L’enfance du néant
Des enfants tuent et tuent à bout touchant. Ils tuent le regard fixe comme les assassins de la « Shoah par balles » en Ukraine ou en Russie. Leur mère aussi. Leur père aussi. Ou ce qui en reste. Ils tuent et cela devient leur raison de vivre de telle manière que les générations fabriquées par Daesh et leurs alliés de tous bords soient des « combattants », c’est-à-dire des « surhumains » évidés de toute conscience morbide.
Jamais, jamais dans toute l’histoire de l’humanité (mais je n’étais pas là et aujourd’hui je le suis) une conscience humaine n’était tombée aussi profondément dans le néant. Une conscience sans uniforme, sans grade, sans planification, sans usine à tuer.
Juste un farouche désir de nuire à la fleur de l’humanité, à la branche de l’humanité, au fruit de l’humanité, au tronc de l’humanité et à la racine de l’humanité : le juif, le « religieux », le philosophe, le croyant, la femme, le vieillard, le « civil », et puis : l’enfant et jusqu’à l’embryon de l’enfant nourri de poudre, de sang, de cris et de fureur. Un défi à la résilience…
Mais si la peur que cela inspire pouvait inspirer aussi, dans un sursaut, un tel dégoût que miraculeusement, un beau matin (parce qu’il reste tout de même des matins, au cas où quelqu’un aurait la bonne idée de se réveiller)… on prenait conscience qu’Israël existe et que défendre la pluralité de sa culture, l’intégrité de son territoire, la diversité de son peuple, la grandeur de son idéal et la stabilité existentielle de son Etat revenait à se défendre soi-même et à défendre la vie et la dignité de ces humains-là et l’honneur de toutes les victimes? Et si…?
La guerre contre l’Etat islamique et contre les armées coupeuses de tête c’est une guerre mondiale dans la mesure où c’est le sens même de l’humanité qui est attaqué dans sa profondeur.
Cela va bien au-delà des visions laïques, religieuses ou philosophico-diplomatiques. La clef appartient à tout le monde. C’est une guerre du monde contre D.ieu, c’est-à-dire de l’Humain contre sa descendance et contre son ascendance.
Couper la tête n’est pas fortuit. C’est raser ce qui se souvient et ce qui voit. C’est la radicalité de l’horreur sans aucune sophistication et l’Europe a raison d’être intransigeante sur ses valeurs selon lesquelles les têtes sont élues et même celles qui sont couronnées le sont par l’assentiment populaire.
L’Europe d’origine sémite est la culture de la Rédemption et du progrès. Bon, elle a mis tellement le Créateur de côté qu’elle se retrouve un peu trop face à elle-même dans une effarante solitude que montre bien le fossé entre la tiédeur de ses engagements face à la raideur féroce de ses attaquants.
Il manque une tierce personne pour rendre un beau témoignage, un témoignage crédible et pertinent à la paix qu’elle a payé chèrement. Elle continue, d’ailleurs, par les juifs enfuis et persécutés et par les chrétiens silencieux ou disparus, à la payer.
C’est sans doute là, d’ailleurs que la Tierce Personne est à rechercher. Parmi les absents. Ce sont eux les plus parlants. En ces jours-ci, les absents qui parlent donnent tort, pour une fois, aux présents qui se taisent.
Face au polythéisme des clans et des familles qui s’idolâtrent elles-mêmes dans l’impatience de vaincre sur la « barbarie », la « raison » ou « la religion » (tous ce mots ramènent à Soi, finalement, dans une suavité de la Justification) il y a le monothéisme de la personne. Il a ses extravagances aussi.
Mais il croit qu’une parole d’humanité est égale à une autre et qu’en cela, elle vaut d’être à la ressemblance de D.ieu qui s’abaisse jusqu’à nous toucher des mains de sa Création.
Il lui faudra beaucoup de foi, alors, à cette Europe là, encore diablement en guerre, et encore un peu sous la cendre de la torpeur dans l’attente de la Transfiguration, et beaucoup d’acharnement à croire en elle-même pour y rester fidèle et descendre dans la vallée du Réel. Nous sommes encore un continent très idéaliste (traditions païennes dualiste et romantique/stoîque obligent) dans un rationalisme paradoxalement débridé.
Pourtant, il est inconcevable que l’Europe ne se batte pas unanimement et massivement pour la dispersion des flammes et l’extinction de ce monstrueux incendie. Il est inconcevable qu’elle ne se batte pas unanimement pour Israël, son Etat, son pluralisme, et même ses débats, ses déchirements et ses contradictions. Ses souffrances ont été et sont les nôtres. Son salut et sa préservation aussi.
Quoi faire de Assad, vainqueur et président d’une Syrie en miettes et au bord du chiisme? Comment interpréter le nouveau pouvoir saoudien, bastion fragile d’un sunnisme aussi dur que « pur »? De quel pétrole nous chaufferons-nous cet hiver ? La réponse est en grande partie dans la confiance que les électeurs israëliens mettront dans leur nouvelle majorité. Dans les mains qui auront les clefs. La serrure a changé. Et elle ouvre aussi l’avenir européen.
Que l’Europe se batte unanimement pour Israël, et non contre un camp et pour un autre, ce qui d’ailleurs, curieusement, ne correspond pas à la réalité israëlienne où les arabes et kurdes citoyens de l’Etat n’ont pas massivement déchiré, que l’on sache, leur passeport et sont pour la plupart, et contre toute attente, coalisés pour cette XXème campagne d’élection à la Knesset.
On comprend que le peuple au-delà de l’épuisement, lassé des séparatismes topographiques, sécuritaires, politiques et religieux, et inquiet de n’avoir pas accès au patrimoine par le logement monopole d’un Etat tourné vers sa ruineuse légitime défense, et le monopole d’une guerre déchireuse de territoires et dévoreuse de bonnes volontés, vive dans l’angoisse, non seulement de disparaître, mais aussi de ne pouvoir profiter pleinement de la manne technologique de la 4è puissance hitech du monde. Qu’est-ce qu’un enfant qui n’aurait que dettes, peur et précarité ? Le trait est grossier, mais la question est brutale.
On comprendra qu’il semble vouloir se tourner vers les descendants travaillistes coalisés du Lion de Plonsk (Pologne), fondateur de l’Etat, mort humblement, comme il a vécu, au kibboutz de Sde Boker. Né de l’idéal sioniste, mort dans le sionisme réalisé, Ben Gourion -qui pour un français à des traits d’apparence significatifs avec Clémenceau- réapparaît.
C’est donc un signe pour le monde, puisque Israël attend de montrer en votant (ou en ne votant pas) à quel point il veut s’ébrouer de ses turpitudes, comme un chien mouillé rentrant à la maison, après 10 années calamiteuses au plan sécuritaire et une guerre de 50 jours longue et raide comme une veille de Pentecôte (ou de Kippour)
Et dans ce signe, on le voit, les paroles de haine crue, les anathèmes, les graffitis rageurs, les démolitions nocturnes, les invectives, les agressions, restent encore au faîte des journaux.
C’est dire si elles ne sont pas populaires et ne correspondent pas à la volonté commune qui est de se nourrir, d’accompagner ses enfants à l’école, de sortir au restaurant et d’aller à l’église, à la mosquée ou à la synagogue ou au centre commercial ou au Parc en famille, sereinement, et de se croiser dans les rues de Jerusalem ou de Beer Sheva sans s’entretuer.
Cela, c’est la réalité israélienne. Ce n’est plus la réalité européenne où les frontières ont fait le mur, et se recréent le long des limites communautaires et ethniques. En Europe, on se bat contre des signes. En Israël on se bat pour eux. Signes religieux? Signes des temps au-delà des temps. Le débat relancé sur la « laïcité » en Israël est avant tout un débat religieux au sens politique.
En France, c’est un débat politique au sens religieux. On s’inquiète d’intégrer les communautés à la République laïque pour corroder leur pouvoir de nuisance et leur potentiel vindicatif. En Israël, pays d’immigration, de retours aux sources et de coexistences juxtaposées, on prend bien soin qu’elles s’expriment de telle sorte que les amis et les ennemis soient connus reconnus et identifiés. Le droit valant censément pour tous.
Combien d’attentats et d’agressions, d’actes de malveillance et d’injures intolérantes, combien de lois réprimant encore un peu plus la liberté d’expression jusqu’à ce que l’Islam soit exécré par la population faudra-t-il pour que l’Ouest comprenne enfin que c’est exactement ce que les intégristes du prosélytisme islamique violent mais aussi les néo-païens laïcs ou religieux qui rêvent d’une confrontation définitive attendent : le feu dans la maison Monde, et qu’ils n’aient pas à l’attiser de leurs mains déjà salies?
Pendant ce temps, des enfants en treillis défilent et font le sacrifice sanglant de leur innocence perdue devant un aréopage d’ex tuteurs devenus tueurs. Ils pointent leur calibre sur la nuque de leurs ex-camarades de jeu.
C’est la signature du plus profond des maux. L’impuissance de l’adulte à rendre ce monde meilleur autrement qu’en rêvant par l’enchantement du mensonge, mais qui peut d’un revers de la main, décider ce qu’il fera de son avenir en culottes courtes : du néant ou du vivant. L’ONU et les nations sidérées paraissent bien petites et désarmées face à ces petits enfants-là que nul droit ne peut ravir à leurs ravisseurs.
Cela vaudrait que l’on descendît pour eux dans les rues et que l’on s’exclamât en chœur : « nous étions des enfants. Nous sommes nés sans la haine.»