Le suffrage universel est-il la meilleure façon de gouverner un pays ?
La démocratie traverse une crise profonde et semble au bord de l’effondrement. En Israël et dans les pays développés, elle est passée d’un modèle de gouvernance efficace à une problématique urgente et préoccupante. Qu’on ne s’y trompe pas : la démocratie a été l’une des plus grandes réussites de l’histoire humaine.
Nous avons grandi en son sein, nous l’avons sacralisée et nous nous sommes enorgueillis de sa contribution au progrès de l’humanité. Nous avons étudié la démocratie athénienne et les principes de la Révolution française, adopté avec ferveur les idéaux de la séparation des pouvoirs, de la liberté individuelle et de l’égalité devant la loi.
Mais aujourd’hui, un constat s’impose : il ne s’agit pas de restaurer des régimes autoritaires, car l’opposé de la démocratie n’est pas nécessairement la dictature. Le véritable enjeu est ailleurs : il est temps de repenser la nature même de la démocratie.
La conférence sur la démocratie organisée par le journal Haaretz a soulevé une question essentielle : certains principes autrefois intouchables ne devraient-ils pas être réévalués, car devenus inadaptés à notre époque. Avec le temps, la démocratie a montré ses limites. Si un Donald Trump ou un Benjamin Netanyahu sont les produits d’un processus démocratique, cela n’interroge-t-il pas la pertinence même du modèle ?
Il n’est même pas nécessaire d’évoquer les régimes autoritaires arrivés au pouvoir par des élections démocratiques. Malgré ses succès historiques, la démocratie est aujourd’hui en déclin, à tel point que des dirigeants sans scrupules peuvent l’instrumentaliser pour cultiver un populisme démagogique, manipuler l’opinion publique et asseoir leur légitimité.
L’essor de la démocratisation du savoir a provoqué un bouleversement profond, dont nous peinons encore à mesurer l’ampleur. La propagation de l’information et la transparence médiatique ont donné naissance à un phénomène social inédit, une véritable « révolte des plébéiens » contre les élites intellectuelles.
À première vue, on pourrait y voir une émancipation souhaitable des classes populaires marginalisées, qui obtiennent enfin une voix et des tribunes où s’exprimer. Mais en réalité, l’essor d’Internet et des réseaux d’informations a révolutionné les rapports sociaux. Ce qui aurait pu être une avancée démocratique s’est transformé en une arme redoutable pour des politiciens sans scrupules, capables d’en exploiter les travers à leur avantage.
Dans le paysage politique actuel, les clivages idéologiques traditionnels ont volé en éclats. Il n’y a plus de camps philosophiques clairement définis, plus de grandes visions antagonistes. Les questions de paix ou d’économie sont reléguées au second plan, et la politique n’est plus qu’une lutte d’influence entre individus habiles à séduire les électeurs. Le vote universel est désormais guidé moins par une réflexion rationnelle que par une appartenance communautaire et émotionnelle. L’électeur se perçoit soit comme membre du monde des plébéiens, soit comme appartenant à une élite.
Le résultat est sans appel : le suffrage universel ne reflète plus une volonté rationnelle, mais un réflexe identitaire. Les réseaux sociaux ont remplacé les débats d’idées par une mise en scène permanente, où la propagande visuelle et émotionnelle l’emporte sur l’analyse et la nuance.
Le vote, jadis perçu comme un acte citoyen éclairé, est désormais motivé par des considérations sectaires et partisanes. Il ne s’agit plus d’un choix politique structuré, mais d’un marché électoral où les candidats sont vendus comme des produits marketing. L’image du candidat devient un levier décisif, jouant sur l’émotion plus que sur la raison.
- Peut-on réellement prétendre que ce système sert l’intérêt général ?
- Quel rapport tout cela a-t-il avec le bien commun ?
- Les élections démocratiques ne sont-elles pas devenues une illusion collective, un rituel dont on se targue et que l’on perpétue sans en interroger le sens ?
- Est-ce de cette manière que nous devrions déterminer l’avenir d’un pays ?
Un autre mythe largement accepté est l’injonction au vote comme devoir citoyen. Refuser d’aller voter, c’est être montré du doigt, comme un mauvais citoyen. Mais en réalité, ne pas voter revient avant tout à renoncer aux intérêts de son propre groupe.
- Cette sacralisation du vote a-t-elle encore un sens ?
- Faut-il réellement inciter des millions de citoyens à se prononcer sur des sujets aussi complexes que l’éducation, la santé, l’écologie ou l’économie, alors qu’ils n’en maîtrisent ni les enjeux, ni les implications ?
- Un parti politique dont l’unique but est de défendre des intérêts clientélistes devrait-il pouvoir influencer l’ensemble des domaines publics ?
- Une communauté qui rejette les principes démocratiques devrait-elle avoir voix au chapitre sur l’avenir du régime ?
- Des millions d’électeurs qui décident sur des bases irrationnelles devraient-ils être en mesure de déterminer l’avenir d’un pays ?
- À l’heure où les décisions politiques sont souvent guidées par des émotions et des croyances plutôt que par la raison, ne serait-il pas temps de redonner du poids aux compétences professionnelles et à l’expertise ?
Les primaires, autrefois considérées comme un progrès démocratique, ont rapidement révélé leurs limites. Théoriquement conçues pour donner plus de pouvoir aux citoyens, elles sont devenues un terrain de jeu pour les plus fortunés et les plus habiles stratèges en communication.
Celui qui dispose de moyens financiers conséquents et les investit dans une campagne de communication coûteuse maximise ses chances de l’emporter. Les centres décisionnels des partis ne sont plus que des machines électorales où le chantage et le clientélisme dictent les règles du jeu.
Celui qui dépense son énergie et sa fortune en promesses personnelles aux électeurs obtient davantage de voix.
Celui qui offre des faveurs illicites aux votants acquiert un avantage. Ainsi, les centres décisionnels des partis sont devenus des instruments permettant d’obtenir des postes publics en échange de soutiens électoraux. Le candidat devient prisonnier des exigences particulières de ses électeurs, sacrifiant l’intérêt général au profit de revendications particulières.
Le slogan invitant à renforcer le lien entre les élus et leurs électeurs cache en réalité un asservissement aux intérêts privés au détriment du bien commun. Est-ce vraiment le profil d’un élu dont la société a besoin ?
Le droit de se présenter aux élections stipule que tout citoyen âgé de 18 ans et plus peut être élu à la Knesset. Pourtant, dans n’importe quel organisme public, des critères de compétence et d’expérience sont exigés.
- Pourquoi l’accès au pouvoir devrait-il échapper à cette règle élémentaire ?
- Pourquoi confier la gestion d’un pays à des individus sans formation ni qualifications adéquates ?
- La démocratie doit-elle vraiment se priver de ses esprits les plus brillants sous prétexte d’égalitarisme ?
- Ne faudrait-il pas au contraire encourager les personnes compétentes à jouer un rôle actif dans dans l’élaboration de notre avenir ?
Les dérives de la démocratie ne sont pas propres à Israël, elles sont un phénomène mondial. Il ne s’agit pas d’un simple dysfonctionnement local, mais d’un défi global qui exige des solutions nouvelles. Les slogans usés ne suffiront plus. Après plusieurs élections chaotiques en Israël, il est temps de cesser de considérer les défaillances démocratiques comme une fatalité. Le modèle du suffrage universel mérite une réflexion audacieuse. Notre monde évolue plus rapidement que notre capacité à le comprendre et à nous y adapter.
Ce constat ne concerne pas que la démocratie, mais touche plusieurs domaines de notre société.
- La sécurité nationale est entre les mains d’organismes trop puissants et rigides pour s’adapter à des transformations majeures.
- Le monde académique souffre d’un dogmatisme intellectuel et n’a pas encore intégré la révolution du savoir qui l’a dépassée.
Le débat public reste ainsi enfermé dans des dogmes obsolètes. Il est temps de remettre en question sans tabou ces « vaches sacrées » qui brident notre pensée et freinent notre avenir.