Le Roi de la com’ sur la sellette

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu adresse un message vidéo au peuple iranien, le 12 décembre 2024. (Capture d'écran/GPO)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu adresse un message vidéo au peuple iranien, le 12 décembre 2024. (Capture d'écran/GPO)

Le témoignage du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dans le cadre de son procès pour corruption confirme l’importance qu’il attache aux médias dans sa vie professionnelle.

Pour ses partisans comme ses détracteurs, Benjamin Netanyahu est un professionnel de la communication, certains allant jusqu’à l’affubler du titre de « Roi de la com’ ». Ce qui ne l’a pas empêché d’entretenir des relations tumultueuses avec les médias ; il s’est toujours senti persécuté par les grands moyens de communication – presse écrite, radio, télévision puis Internet.

Paradoxalement, le Premier ministre israélien, qui a longtemps reçu le soutien populaire et électoral d’une majorité de ses concitoyens, a dû affronter des médias de masse très critiques à son égard, notamment la presse écrite et électronique.

Mainmise

Rapidement, sa maîtrise des médias tournera à l’obsession ; les relations controversées que Netanyahu a entretenues avec des patrons de presse sont à l’origine de certaines accusations de corruption et abus de confiance dont il sera l’objet.

Le Premier ministre Netanyahu gardera longtemps une mainmise, directe ou indirecte, sur le secteur des télécommunications ; il nommera toujours au poste de ministre des Communications un de ses fidèles alliés politiques, comme Moshé Kahlon (de 2009 à 2013) et Guilad Erdan (de 2013 à 2014).

En novembre 2014, il s’attribuera même le portefeuille des Communications, ce qui lui permettra d’influencer les grandes réformes de la télévision et des médias numériques.

Pour prévenir d’éventuels conflits d’intérêts, la Cour suprême ordonnera à Netanyahu, en février 2017, d’abandonner le ministère des Communications ; ce dernier nommera au poste tant convoité un de ses fidèles compagnons de route du Likoud, Tsahi Hanegbi.

Donnant-donnant

La première semaine du témoignage de Benjamin Netanyahu devant le tribunal de Tel Aviv a porté sur l’affaire 4000, dite aussi « dossier Bezeq-Walla » ; Netanyahu est accusé de corruption, fraude et abus de confiance avec deux autres accusés, Shaul Elovitch et son épouse Iris, également soupçonnés d’entrave à l’exercice de la justice.

Shaul Elovitch était le propriétaire du géant israélien des télécommunications Bezeq privatisé en 2005 alors que Netanyahu était ministre des Finances ; il détient aussi un site d’information en ligne, Walla, gratuit et très populaire parmi les Israéliens.

L’acte d’accusation décrit une relation de « donnant-donnant » qui exista de 2012 à 2017 entre Netanyahu et Elovitch, chacun d’eux détenant le pouvoir de favoriser les intérêts de l’autre. Netanyahu formulait des demandes de couverture médiatique favorable sur le site Walla, en échange d’un allègement de la régulation de l’État sur Bezeq et d’autres sociétés détenues par Elovitch.

L’acte d’accusation détaille une liste longue de 315 exigences concrètes formulées par Benjamin Netanyahu pour améliorer sa couverture et celle de sa famille sur le site Walla.

Gratuit contre payant

Une autre accusation liée aux médias est l’affaire 2000, dite aussi « dossier Yediot » ; Netanyahu est accusé de fraude et abus de confiance après avoir reçu des propositions de corruption de Nohi Mozes, propriétaire du quotidien israélien à grand tirage Yediot Aharonot et de son site d’information en ligne, Ynet.

L’acte d’accusation détaille de nombreuses rencontres et conversations téléphoniques entre Netanyahu et Mozes qui ont eu lieu de 2008 à 2014, durant lesquelles le Premier ministre exigera une couverture médiatique qui lui soit favorable en échange d’entraves à la diffusion du journal gratuit Israel Hayom, lancé en 2007 par le Juif américain Sheldon Adelson.

En soutenant la distribution gratuite du Israel Hayom, Benjamin Netanyahu s’était fixé un objectif simple : assécher les finances du Yediot Aharonot. Lorsque cet objectif tardera à se réaliser, Netanyahu changera de stratégie : il tentera de négocier avec Nohi Mozes le soutien du Yediot à son action politique en échange de la fermeture ou, tout au moins, d’une diffusion plus réduite du Israel Hayom.

Les transactions secrètes menées entre les deux hommes ne déboucheront sur aucun accord. En mars 2014, l’opposition de gauche déposa à la Knesset un projet de loi qui visait à interdire les journaux gratuits, proposition défendue par des parlementaires de la majorité gouvernementale et soutenue par le Yediot.

Afin de bloquer la loi que la Knesset adopta en lecture préliminaire en novembre de la même année, Netanyahu choisira de dissoudre la Knesset et de provoquer des élections anticipées qui se dérouleront en mars 2015.

En fin de compte, la parution d’Israel Hayom a révélé les liens entre couverture médiatique favorable et corruption qui seront à la base, début 2020, d’un des chefs d’accusation retenus contre Benjamin Netanyahu.

À la barre, le prévenu et témoin Netanyahu nie tout en bloc ; à suivre…

à propos de l'auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de "Les Arabes d’Israël" (Autrement, 2008), "Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ?" (Armand Colin, 2012), "Les Israéliens, hypercréatifs !" (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et "Israël, mode d’emploi" (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : "Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël" (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
Comments