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Le sel de la terre

La stratégie de l’actuelle présidente frontiste a été aussi simple qu’efficace en commençant par gommer les références antisémites

Je me suis longuement posée la question. Qui suis-je donc pour oser émettre un avis sur la manière dont nous devrions voter ?

Au nom de quoi aurai-je le droit d’inciter le lecteur de ce modeste billet à ne pas voter pour le Front National ?

Et pourtant…

Si il y a quelques années les propos nauséabonds de Jean-Marie le Pen écartaient d’emblée notre vote de ce parti, il faut reconnaître que la donne a désormais bien changé. Toute statistique incluant la religion ou l’appartenance ethnique étant interdite, les chiffres sont à prendre avec précaution, mais, ils sont néanmoins révélateurs.

En 2007, le président du FN pouvait au mieux revendiquer 4% de votes en provenance de notre communauté. Selon une étude de l’IFOP publiée en 2014, nous serions 13,5% à avoir accordé nos suffrages à sa fille.

La stratégie de l’actuelle présidente frontiste a été aussi simple qu’efficace. Elle a commencé par gommer toutes les références antisémites qui furent l’apanage de son parti en le purgeant de tous ses éléments dérangeants.

Alain Soral, et ses skinhead adeptes du crâne rasé et du salut nazi ont été priés d’aller voir ailleurs. Quand à Bruno Gollnisch, il lui a été poliment demandé de mettre ses thèses révisionnistes en veilleuse.

Pour atteindre le pouvoir, le Front National se devait de devenir un parti respectable. Fini les allusions sur : « les chambres à gaz détail de l’histoire. »

En complet décalage avec son père sa présidente n’hésitait pas à prendre un virage à 180° en déclarant au Point en février 2011 : «Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie. Et, croyez-moi, cette barbarie, je l’ai bien en mémoire.».

Une fois effacée cette image sulfureuse, elle a eu à coeur d’exploiter le sentiment né de la sinistre affaire Merah en dénonçant une immigration parfois vécue par notre communauté comme un facteur d’insécurité.

C’est ainsi qu’elle a déclaré lors d’un meeting à Nantes le 25 mars 2012: «Combien de Mohamed Merah dans les bateaux, les avions, qui chaque jour arrivent en France remplis d’immigrés? […] Combien de Mohamed Merah parmi les enfants de ces immigrés non assimilés?»

Comment ne pas rapprocher ces propos de ceux tenus par Josef Schuster, président du Conseil central des juifs en Allemagne qui déclarait récemment : « De nombreux réfugiés fuient la terreur de l’État islamique et veulent vivre en paix et dans la liberté. Mais, en même temps, ils viennent de cultures qui se distinguent par leur haine des juifs et leur intolérance».

L’odieuse prise d’otage perpétrée le 9 janvier 2015, par Amedy Coulibaly n’a pu que renforcer le sentiment que notre communauté devenait la cible privilégiée de l’intégrisme islamiste.

Une nouvelle occasion pour la présidente du FN de s’ériger en rempart protecteur pour notre peuple. Il suffit de lire ses propos parus en juin 2014 dans Valeurs actuelles : « Je ne cesse de le répéter aux Français juifs, qui sont de plus en plus nombreux à se tourner vers nous: non seulement le Front National n’est pas votre ennemi, mais il est sans doute dans l’avenir le meilleur bouclier pour vous protéger. »

Ce n’est pas la déclaration de Roger Cukierman au mois d’août sur RTL qui pourra changer la donne, le Président du CRIF regrettant que des Juifs puissent être séduits par le mouvement frontiste et déclarant : « Je pense qu’ils ont un peu la mémoire courte. »

Ce n’est malheureusement pas un problème de mémoire, même si les générations actuelles n’ont plus la conscience de l’horreur que notre peuple à pu vivre, conscience qui avait le mérite d’ériger une barrière infranchissable vis-à-vis de l’extrême-droite.

Il faut se rendre à l’évidence, nous ne sommes pas en 1933 et les S.A ne parcourent pas nos rue brisant les vitrines des magasins juifs à coup de pavés.

Le problème est devenu bien plus subtil et bien plus complexe.

Non seulement Marine le Pen a réussi à faire disparaître cette odeur de souffre qui émanait de son parti, mais, se servant sans scrupules d’une peur légitime, elle n’a fait que renforcer à outrance le fait communautariste, jouant de manière sous-jacente la carte de l’opposition entre les cultures.

C’est pour cela que nous nous devons de dépasser nos peurs, aussi légitimes soient-elles. Elargir encore la faille qui est en train de se creuser du fait d’actes terroristes ignobles entre juifs et musulmans ne reviendrait qu’à faire le jeu des djihadistes dont le seul but est de créer dans notre démocratie un climat de peur, de tension, et d’exclusion, se servant de la terreur pour nous opposer.

C’est une évidence, l’arrivée au pouvoir de Marine le Pen ne signifiera pas la réouverture du Vel’ d’Hiv.

Mais, mettre un bulletin FN dans l’urne dimanche, c’est faire un premier pas vers le renoncement à nos libertés et à cet esprit d’ouverture et de tolérance qui font l’essence de notre démocratie.

Notre peuple a toujours privilégié le débat et le doute qu’induit la confrontations des idées. C’est cet esprit qui risque de disparaître avec l’accession au pouvoir d’un parti qui ne connaît que le rejet de l’autre comme unique discours de vérité.

Peur de l’autre, peur de la différence, et, négation de tout ce qui fait ce creuset républicain où, au fil du temps, nombre de cultures se sont mêlées et assimilées, et auquel nous avons apporté notre modeste part.
Dans le sermon sur la montagne, (Matthieu 5:13), il est dit : « Vous êtes le sel de la terre ; mais si le sel a perdu sa saveur, avec quoi sera-t-il salé? ».

Rejoindre, par une vote, guidé par le rejet et la peur, une multitude séduite par des idées populistes, ne reviendrait qu’à perdre toute la saveur que nous essayons d’apporter à ce pays que nous aimons tant.

à propos de l'auteur
Fondatrice du collectif Trans-Europe, première candidate trans a l'élection présidentielle
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