Les derniers jours avant la libération du camp

Comment décrire la différence ou plutôt les différences existantes entre être interné comme Juif ou non-Juif ?

Déjà, pour les appels, ça se passait autrement. Les S.S criaient, mais ne hurlaient pas. On menaçait, mais on ne frappait pas ou peu. Il me semblait que la pression était moins forte. Quelques jours après notre arrivée nous avons reçu, nous les Belges, un colis de la Croix Rouge. Un paquet de nourriture de 5 kg !

Des biscuits, du chocolat, des cigarettes, une boîte de sucre Tirlemont, avec son emballage rouge de l’époque. Une vraie fortune !!!

Du coup, on était dispensés de piétiner pendant des heures dehors pour le comptage journalier. Il suffisait de donner une cigarette au chef de baraque allemand…

Pour quelques cigarettes on pouvait faire l’échange dans le camp pour une assiette de soupe. Nous étions des privilégiés et …les vols commencèrent ! Les autres prisonniers du camp n’ayant pas reçu de colis de nourriture, se glissaient la nuit dans notre chambrée pour trouver quelque chose à grappiller. Comment leur en vouloir. Ils crevaient de faim; et n’avaient pas eu notre chance.

Les Russes avaient mis au point une technique spéciale. Comme nous dormions avec, comme oreiller, notre colis (par peur du vol), ceux-ci grimpaient sur les lits avec un couteau et entaillaient le bord du carton pour y passer la main et retirer tout ce qui était possible. Finalement, je dormais avec ma boîte entre mes jambes…

Les Américains approchaient de plus en plus de notre camp. Tous les jours on entendait plus distinctement le bruit des canons. Les alliés n’étaient plus qu’à quelques kilomètres de Munich.
Cette fois-ci, pensais-je, nous serons libérés pour de bon.

Les Allemands ne pouvaient plus nous évacuer, ils étaient cernés. Il ne restait, comme porte de sortie, que la Tchécoslovaquie. Plus tard j’appris qu’effectivement il en avait été question. On l’avait échappé belle!

Les alertes aériennes se succédaient et étaient de plus en plus rapprochées. Dans le ciel, nous vîmes passer de nombreux chasseurs américains frappés de l’étoile yankee. Quel merveilleux spectacle! Pour les personnes au courant des opérations militaires, cela voulait dire qu’une offensive était en cours sur terre et que les chasseurs couvraient la marche de l’armée. Malgré les fils de fer barbelés nous étions au courant de tout.

Nous savions que les Américains se rapprochaient, qu’ils avaient fait 4 kilomètres ce jour-ci, etc. Même si toutes ces nouvelles étaient inexactes, nous étions au comble de la joie.

Mais au fond de moi, une question revenait d’une manière lancinante à mon esprit : vais-je tenir le coup, jusque là ? J’étais très malade et ne quittais pratiquement plus mon lit. Mes compagnons me réconfortaient en m’apportant les bonnes nouvelles…et c’était le meilleur des médicaments.

La Croix Rouge internationale, qui siégeait dans le camp, avait obtenu du commandant de la place que notre camp soit déclaré « ouvert » et qu’il ne sera pas défendu par les S.S, qui avaient encore beaucoup de munitions…

Le dirigeant du camp accepta même de hisser le drapeau blanc sur la plus haute baraque de la cour.

Malgré ces promesses et engagements, les allemands évacuèrent les Juifs et les russes, un jour, avant la libération du camp par l’armée américaine.

Les trois quarts de ces « évacuations » furent décimés en route dans les bois environnants. Quelques survivants en réchappèrent et c’est ainsi qu’on apprit que les allemands tirèrent presque à bout portant sur les prisonniers, avec l’excuse que ceux-ci voulaient s’enfuir…Au plus qu’on tirait, les malheureux couraient…

Dans le rapport de ces évènements, figurait la mention « erschossen in flucht » : Abattus en s’enfuyant. Les S.S avaient exécuté les ordres de leur patron Himmler. Ne pas laisser de survivants.

Le chef de la gestapo pouvait être fier de ses hommes. Ils lui étaient fidèles jusqu’à la fin. Je crois même qu’on trouva à Dachau des documents où il était question de « liquider » tout le camp avec tous les prisonniers, mais le facteur temps a probablement joué en notre faveur et n’a pas permit l’exécution de ce plan diabolique.

A suivre…

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