Le sionisme chrétien de Paul Claudel
Il y eut des auteurs chrétiens qui furent d’ardents sionistes, à l’instar de l’écrivain et philosophe Pierre Boutang, qui en 1967, pendant la Guerre des six jours, écrivit :
Jérusalem ne peut qu’être confiée à la garde de l’État et du soldat juifs.
Ces intellectuels catholiques comprirent que le retour du Peuple juif sur sa terre ancestrale, après 2000 ans d’exil, était une réalisation prophétique qui se déroulait miraculeusement sous leurs yeux.
Un autre de ces grands écrivains philosémites et sionistes (dans le sens de l’affirmation du droit légitime du Peuple juif dispersé à retourner vivre sur sa terre ancestrale d’Israël) fut Paul Claudel : auteur, poète, dramaturge, académicien, disciple de Mallarmé et diplomate, Claudel fut une figure de proue de la scène littéraire du début du XXe siècle jusqu’à sa mort en 1955, et évidemment au-delà via la pérennité de son œuvre. S’éloignant du scientisme, Claudel découvrit la foi en 1886 et se convertit au catholicisme (religion initiale de sa famille).
Cet « événement » – comme il l’appela – domina tout le reste de sa vie.
N’oublions jamais que Claudel montra un immense courage et une grande empathie envers le Peuple juif pendant l’Occupation en écrivant en 1941 au Grand-Rabbin de France Isaïe Schwartz cette lettre qui fut diffusée et que je cite in extenso :
Château de Brangues Morestel Le 24 décembre 1941, Veille de Noël,
Monsieur,
Mon bon ami Vladimir d’Ormesson vient de me donner votre adresse. Je tiens à vous écrire pour vous dire le dégoût, l’horreur, l’indignation qu’éprouvent à l’égard des iniquités, des spoliations, des mauvais traitements de toutes sortes dont sont actuellement victimes nos compatriotes israélites, tous les bons Français et particulièrement les Catholiques. J’ai toujours trouvé en eux non seulement des esprits ouverts mais des cœurs généreux et délicats. Je suis fier d’avoir parmi eux beaucoup d’amis. Un Catholique ne peut oublier qu’Israël est toujours le fils aîné de la promesse comme il est aujourd’hui le fils aîné de la douleur. Mais « Bienheureux sont ceux qui souffrent de persécutions pour la Justice ». Que Dieu protège Israël dans cette voie rédemptrice. « Je ne serai pas toujours irrité » a dit le Seigneur par la voix de son prophète.
Agréez l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Paul Claudel, Ambassadeur de France.[1]
Combien d’intellectuels se livrèrent à pareilles bravoure et solidarité vis-à-vis des Juifs pendant l’Occupation ? Combien d’intellectuels se mirent en danger pour défendre concrètement les Juifs ? Rendons hommage à la mémoire de Paul Claudel !
L’auteur du Soulier de Satin écrira plus tard, en 1942, dans son Journal :
Horribles persécutions contre les Juifs. Tous les Juifs étrangers réfugiés en France depuis 1933 livrés à l’A[llemagne] parmi lesquels des Chrétiens, d’anciens soldats, des décorés de la croix de guerre. Les mères séparées de leurs enfants. Les plus petits mis à l’Assistance Publique, [les] plus grands dans des maisons de correction. Les h[ommes] et les f[emmes] séparés expédiés en Allemagne comme du bétail dans des wagons plombés. Quantité de suicides. [2]
Ce qui paraît moins connu est le soutien apporté par Paul Claudel au sionisme, lui qui fut le témoin – comme des millions de personnes en 1948 – de l’ « impensable » refondation d’un État juif après deux millénaires d’exil, de souffrances et de massacres sans nom dont les Enfants d’Israël furent les victimes.
Déjà, à l’époque, des voix s’élevaient pour déplorer ce retour miraculeux et assurer les Arabes de leur soutien, tel l’universitaire et islamologue français Louis Massignon, qui fut un proche de Claudel (Massignon avait pourtant été pro-sioniste dans l’entre-deux-guerres).
Face à la prise de position de Louis Massignon, Claudel écrivit la lettre suivante à son ami, l’écrivain et l’intellectuel catholique Jacques Madaule :
Cela n’empêche pas que dans la lutte engagée mes sympathies ne soient entièrement pour Israël. Comment autrement chez un homme pénétré des prophéties qui annoncent le retour à la Terre Sainte, de tous les pays du monde, de ce peuple dispersé ! On se croirait revenu au temps de Josué et des Macchabées !
Je ne partage pas du tout la sympathie passionnée de notre ami Massignon pour les Arabes, qui en réalité n’ont jamais ce qu’on appelle « habité » cette terre où ils bivouaquent. Je suis paysan et les fainéants sous toutes les formes me font horreur ![3]
C’est le talent incontestable des plus grands auteurs que de pouvoir résumer en quelques phrases la réalité d’une situation historique que beaucoup peinent encore à comprendre ou feignent de ne pas saisir afin d’alimenter leur antisémitisme.
[1] Lettre de Paul Claudel au Grand Rabbin de France du 24 décembre 1941, Cahiers Paul Claudel 7, Gallimard, Paris, 1968).
[2] Cité par Yehuda Moraly.
[3] Paul Claudel, Lettre à Jacques Madaule du 6 juin 1948, in Paul Claudel-Jacques Madaule, Correspondance et reconnaissances, 1929-1954, Desclée de Brouwer, 1996, p.326).