Les fêtes d’automne
Tout passe, tout casse, tout lasse… Cà sonne bien en français, Et puis, c’est vrai : on ne voit pas le temps passer. Hier encore nous étions en 5774… aujourd’hui en 5775 tout en restant en 2014. Enfin, c’est à voir: les Musulmans sont en 1435 et les Assyriens chrétiens d’Irak sont au mois d’Iloul 6764.
« Car mille ans, à Tes yeux (ceux du Créateur), sont comme le jour d’hier / כי אלף שנים בעיניך כיום אתמול » (Psaume 90, 4). Pas évident quand les jours doivent être bouclés en 48 heures.
Pour peu que l’on aie deux Shekels Israéliens Nouveaux (!) de neurones, on se demande où tout cela va nous mener. En fait de nouveauté, on préfère le passé, quitte à n’y voir que ce qui nous convient.
C’était hier le Chabbat « Chouvah/שובה » que l’on traduit par « retour à Dieu ». Il est plus difficile de dire qu’on le perçoit comme un saut à l’élastique que de le considérer surtout un comme un « renouvellement = chouv/שוב ». De même, « shana/שנה » renvoie à « année, changement, portion ». Il est bien question de « changer ». Mais, c’est quoi « changer, se renouveler » au juste ? C’est agréable dans les magasins d’entendre en hébreu « titkhadech/dchi – תתחדש\י = renouvelle-toi = revenez », mais au moins c’est clairement une perspective d’avenir et non d’un éternel retour.
Cette année, il y a une carte de voeux pour Roch-Hachana : un chèque écrit en hébreu pour 365 jours de bonheur. Nenni que non! 5775 a 354 jours! Elle a été conçue sur le modèle européen où « year » correspond à l’allemand « Jahr = année ». Ces mots viennent du grec « hora/ορα » qui a alterné entre l’année et le jour. Les Russes disent « god/год = année » tandis que pour l’ukrainien « hodina/година » c’est une heure… Allez comprendre ce qui se passe entre Moscou et Kiev… Les Grecs ont choisi la chronologie: Chronia polla/χρονια πολλα = c’est de nombreuses années et aussi bonne fête!
Justement c’est la fête! L’automne est fruitier: des pommes, des dattes, du miel, des grenades, du raisin pour une année que, par définition, l’on espère faite de douceurs. Si le temps varie entre l’heure, le mois et l’année, il faut quand même être certain de passer le cap d’un jugement favorable. La course solitaire devient marathon sinon trekking communautaire.
C’est intéressant comme tout se passe par étapes: tout d’abord nous sommes passés de 5774 à 5775. Ce n’est pas anodin, car il s’agit d’une année sabbatique, donc de repos et de « libération » pour la terre . Elle dispose du droit à se reposer. La « shmitah/שמיטה’ = année de rémission » est une réalité en Israël dont les conséquences sont peu connues. On a le temps d’en reparler.
Entre Roch HaChana jour 1 et le Yom Kippour – Jour 10, il y a dix Jours de Pénitence ou Jours de crainte/yamim nora’im-ימים נוראים « . Evidemment, on peut vivre au jour le jour. Certains sont sceptiques, apikoros – un peu blasés, épicuriens sinon libertaires ou libertins dans des jours souvent fériés. Le croyant juif interroge les Ecritures, s’interroge, interpelle éventuellement les autres. Jours de crainte ou Jours qui mènent à la clarté, au respect ? Il est curieux comme toutes les traditions religieuses tendent à s’engager sur la voie de l’effroi.
Dies Iræ, un temps de colère divine qui viendrait imposer un jugement, tirant l’être humain vers une mort certaine. Une obsession multiséculaire d’échapper par miracle et presque sur la touche à un destin sans appel.
Ce serait oublier ce qui est sans doute l’une des plus belles prières juives: « Notre Dieu et Dieu de nos pères, règne sur le monde entier dans Ta majesté; élève-Toi sur toute la terre dans Ta gloire et manifeste-Toi dans la splendeur de Ta force à tous les habitants de monde terrestre. » [Il est question d’unité, de générations qui se succèdent, de la gloire divine et de tous et toutes].
« Alors, toute créature reconnaîtra que c’est Toi qui l’as créée et tout être comprendra que c’est Toi qui l’as façonné. Et tout être qu’habite un souffle de vie dira « Le Seigneur, le Dieu d’Israël est Roi et Son royaume domine toute chose ».
Il faut donc agir sur soi, envers et avec les autres. Il y a le Jour du Grand Pardon, mais le décret final est comme étendu jusqu’au 21ème jour de l’année nouvelle, le Jour de la Hoshana rabba/הושענא רבא – de la grande prière pour être sauvé. Il y a des étapes, des marches qui mènent au pardon, pour peu que les vivants l’acceptent entre eux et de la part de Dieu.
L’année commence par un défi: le rappel de la « ligature d’Isaac ou Aqedat Itzhaq/עקדת יצחק » sur le bois en vue d’être immolé. Les Chrétiens parlent trop souvent du « sacrifice d’Abraham ou d’Isaac ». Le Traité Roch Hashana 16a confirme l’idée de sacrifice dans le mot « Aqeda » comme aussi dans Bereichit/Genèse Rabba 1 « L’un est prêt à offrir le sacrifice, l’autre à être sacrifié » .
Il y a plus: ce texte est lu au second jour de Roch Hashana pour souligner la dimension humaine et spirituelle proposée à tout être vivant, plus précisément à la communauté juive. Abraham a répondu positivement à ce que Dieu lui proposait. Ce même défi réapparaît à chaque nouvelle année.
Il est significatif que ce texte soit lu tous les matins dans la plupart des traditions juives pendant l’office de Chaharit/שחרית – en Bereishit/Genèse 22, 1-19. Il est bien question de la dixième et dernière épreuve proposé à Abraham. On peut gloser sur le sens de cette ligature, sur le sens de cet « aqedat yahid/עקדת יחיד = sacrifice (du fils) unique » [Bereishit/Genèse Rabba 1].
La lecture annuelle et quotidienne de ce texte prend un relief particulier ces jours-ci.
Tous les ans, l’Eglise orthodoxe de Jérusalem commémore, les 26/27 septembre (donc le 13-14/09 selon le calendrier julien) , la Dédicace de l’Eglise du Saint Sépulcre qui comprend le Golgotha (lieu du Calvaire où Jésus fut mis en croix), le lieu de sa sépulture ou Tombeau (qui est vide puisqu’il est ressuscité selon la foi chrétienne). La tradition grecque appelle ce lieu « Anastasis/Ανάστασης = Lieu de la résurrection ».
Selon les témoignages les plus anciens, Hélène, la mère de l’empereur Constantin, trouva la Vraie Croix dans ce lieu. On le situe au bas des escaliers qui passent par l’Eglise arménienne, au plus profond du sanctuaire.
Hélène demanda au Patriarche Makarios de dire, parmi les morceaux que l’on dégagea, quel était le vrai bois. Aujourd’hui encore, cette Vraie Croix est montrée à la fin des offices qui ont lieu dans la vaste nef de l’Eglise orthodoxe qui est confiée aux Grecs.
C’est de cette époque que date l’expression « Kyrie eleison = Seigneur(= Roi), prends pitié » qui s’adresse en premier à Dieu comme Roi qui règne sur tout l’univers.
Il n’est pas facile de montrer une croix dans la société israélienne. Tout d’abord, les réactions négatives sont nombreuses. Suffit-il de parler d’un lourd héritage de persécutions ? A cet égard, les Chrétiens de Jérusalem et d’Israël n’ont sans doute jamais pensé à un retour des Juifs en tant qu’entité revenant de tous les pays. Ni les Eglises en tant qu’institutions. N’y aurait-il pas une question de timing ?
C’est pourquoi il est important de souligner la concomittance des calendriers. Ces agendas qui marquent le temps précisent des sources communes. L’Eglise de Jérusalem avance dans sa marche sur une appréciation de la réalité temporelle différente de celle des communautés juives sans s’extraire de la cohésion calendaire des fêtes d’automne.
L’Eglise affirme l’infamie de la Croix comme instrument de torture. Elle y confesse aussi un signe d’universalité.
Aujourd’hui au sein de la société israélienne, il y a un temps où la foi des habitants de Jérusalem et de Terre Sainte appellent tous à crier vers Dieu, sans s’écouter, souvent s’entendre. Il y a une supplication où – au-delà de toutes les tragédies de l’histoire – les selihot/סליחות [supplications juives] se mêlent aux « Kyrie eleison/Κυριε ελεησον » de l’Eglise Mère de toute les Eglises.
Alors, quel est-il le « jour d’hier » (Psaume 90, 4) ?