries du Sahel Tunisien furent vendues en juin 1959 et Henry qui dirigeait l’usine depuis la mort de son père Jean déménagea pour la villa de son frère Georges. Ce dernier dirigeait la centrale électrique et avait fait édifier route de Bouhsina une magnifique propriété qui existe toujours et qui fut par la suite vendue au ministre Ahmed Nourredine.

Les Gouttenoire, des industriels et des sportifs amoureux de la nature, travailleurs infatigables et discrets participaient à de multiples actions pour scolariser les enfants de familles déshéritées.

De leur présence à Sousse, ils ont finalement laissé trois traces encore visibles aujourd’hui : le tennis club de Sousse qui est d’une grande vitalité, la villa du fils d’Ahmed Nourredine, merveilleusement entretenue, véritable joyau du Sahel, et la « villa du Sahel » qu’il serait judicieux de protéger. Elle appartient tout comme le terrain de l’ancienne usine à une famille honorable de Sousse.

La municipalité a créé des rues aux noms d’illustres Soussiens tels qu’Yvonne Bessis, Ichoua Ghouila Houri et l’avocat Setbon il y a quelques années. Une « rue des frères Gouttenoire » ne serait pas superflue tant l’histoire industrielle et sportive de cette famille dit une grande part de l’histoire de Sousse…

à propos de l'auteur
Né en 1963 à Paris il est collaborateur de plusieurs hommes politiques français avant d'intégrer une compagnie d'assurances entre 1984 et 1994 puis dirige un cabinet de courtage en Afrique de 1994 à 2001. A Bordeaux il dirigera les campagnes électorales de plusieurs élus et sera commissaire d'une importante exposition d'art africain en 2000. Depuis 2007 il est le gérant d'Axys biens étrangers en Tunisie chargée de recenser et de mettre à jour les titres immobiliers ayant appartenu aux juifs de Tunisie et de les vendre.
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