Les élections européennes, Israël, et les Juifs

Le bureau de vote français de Tel Aviv pour les élections européennes, le 9 juin 2024. (Crédit : Matthieu Clouvel Gervaiseau / Consulat de France à Tel Aviv)
Le bureau de vote français de Tel Aviv pour les élections européennes, le 9 juin 2024. (Crédit : Matthieu Clouvel Gervaiseau / Consulat de France à Tel Aviv)

On aurait pu croire qu’Israël se situait en Europe et que les Juifs constituaient l’essentiel du corps électoral, tant on entendit parler de ces sujets pendant des mois.

L’élection du 9 juin n’avait pourtant qu’un lointain rapport avec le conflit à Gaza. Certes, quelques pays de l’Union européennes reconnaissaient « l’État palestinien » ou envisageaient de le faire. Certes, des candidats dont le nom évoquait une origine juive – comme Raphaël Glucksmann ou Emma Rafowicz – furent taxés de « sionistes » et menacés. Certes, une liste – celle de La France insoumise (LFI) – importait dans la campagne la question palestinienne avec une candidate devenue une vedette, Rima Hassan.

Ces dérives firent oublier à beaucoup qu’il s’agissait d’abord d’élire 720 députés (81 pour la France) qui devront voter au Parlement européen des budgets et des législations sur beaucoup de sujets dont peu concernent les Juifs ou Israël. Mais la passion l’emporta. Les Juifs de France entendaient exprimer à l’occasion de ces élections leur crainte pour l’avenir d’Israël après le 7 octobre, et leur inquiétude face à la déferlante antisémite en Europe.

Au niveau national, le scrutin s’apparenta à un référendum anti-Macron. Le président, défait par le score historiquement bas de la liste conduite par Valérie Hayer (14,5%) fut conduit à dissoudre l’Assemblée nationale. Chez les Juifs, le scrutin fut plutôt un référendum anti-LFI, anti-Rima Hassan. La liste du parti zemmourien conduite par Marion Maréchal fut récompensée de ses déclarations d’amour envers les Juifs de France et de sa condamnation de l’ « islamisation de l’Europe ». Elle obtint 12,85 % des suffrages (contre 5,46% au niveau national) à Sarcelles, la « petite Jérusalem » du Val d’Oise. Chez les Français d’Israël, la tendance fut encore plus nette : 40,33 % des suffrages exprimés pour la petite-fille du leader historique de l’extrême droite.

Loin devant François Bellamy (33,47 %) et Jordan Bardella (11,84%). Les candidats mettant en garde les électeurs contre la vague populiste furent marginalisés (4,25% des voix pour Raphaël Glucksmann, 3,90% pour Valérie Hayer). Les Français d’Israël ont ainsi accordé 85 % de leurs voix à la droite dont 52 % aux deux partis d’extrême droite. Ce scrutin confirme ce que l’on savait depuis longtemps : les Juifs de France se sont détournés de la gauche.

Fidèles pendant un temps à la droite classique, comme en 2007 avec Nicolas Sarkozy, ils n’hésitent plus à soutenir le parti le plus anti-arabe, pensant qu’ainsi les Juifs et l’État juif seront mieux défendus. Quelques beaux esprits feront observer que les taux de participation (52,5% au niveau national et 7,1% en Israël) doivent conduire à relativiser les leçons du scrutin. Il n’empêche : les Français d’Israël, et à un moindre degré les Juifs de France, sont passés à l’extrême droite.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017), "La gauche a changé" (L'Harmattan, 2023). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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