Le Signe

L'ancien président américain Joe Biden (2-D) et l'ancienne vice-présidente américaine Kamala Harris (D) écoutent le président américain Donald Trump prononcer son discours inaugural après avoir prêté serment en tant que 47e président des États-Unis à l'intérieur de la rotonde du Capitole américain à Washington, DC, le 20 janvier 2025. (Photo de SHAWN THEW / KOREA POOL / AFP)
L'ancien président américain Joe Biden (2-D) et l'ancienne vice-présidente américaine Kamala Harris (D) écoutent le président américain Donald Trump prononcer son discours inaugural après avoir prêté serment en tant que 47e président des États-Unis à l'intérieur de la rotonde du Capitole américain à Washington, DC, le 20 janvier 2025. (Photo de SHAWN THEW / KOREA POOL / AFP)

« Le poids des mots, le choc des photos ». La formule vaut toujours, lui rappela la prof d’anglais, cette copine de si longue date. Sinon que l’image des magazines d’antan s’est animée depuis sous l’effet de l’envahissement télévisuel.

La preuve. Le discours si fortement binaire, agressif, définitif, débité paradoxalement de sa voix monocorde, pseudo douce par Trump version 2. Et l’alignement volontaire, appliqué, affiché, des plus riches personnalités du monde derrière le nouveau puissant de la terre.

Ces mots, ces images, ont leur poids de réalité économique, sociale, humaine qui risque fort de s’imposer au monde présent et à venir. Ils ne sont pas venus de nulle part. Ils sont d’abord la traduction légitime d’une volonté majoritaire de citoyens libres américains. Et ils ont surtout force de signe. Signe de mutations profondes de la société qui les a générés.

Ses deux neveux, plus attentifs qu’il ne s’y attendait à assister à cette démonstration, eux-mêmes engoncés dans leur fauteuil, café fumant à la main, l’invitèrent par leur silence à développer un sujet aussi prometteur.

Pour commencer, la victoire de Trump et des « Républicains » (elle mima des guillemets imaginaires) est la pointe d’un iceberg civilisationnel plus profond. Un de tes chevaux de bataille Jonathan. Qui remonte en surface un peu partout. Dans les vieux pays européens. Ici, en Israël.

De façon plus ou moins violente. La fracture entre le monde politico-administratif et le monde de vie quotidienne du peuple. Le premier lourd, lent, obèse, codé, abstrait, stagnant. Le second mutant, ouvert, divers, concret, rapide. Des structures d’ancien temps dans un temps d’invention. Le coup de balai « trumpiste », sous le fouet de l’âme damnée « muskienne », malgré ses excès, répond de fait à cette vérité nouvelle.

La politique et la gestion publique doivent se réinventer. Mettez-nous, vieilles générations, à l’hospice, jeta-t-elle aux deux neveux, tout acquis et tout sourire.

On a affaire, en outre, à un iceberg multicouches. De tout temps, le couple pouvoir-richesse s’est révélé indissociable. Mais le phénomène de mondialisation répand sur l’ensemble des pouvoirs publics une couche quasi uniforme de la richesse financière, technologique, militaire, économique. Les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – sont à elles cinq davantage valorisées que le montant du PIB du Japon et de l’Allemagne combinés.

Elles symbolisent plus globalement la capacité de mainmise tentaculaire non seulement sur les économies nationales mais sur la gouvernance d’États devenus dépendants. L’apport implicite de cette puissance économique et financière dominante, au nouveau maître de la plus grande puissance mondiale, donne à cette alliance éternelle une influence invisible mais exponentielle sur la vie des gens.

Et puis, le pouvoir. Sa magie, sa fascination. Son ivresse aussi. Une force qui, toujours, irrigue l’énergie humaine. Qui, cependant, trouve son vertige supplémentaire dans la médiatisation universelle actuelle.

Les coups de menton mussolinien qu’envoie Trump sur tous les écrans du monde lui apportent sans aucun doute un contentement de soi quasi extatique. Sans compter toutes les possibilités que confèrent le phénomène de centralisation sur une personne, unique. L’or et les lustres. L’action sur les choses et sur les hommes. Louis XIV, roi soleil, ne disposait pas du centième des forces dont dispose le roi américain.

Il serait aussi irresponsable de refuser la mise en cause générale du « système » mondial que signifient l’élection du Président américain, la montée des nationalismes, théocraties, ploutocraties, que de la considérer comme une évolution incontrôlable. La réponse ne consiste pas, certainement, à la combattre a priori. Ou à se recroqueviller sur la défense de l’existant.

De ce point de vue, il y a des coups de pied au cul qui font du bien, insista, elle aussi tout sourire, la prof, en regardant les neveux admiratifs.

Pour recommencer (elle détacha bien les deux mots), « dégraisser le mammouth », administrations, organisations devenues hypertrophiées, autocentrées, débordées par la complexité qu’elles sont supposées corriger, n’est pas absurde. Repenser fondamentalement la définition de la politique, sa relation à la population, son contrôle, devient une obligation.

Réévaluer la relation entre puissances économique, financière, technologique et le pouvoir publique, réinstaller un lien de subordination de ces puissances au pouvoir publique devient une nécessité vitale. Diminuer l’hubris attaché naturellement à l’exercice du pouvoir en décentralisant ses centres d’intervention, en fragmentant sa focalisation.

Ça, c’est en défense. Maintenant, en attaque si je puis dire. À un nouveau modèle de société, adapté aux mutations de la société en cours, à une nouvelle méthode de gouvernance, il faut un nouveau projet.

Excès de pouvoir, « sur-impact » de la richesse, ont pour conséquence le creusement des inégalités. Égalité et justice, la première demande des peuples. Première pièce de la réparation du monde.

Seconde pièce, la priorisation des fondements de toute civilisation, l’éducation, la santé, le logement, le transport, la culture. Troisième pièce, les paris inévitables, que sont la crise climatique, la reconquête écologique.

Bien obligé. Jonathan, but son café froid. Trop pris par la démonstration de son amie. Il usa cependant d’un relais tout trouvé. Ses neveux. Si bons élèves devant la professeure.

Où que leurs études les envoient, le chantier de la rénovation leur appartenait. En Europe, où toutes les nations fatiguées avaient besoin d’un grand rafraîchissement. Aux États-Unis où le grand remue-ménage a besoin d’être intellectualisé et moralisé. Ici, dans ce pays si plein de ses forces et de ses contradictions, de son poids d’histoire et du poids de sa modernité, qui a besoin d’un grand nettoyage de structures et de générations.

Des neveux moqueurs, qui lui lancèrent alors, Tu ne veux pas nous faire cadeau d’une de tes dernières ?

Son ami vint à son secours. « On ne peut défendre honorablement que ce qu’on peut attaquer librement ». C’est du Clémenceau.

à propos de l'auteur
Fort d'un triple héritage, celui d'une famille nombreuse, provinciale, juive, ouverte, d'un professeur de philosophie iconoclaste, universaliste, de la fréquentation constante des grands écrivains, l'auteur a suivi un parcours professionnel de détecteurs d'identités collectives avec son agence Orchestra, puis en conseil indépendant. Partageant maintenant son temps entre Paris et Tel Aviv, il a publié, ''Identitude'', pastiches d'expériences identitaires, ''Schlemil'', théâtralisation de thèmes sociaux, ''Francitude/Europitude'', ''Israélitude'', romantisation d'études d'identité, ''Peillardesque'', répertoire de citations, ''Peillardise'', notes de cours, liés à E. Peillet, son professeur. Observateur parfois amusé, parfois engagé des choses et des gens du temps qui passe, il écrit à travers son personnage porte-parole, Jonathan, des articles, repris dans une série de recueils, ''Jonathanituides'' 1 -2 - 3 - 4.
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