Les députés israéliens peu pressés de renverser le gouvernement

Cérémonie de serment du 24e gouvernement israélien, à la Knesset, ou parlement, à Jérusalem, le mardi 6 avril 2021. (Alex Kolomoisky/Pool via AP)
Cérémonie de serment du 24e gouvernement israélien, à la Knesset, ou parlement, à Jérusalem, le mardi 6 avril 2021. (Alex Kolomoisky/Pool via AP)

L’espérance d’une alternance après les premiers jours de la démission d’Idit Silman est retombée comme un soufflet. L’imminence de la chute du gouvernement ne semble plus être d’actualité, avant la fin de l’année au moins. D’abord la reprise du parti Yamina par son chef a refroidi les ardeurs de ceux qui voulaient faire sécession.

En décidant de qualifier Amichai Chikli de «transfuge», Naftali Bennett lui interdit de voter la censure et de se présenter aux prochaines élections sur une liste de l’un des partis actuels de la Knesset sauf à en créer un nouveau. Tous ceux avant lui qui avaient sauté ce pas, n’ont pas retrouvé leur mandat à la Knesset. Le calme est donc revenu à Yamina et la coalition se maintient donc à 59 ou 60 sièges. Dans l’opposition le Likoud peut compter sur 54 sièges, loin des 61 exigés pour changer de gouvernement.

Le parti des orthodoxes séfarades avait été désappointé face au refus cuisant de la part d’Avigdor Lieberman de prendre la tête d’un nouveau gouvernement avec le Likoud. Le leader Arie Dehry n’avait toujours pas compris que Lieberman ne voulait pas entendre parler de cohabiter avec Netanyahou.

Mais un fait nouveau semble se profiler avec la grande hésitation des orthodoxes ashkénazes du parti UTJ (Judaïsme Unifié de la Torah), à mêler leurs voix au Likoud. Ils ont acté d’une part le fait qu’aucune majorité ne se dégage pour renvoyer Naftali Bennett et d’autre part, que UTJ souffre énormément d’être éloigné du gouvernement car, en l’absence de ministère, les subventions manquent.

Des rumeurs avaient fait état de contacts de Moshé Gafni, leader d’UTJ, avec Benny Gantz pour l’encourager à briguer le poste de premier ministre avec le soutien des orthodoxes. Cela était consécutif à une déclaration surprenante de Gantz à l’occasion d’un verre avec les militants de son parti :«les ultra-orthodoxes dans ce gouvernement me manquent. Nous, dans l’armée, travaillerons pour trouver le juste équilibre entre la Haute Cour et la préservation de la tradition».

Il s’agissait certainement d’un ballon d’essai étonnant de la part d’un pur laïc conscient cependant qu’en Israël, tout gouvernement doit comporter sa part d’orthodoxes. La rupture entre laïcs et religieux était défavorable au pays. En fait Gantz avait compris qu’il fallait consolider la coalition en coupant l’herbe sous les pieds de Netanyahou en lui enlevant le soutien d’une partie des orthodoxes.

Les partis orthodoxes ont commis l’erreur de croire que le gouvernement était voué rapidement à l’explosion et qu’ils avaient donc intérêt à ne pas se brouiller avec Netanyahou. Ils ont fait de l’obstruction systématique, même sur des lois conformes à leurs convictions et cela en vain puisque leurs efforts ont été voués à l’échec. Ils ont ensuite joué la montre sachant que Yamina était le maillon le plus faible du gouvernement et qu’il finirait par éclater. Mais Bennett a repris son parti en mains et a verrouillé toutes les dissensions.

Moshé Gafni a alors fait évoluer sa position qui était dans l’impasse : «L’opposition doit faire un examen de conscience, décider qui a la meilleure chance de former une coalition sans nouvelles élections». Les ultra-orthodoxes espèrent que leur entrée au gouvernement rétablira les financements retirés du budget et annulera, ou atténuera, les réformes militaires introduites par Yaïr Lapid.

Gafni a donc pratiquement renoncé à faire tomber le gouvernement car sa chute, selon les accords de coalition, porterait son ennemi juré Lapid au poste de premier ministre par intérim jusqu’aux prochaines élections ce qui pour lui, serait pire que la situation actuelle et le pire scénario.

D’autres considérations politiques animent Moshe Gafni. Avec la mise à l’écart légale du chef de Shass, il est devenu le plus haut dirigeant religieux dans la Knesset actuelle. Il est le seul interlocuteur orthodoxe du gouvernement. En effet, Arie Dehry a accepté de quitter son mandat à la Knesset dans le cadre d’un accord de plaidoyer avec l’État, après son inculpation pour corruption.

Gafni a donc tout intérêt à jouer sa carte personnelle sachant surtout que de nouvelles élections remettraient en selle des concurrents alors qu’à l’heure actuelle il dirige seul tout le camp ultra-orthodoxe. Une perspective nouvelle s’ouvre devant lui d’entrer dans un gouvernement qui a besoin de quelques sièges pour consolider sa pérennité et surtout pour écarter définitivement tout chance de retour au pouvoir de Netanyahou. Face à ces péripéties, il semble bien que le maitre d’œuvre soit Benny Gantz, devenu le pivot du gouvernement qui pourrait ainsi aller jusqu’au terme de sa mandature.

Article initialement publié dans Temps et Contretemps.

à propos de l'auteur
Jacques BENILLOUCHE, installé en Israël depuis 2007, a collaboré au Jerusalem Post en français, à l'Impact puis à Guysen-Tv. Journaliste indépendant, il collabore avec des médias francophones, Slate.fr, radio Judaïques-FM à Paris, radio Kol-Aviv Toulouse. Jacques Benillouche anime, depuis juin 2010, le site Temps et Contretemps qui publie des analyses concernant Israël, le judaïsme, la politique franco-israélienne et le Proche-Orient sur la base d'articles exclusifs.
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