Le tremblement de terre de la Guerre des Six Jours, 50 ans après
Au mois de Juin 2017 nous marquons cinquante années depuis la Guerre de Six Jours.
Même cinquante ans après, la blessure reste vivante et le sentiment de la trahison de la France en générale et celle du General De-Gaulle en particulière vie encore dans les esprits malgré les années, le temps et les diverses événements qui se sont écoulés depuis.
Il y en a beaucoup des conséquences de cette guerre de Six jours qui arrive jusqu’à nos jours. Mais dans cet article je vais me consacrer à l’angle des relations entre la France et Israël à la veille de cette guerre, pendant sa courte durée et juste après.
Les incidents de frontière entre Israël et ses voisins arabes, surtout la Syrie, se multiplient après la guerre de Suez et s’accélèrent autour de 1964 et 1965 jusqu’à la guerre des Six jours.
Des groupes terroristes « El Fatah » dont le but était de « libérer la Palestine » franchissent les frontières syriennes, jordaniennes et égyptiennes, endommagent les installations militaires, mais provoquent aussi des pertes en vies humaines. Les troupes d’El Fatah sont encouragées et aidées par la Syrie. Au point que la guerre fut sans doute évitée de peu en 1960.
Depuis l’indépendance algérienne et le renouveau des relations franco-arabes, les pays arabes (et en particulier l’Egypte) se sont renforcés. Ces pays qui ont soutenu l’Algérie rebelle peuvent penser que la violence s’est montrée payante, l’Algérie est maintenant indépendante et la France courtise les pays arabes pour rétablir ses relations avec eux. Ils sont confortés dans l’idée d’user de la force à présent contre Israël.
La situation s’aggrave de jour en jour du fait de la mobilisation de tous les pays arabes, puis de celle d’Israël.
En 1956, les principales raisons de l’action israélienne avaient été le soutien et l’armement de Nasser par l’URSS, la fermeture du canal de Suez aux navires israéliens et à ceux commerçant avec Israël, et les actions terroristes des feddayins qui, encouragés par le gouvernement égyptien franchissaient les frontières de ce pays.
En 1967, les raisons du conflit ne sont pas fondamentalement différentes, même si les actions terroristes proviennent plutôt de Syrie. Mais si en 1956, le conflit ne concernait qu’Israël et l’Egypte, en 1967 il englobe tous les pays arabes unis contre Israël. De ce point de vue, le conflit rappelle davantage la guerre de 1948.
Toutes les clauses du cessez-le-feu établies en 1957 sont réduites à néant : la liberté de navigation dans le golfe d’Akaba n’est plus assurée, le port d’Eilat est soumis à un blocus et la force de sécurité des Nations Unies, censée faire tampon entre les belligérants, s’est retirée.
Quelle ligne de conduite allait adopter dans ces circonstances la France de De Gaulle ?
Dans ce conflit, la France, désormais réconciliée avec le monde arabe, souhaite jouer le rôle d’un intermédiaire neutre et ne prendre position pour aucune des parties en présence.
Elle plaide pour une résolution de la crise dans le cadre diplomatique. S’associant aux procédures engagées dans le cadre des Nations Unies, elle encourage aussi, parallèlement une diplomatie discrète. Ses représentants dans les pays intéressés déploient une grande activité pour persuader Arabes et Israéliens d’éviter le recours à la force et convaincre les grandes puissances de chercher sérieusement les moyens d’éviter un conflit aux conséquences imprévisibles.
Dans les archives du Quai d’Orsay, nous découvrons des informations sur le fait que la France a fait des efforts afin que l’Egypte n’ouvre pas en premier la guerre. On y trouve la preuve de beaucoup de discussions entre l’ambassadeur français en Egypte et les dirigeants égyptiens que le français essaye de convaincre.
Il dissuade les Egyptiens d’ouvrir les hostilités, ce qu’ils étaient sur le point de faire. Finalement, ne l’ayant pas fait, Israël a été sauve. A l’inverse de la situation de la veille de la Guerre de 1973, où les Américains ont demandés à Israël de ne pas commencer la guerre en premier. Israël les ayant écouté, les résultats ont été désastreux.
La première réaction de De Gaulle est de suggérer par la voix du gouvernement, le 24 mai 1967, une concertation entre les quatre grandes puissances (USA, URSS, France et Grande-Bretagne) et de condamner par avance l’Etat qui, le premier, ouvrira les hostilités.
On connaît la déclaration du général de Gaulle à son conseil des Ministres à la veille de la guerre des Six jours selon laquelle l’Etat qui le premier emploierait les armes n’aurait ni l’approbation ni, à plus forte raison, l’appui de la France.
Cette position est très mal perçue en Israël où on a encore en mémoire le partenariat de 1956. Mais en fait la situation est très différente de 1956. La carte du monde a changé, la France a instauré la Vème République, et ni son point de vue, ni ses intérêts ne sont les mêmes. Depuis les accords d’Evian, l’allié Israël s’avère parfois encombrant vis-à-vis de dirigeants arabes à nouveau partenaires ou partenaires potentiels.
En Israël, où l’on continue à considérer la France comme une alliée, et plus encore, de manière pas toujours très rationnelle, comme une amie, « l’attitude de la France a provoqué une perplexité teintée d’inquiétude » ainsi que le rapporte le quotidien Le Monde.
Puis la perplexité laisse place à la déception : « Très grande amertume devant la « neutralité » de la France », titre Le Figaro, avant de rapporter ce constat : « Le titre principal d’un grand journal du soir est le suivant : « De Gaulle nous a laissé tomber » et l’éditorial du Haaretz, le grand journal libéral du matin, n’est pas tendre pour la France éternelle.
Malgré la discrétion officielle observée à Jérusalem, il semble que la « neutralité » de la France dans la crise actuelle du Proche-Orient ne soit pas appréciée à sa juste valeur. On considère ici aujourd’hui, à tort ou à raison, que la moindre action de « légitime défense » entraînera un embargo immédiat sur les envois d’armes ou de matériel. »
Assez rapidement, la France multiplie les rencontres amicales, notamment avec le roi Fayçal d’Arabie et le ministre syrien des Affaires étrangères, Makhos. De Gaulle rencontre aussi les Israéliens. L’une de ces rencontres qui implique le 24 mai, les Israéliens Aba Eban et Walter Eytan, est très connue pour la fameuse phrase de De Gaulle : « Surtout ne tirez pas les premiers ».
Il a été beaucoup écrit sur cette rencontre. Dans mon livre, j’ai présent quelques témoignages de première main concernent celle-ci. Ce fût une rencontre manquée; un dialogue des sourds, peut-être pire encore que cela comme disent certains, une très mauvaise rencontre qui a eu des conséquences désastreuses dont l’une d’elle a été l’embargo.
Au sortir de son rendez-vous, Eban n’a pas obtenu le soutien qu’il était venu chercher, mais pire encore, la politique française de soutien militaire à Israël va accuser un virage encore plus défavorable à son pays.
Selon les témoignages de fonctionnaires français, c’est à ce moment-là que Maurice Couve de Murville a demandé au ministre de la Défense, Pierre Messmer, qu’on n’envoie plus aucun équipement militaire à Israël sans autorisation du Quai d’Orsay.
Parallèlement, des hauts fonctionnaires du Quai ont appelé tous les fournisseurs français d’Israël et leur ont demandé d’arrêter tout de suite tous les envois qui ne seraient pas autorisés par la commission interministérielle contrôlant les ventes d’armement. La position de la France était claire.
Le 1er juin 1967, le Premier ministre israélien, Lévy Eshkol, fait une dernière tentative pour convaincre De Gaulle. « Nous avons entendu les conseils donnés par nos amis, et vous parmi eux, d’attendre, bien qu’il soit clair que le but des Arabes est de nous exterminer, lui écrit-il.
Mais les conséquences de cette attente sont minces, tristes et décevantes. Une menace d’extermination plane sur Israël. Un tiers du peuple juif a été exterminé par les nazis et à présent se pose à nouveau la question de notre existence. »
Il termine en demandant à De Gaulle de se ranger aux côtés de son pays, « Monsieur le Président, je vous prie d’agir afin que la France fasse entendre sa voix, se mette de notre côté et prouve à nos amis et à nos ennemis qu’elle est l’amie et l’alliée d’Israël. » De Gaulle n’a même pas pris la peine de répondre à Eshkol.
L’attitude française est vécue en Israël comme une trahison, un véritable coup de poignard dans le dos qui provoque incompréhension, déception et amertume. L’embargo concernait en théorie les armes destinées au Proche-Orient ; en pratique il touchait exclusivement Israël, alors qu’aucun coup de feu n’avait encore été tiré.
Pour beaucoup l’annonce de l’embargo le vendredi 3 juin fait l’effet d’une bombe. Mais certains sur le terrain l’ont pressenti et même anticipé, et ce n’est pas sans conséquences.
Le vendredi 2 juin, le président De Gaulle a déjeuné avec son ministre des Affaires étrangères, Couve de Murville, et lui a dit d’arrêter immédiatement la fourniture d’armement à Israël. De Murville s’est empressé de répercuter cet ordre à tous les ministres du gouvernement, y compris Pierre Messmer, le ministre de la Défense, qui avait signé tous les contrats d’armement avec Israël.
Certains en Israël pensent que Couve de Murville est l’homme qui a préparé la décision d’embargo. Pour les Israéliens, Couve a, durant des années, saboté, ouvertement ou en sous-main, l’amitié franco-israélienne. Certains en Israël sont convaincus qu’il a préparé, organisé et manœuvré à toutes les étapes de l’embargo jusqu’au moindre détail.
En tout cas, l’ordre de De Gaulle de bloquer les envois vers Israël a été répercuté très vite à tous les niveaux du gouvernement, aux industries françaises et aux responsables des douanes de la France entière.
Il faut rappeler ici deux faits très importants. Premièrement, est celui que la politique du Quai d’Orsay a depuis toujours été une politique pro-arabe qui trouve ses racines dans le passé de la France, de l’époque où elle dominait des pays musulmans et où des représentants de ses pays siègent à l’Assemble Nationale.
Puis, depuis des années, il y a eu des divergences entre les Ministères français de la Défense et le Quai d’Orsay, quand le premier soutenait Israël, souhaitait lui donner des armements et l’aider tandis que le second essayait tous le temps de freiner les envois d’armements.
Mais malgré l’embargo grâce à des connaissances personnelles et la sympathie inconditionnelle envers Israël, qui ont eu un rôle décisif dans les diverses administrations et hiérarchies des douanes, Les douaniers à Orly ont carrément ignoré les instructions d’embargo de leur président. L’équipement militaire était chargé secrètement et rapidement sur des avions qui attendaient sur des voies de garage et s’envolaient pour Israël, sans les autorisations écrites d’habitude nécessaires ».
Tant le conflit que les décisions prises par De Gaulle provoquent des réactions de la population française et de ses représentants politiques. Ces réactions sont nombreuses et pour la plupart en désaccord avec les décisions gouvernementales.
La population n’est pas en reste qui s’élève contre la politique du gouvernement.
Le 31 mai 1967, avant l’embargo, se déroule une manifestation, une semaine avant la guerre des Six jours, du boulevard Malesherbes jusqu’à la Madeleine. Une manifestation pro israélienne qui a été organisée par les amis d’Israël, Juifs et non Juifs.
Les manifestations populaires surprennent presque par leur ampleur. Le Monde s’en fait l’écho, « Colère et irritation contre la trahison de De Gaulle et une sympathie populaire envers Israël, sentiment d’injustice et des inquiétudes sincères et lourdes pour l’existence d’un pays ami ont sorti les Français de leurs maisons.
Dix mille Français manifestent à Paris et dans d’autres villes en faveur d’Israël. Trente mille citoyens se sont présentés à l’ambassade d’Israël pour se proposer comme volontaires. » Toute la presse française relaie ces manifestations, Le Figaro d’abord, puis L’Aurore, et Le Monde. La presse prend, elle aussi, parti : « Israël est en danger, courez à son secours » crient les titres des journaux, les stations de radio privées alors que les télévisions et radio officielles restent neutres
Les premiers jours de juin ne ramènent pas le calme. Au contraire, l’annonce de l’embargo intensifie les protestations et les parlementaires se font entendre. Avec le début du conflit, soutiens et encouragements prennent encore plus d’ampleur.
Nous soutenons donc que la politique de De Gaulle était désapprouvée par l’opinion, les medias et l’essentiel de la classe politique.
En résumé, la position officielle du général de Gaulle, privilégie la solution diplomatique et condamne l’ouverture des hostilités. Il propose la réunion des quatre grands, et proclame sa neutralité. La France décrète un embargo dont les effets ne concernent que le seul Etat hébreu.
Après le cessez le feu, la France passe à ce qu’on pourrait nommer une neutralité active en accusant Israël d’avoir déclenché les hostilités. Nous l’avons vu dans les compte-rendu de ses discussions avec Ben Gourion, à travers les différents témoignages et même dans ses Mémoires, De Gaulle est persuadé qu’Israël est déjà assez fort et que le jeune Etat souhaite étendre ses limites territoriales aux dépens des Arabes.
Il ne démord pas de son idée et n’écoute ni les démentis, ni les appels d’Aba Eban et de Ben Gourion. De plus, il pensait que l’intérêt de la France était de se réconcilier avec le monde arabe, quitte à passer sur les engagements pris par la France en 1957. Enfin il est sans doute froissé qu’Israël n’ait pas écouté ses conseils et son avertissement de ne pas tirer les premiers.
Une partie importante de la population n’adhère pas à la politique officielle du gouvernement. Mais jusqu’à quel point en réalité ? Les sondages indiquent des nuances certaines et de toute façon ces réactions – mêmes vives – ne sont pas susceptibles de faire dévier De Gaulle de la nouvelle route choisie.
A la question de savoir si pour De Gaulle, la guerre des Six jours fut une cause de rupture ou une occasion, un prétexte, il y a ceux qui pense que c’était vraiment une cause parce que De Gaulle pensait, non comme certains l’ont dit que la guerre des Six jours pouvait se transformer en un conflit mondial – mais il pensait que cette guerre allait créer une sorte de situation de guerre tragique et durable au Moyen-Orient.
Alors est-ce qu’en plus, il n’a pas été, si je peux dire, débarrassé des scrupules qu’il pouvait avoir d’une rupture avec Israël avant la guerre ? Je le crois, en effet. Pendant la guerre des Six jours, l’opinion publique française est indiscutablement très pro israélienne.
Ça s’explique par la proximité de la guerre d’Algérie, qui est encore très proche à ce moment-là et par un ensemble de raisons. On commence à ressentir à ce moment-là, en France, le drame de la Shoah. Par conséquent le général De Gaulle a pris une position qui n’était pas une position populaire.
Et c’est bien la preuve, je crois, que pour lui la guerre des Six jours n’était pas seulement un prétexte, mais la cause de la réorientation de sa politique ; mais que cette guerre lui ait enlevé tout scrupule, c’est sûr aussi.
La fin de la guerre des Six Jours (pas plus que sa courte durée et sa réussite totale du point de vue israélien) n’apporte d’apaisement entre la France et Israël. Au contraire, la tension politique entre les deux pays s’aggrave et la décision d’embargo est maintenue.
D’un côté De Gaulle aurait ressenti le fait qu’Israël ne l’ait pas écouté comme une sorte de blessure disent les uns (il aurait confié, furieux, à son Premier ministre Pompidou, « ils n’ont pas écouté la France »), comme un soulagement disent les autres tandis que de l’autre, Israël assimile toujours l’absence de soutien de la France à une immense trahison.
A ce contexte, viennent s’ajouter, la fameuse conférence de presse de De Gaulle du novembre 1967 et la polémique qui l’entoure. Les déclarations de Charles de Gaulle sur les « Juifs restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » sont qualifiées d’antisémites par plusieurs journaux israéliens.
Pourtant pour l’amiral Bloch, ces mots de De Gaulle « n’étaient pas une critique d’Israël mais un compliment, et le pays les a mal interprétés. »
Mais revenons à cette conférence de presse. De Gaulle, y retrace l’historique de l’installation des Juifs en Palestine (la fameuse phrase sur « le peuple d’élite » se trouve placée dans ce contexte). La France, dit-il, est satisfaite de l’établissement de l’Etat d’Israël, à condition que les Israéliens « parviennent en usant d’un peu de modestie à trouver avec leurs voisins un modus vivendi pacifique ».
Mais selon lui, il faut prendre en compte une évolution particulièrement sensible depuis 1956. « A la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez, explique le président français, on avait vu apparaître en effet un Etat d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir et ensuite l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration de nouveaux éléments donnait à penser que le territoire qu’il avait acquis ne suffirait pas longtemps et qu’il serait porté pour l’agrandir à utiliser toute occasion qui se présenterait.
C’est pourquoi d’ailleurs la Vème République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux très étroits que le régime précédent avait noués avec cet Etat et s’était appliquée au contraire à favoriser la détente dans le Moyen-Orient.
Bien sûr, nous conservions avec le gouvernement israélien des rapports cordiaux et même nous lui fournissions pour sa défense éventuelle les armements qu’il demandait d’acheter, mais en même temps nous prodiguions des conseils de modération. »
De Gaulle livre ici son explication de l’attitude française adoptée depuis 1958. Pourtant, on ne peut affirmer aussi péremptoirement qu’il le fait que la Vème République s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens étroits noués avec Israël par le régime précédent.
Car pour une part, cette volonté ne ressortait encore, même en 1967, de la directive et une certaine inertie doublée d’une relative liberté des militaires limitait son application.
En effet, nous l’avons montré, à l’exception notable du domaine du nucléaire, la coopération franco-israélienne n’a pas connu de francs changements, y compris après l’indépendance de l’Algérie : les échanges se poursuivent tout comme les envois d’armements.
Il nous faut aussi rappeler que les Israéliens ont toujours réfuté la volonté d’expansion que le Général leur prêtait et, tant Ben Gourion qu’Eshkol ou Eban le lui ont répété lors de leurs rencontres.
Le Général explique ensuite que, d’autre part, une fois « l’affaire algérienne » terminée, la France a pu renouer avec une politique d’amitié ancestrale avec les Arabes.
Il rappelle enfin que le gouvernement français avait prévenu qu’il « donnerait tort à quiconque entamerait le premier l’action des armes » et regrette que la France n’ait pas été entendue par Israël. Il est clair que pour le Général, Israël porte une grande responsabilité dans l’état de la situation actuelle mais aussi des tensions inévitables à venir.
« Israël ayant attaqué s’est emparé en six jours de combat des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, prévient De Gaulle, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions et s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour, il qualifie de terrorisme ».
Pour De Gaulle, aucun règlement ne pourra intervenir sans évacuation des territoires et reconnaissance de chacun des Etats par tous les autres.
Il souhaite s’en remettre aux Nations Unies pour y parvenir, exprimant le souhait qu’avec « la présence et la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités et des modalités de la libre navigation pour tous dans le golfe d’Akaba et dans le canal de Suez. » En dernière condition, De Gaulle ajoute la nécessité d’un statut international pour Jérusalem.
Le compte-rendu de l’intervention du président français lors de cette conférence de presse est précieux pour l’historien, car on le voit, il fournit un tableau assez précis, de sa position et de son appréhension de la situation.
Après la conférence, Ben Gourion adresse une lettre à De Gaulle, le 6 décembre 1967, où il explique que la phrase « peuple d’élite trouve ses origines dans la bible » et en même temps qu’il remercie la France pour toute l’aide qu’elle a apportée à Israël, il en profite pour répéter au président français son propre point de vue.
De Gaulle lui répond le 30 décembre 1967 qu’il n’y avait, dans sa phrase sur le peuple juif, « aucune intention insultante car c’est grâce à ce caractère que, le peuple juif peut continuer à être ce qu’il est depuis 2000 ans, traversant des conditions insupportables ».
La presse française, naturellement, se fait largement l’écho de cette conférence et le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas tendre avec De Gaulle. Beaucoup de titres expriment le sentiment que l’antisémitisme affleure dans son propos.
Selon Le Monde, « On a beau jeu à Jérusalem d’opposer à l’actuel réquisitoire et à ses relents d’antisémitisme les déclarations d’amitié prodiguées hier encore en même temps qu’un très efficace armement aux dirigeants israéliens. » Le quotidien fait le parallèle avec 1939, en rappelant que ce n’était pas l’Allemagne qui avait « ouvert les hostilités contre la France ».
Et il s’interroge : « de telles prémisses étaient-elles indispensables pour réaffirmer à l’égard des Arabes d’Orient et bien sûr de leur pétrole, la politique d’amitié de coopération qui avait été pendant des siècles celle de la France ? »
Pour Le Figaro, qui s’interroge sur ce que serait devenu Israël, « s’il n’avait mis hors d’état de nuire ceux qui ne cessaient de lui prodiguer de pires menaces », le raisonnement de De Gaulle est spécieux.
L’Aurore s’inquiète de « certaines expressions [qui] ont soulevé au passage, dans un climat de gêne, des réminiscences franchement détestables ».
Pour le journal, si, « On connaissait déjà les idées de grande politique arabe en honneur à l’Elysée et les raisons invoquées pour tenter de justifier l’embargo. On ne supposait pourtant pas que De Gaulle irait jusqu’à rejeter aussi explicitement sur les Israéliens, les responsabilités du conflit »
Combat est encore plus virulent et met lui aussi en avant la politique arabe de De Gaulle comme tentative d’explication : « En quoi le verdict implacable lancé contre Israël par le général de Gaulle peut-il faire avancer la paix ?
N’est-il pas plutôt un ferment de haine, jeté dans une situation dont le Chef de l’Etat convient lui-même que pour l’instant elle est insoluble. […] La raison d’Etat en l’occurrence ne justifie pas qu’on dépasse les limites de la décence, pour mener à bien une politique pétrolière ou une politique arabe ».
La presse française s’explique la position de De Gaulle par sa politique arabe (et pétrolière) mais en règle générale n’y adhère pas.
Si certains avaient pu penser que la fin de la guerre (et la victoire israélienne) conduirait la fin de l’embargo ou améliorerait les relations entre les deux pays, ils se trompaient : c’est le contraire qui se produisit. De Gaulle maintint l’embargo.
Pourtant, en dépit de celui-ci, les relations entre les armées restent fortes, peut-être même plus que jamais comme le dit Moka Limon. Militaires français et israéliens, ainsi que sociétés françaises, travaillent de concert afin de contourner l’embargo et de faire sortir du matériel français en direction d’Israël.
De Gaulle n’a pas réussi à briser des relations proches nouées auparavant, en particulier entre les responsables militaires mais aussi politiques.
Mon analyse aboutit enfin à relativiser le tournant de 1967. Même après l’embargo décrété juste à la veille de la guerre des Six jours, il est clair que les relations et les échanges ne se sont pas arrêtés là (et parfois même se sont encore intensifiés, en particulier entre les militaires), que les ordres de De Gaulle et de son ministre des Affaires étrangères, Couve de Murville, n’ont pas mis un terme à la « complicité » entre Israël et la France dans le domaine militaire.
Dans une large partie de l’armée française, à tous les niveaux de hiérarchie, des responsables militaires restèrent sensibles à la cause des Israéliens, et se montrèrent prêts à aider Israël. Ceci malgré les consignes, ou avec l’aval discret du gouvernement ? Nous n’avons pu toujours trancher.
Reste qu’il me semble à présent établi que ces relations spéciales ne s’arrêtent pas brutalement en 1967 à la veille de la guerre des Six jours. Je n’estime pas davantage qu’il s’agisse d’un processus de dégradation progressive entamé dès la fin de la guerre d’Algérie. Nous privilégions, pour notre part, une analyse médiane.
Si, à son retour au pouvoir, De Gaulle inscrit sa politique israélienne dans la continuité de celle de ses prédécesseurs, il impose néanmoins graduellement dès son retour, une certaine prise de distance, qui se double peu à peu d’un rééquilibrage en direction du monde arabe, dicté par son analyse globale de la situation internationale. Tout cela relève plutôt d’une sorte de normalisation des rapports entre deux pays ayant chacun leurs propres intérêts.
Quant aux raisons présidant aux décisions de De Gaulle en 1967 et en 1969 Je les résumerai en disant que De Gaulle n’était ni hostile à Israël, ni antisémite, ni antisioniste. Pour De Gaulle, seul comptait l’intérêt de la France, et celui-ci impliquait l’instauration de la paix au Proche-Orient par l’action des Quatre Grands dont la France.
Cependant le changement du discours accompagnant ce rééquilibrage de la politique française en direction du monde arabe provoqua l’incompréhension en Israël.
Pour illustrer le point de vue israélien, laissons la parole à Bar On : « Dans la mémoire collective d’Israël et dans l’esprit du public israélien, dit-il, le général de Gaulle, […] reste pour nous un personnage énigmatique et très controversé.
Il s’identifie dans notre esprit comme un chef d’Etat dont les sentiments de sympathie et d’amitié pour Israël s’étaient clairement manifestés, entre autres sous forme d’échanges technologiques et d’équipements militaires qu’il avait autorisés dans les premières années de notre pays, les plus difficiles.
C’est en effet grâce à cet appui que l’armée israélienne a pu se développer en une force de défense de premier ordre. Et pourtant, comment ignorer la volte-face si inattendue à un moment d’épreuve particulièrement difficile, dans des circonstances où la survie elle-même de notre jeune Etat était mise en question ?
La décision du Général de nous tourner le dos, de nous « laisser tomber », sans considération pour les répercussions sur le plan international, ainsi que sur celui du moral national à une heure cruciale, ne pouvait qu’imprimer une cicatrice douloureuse dans l’âme de la nation israélienne ».
En 1990, cette intervention de Bar On à un colloque consacré au général de Gaulle à l’UNESCO à Paris montrait que les Israéliens continuaient à s’interroger sur la nature de ces relations franco-israéliennes exceptionnelles et les raisons de leur rupture, sans parvenir à trancher.
Une rupture toujours douloureuse et assimilée en Israël à un revirement et une trahison. Un ressenti qui en dépit du travail des historiens reste fort dans l’opinion publique.
On y balance toujours entre la froide hypothèse de l’opportunisme politique, ne voyant dans ces relations qu’un mariage de raison dicté par la guerre d’Algérie dont la raison d’être disparaît avec celle-ci, et l’hypothèse de la naïveté expliquant l’aide de la France par une pure amitié pour un petit pays en détresse.
Entre les deux, d’autres explications trouvent crédit chez certains qui mettent en avant les malentendus entre De Gaulle et les dirigeants israéliens.
On avance parfois même en Israël un refroidissement provoqué non par la France mais par une volonté des Israéliens de se tourner vers les Etats-Unis, supposés proposer une alternative à la France dans son rôle de fournisseur d’armement.
J’avais essayé pour ma part de m’en tenir au plus près des faits, en m’appuyant sur des nouvelles sources offertes par l’ouverture des archives françaises et israéliennes, jusque-là, jugées trop confidentielles pour être livrées aux chercheurs. Ce qui m’a conduit à des thèses plus nuancées mais bien sûr moins romanesques.
L’embargo de 1967 qui allait dans le sens préconisé depuis longtemps par les services du Quai bouleversa l’infrastructure de la défense d’Israël qui s’efforça de trouver d’autres sources d’approvisionnement pour sa défense.
Dans les années 70, après l’épisode des vedettes de Cherbourg et la consommation de la rupture, les Etats-Unis deviennent par la force des choses le premier fournisseur d’armes d’Israël.
Et même quand l’embargo français est finalement levé en 1974, il est trop tard pour faire marche arrière et revenir à la situation qui a précédé l’embargo car les Etats-Unis ont pris la place de la France.
D’une certaine façon, l’idylle franco-israélienne n’a fait que reculer de quelques années l’entrée d’Israël dans la sphère d’influence américaine. Par ailleurs, les Israéliens ont retenu les leçons apprises en France et se chargent désormais de construire eux-mêmes une bonne partie du matériel militaire et des avions afin de ne plus dépendre de personne.