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Le rabbin récalcitrant de Strasbourg : un traitement médiatique français qui en dit long

Cette affaire remet en cause tous les fondements de notre communauté telle qu’elle est organisée aujourd’hui

Depuis maintenant deux semaines, une nouvelle affaire de guett non remis fait trembler le monde juif. Elle est devenue le « scandale de Strasbourg » ou l’affaire du « rabbin récalcitrant ». Elle a commencé en France, mais s’est dénouée en Israël. De là, l’information est arrivée par différents biais, jusqu’à ce que la presse juive française se décide à en parler.

Rappelons les faits.

Le 2 septembre, un article en hébreu est publié sur le site Srugim, un site israélien d’information, religieux sioniste : « Femme divorcée ; le rabbin refuse de lui donner le Guett ».

Puis le 4 septembre, le site de l’organisation israélienne Ohr Torah Stone, qui œuvre pour un changement sociétal en accord avec les valeurs juives et sionistes, publie en anglais : « Le rabbin récalcitrant ». Habituellement, on parle des maris récalcitrants pour désigner ceux qui  refusent de remettre à leur ex-femme le guett, l’acte de divorce religieux.

Les deux articles racontent le cas de cette femme française qui a obtenu son guett après douze ans d’attente, auprès d’un tribunal israélien grâce à l’organisation Yad l’Isha (de Ohr Torah Stone). Or pendant ces douze années, le guett était… en possession du rabbin, qui refusait de le donner à la femme ! Ces articles rapportent qu’en plus de garder cette femme « agounah », enchaînée, pendant tout ce temps, le « rabbin récalcitrant » a remarié l’ex-mari à deux reprises, créant ainsi une situation de polygamie, aujourd’hui interdite par la loi juive.

L’affaire a créé des remous sur les réseaux sociaux : on s’indigne, on veut en savoir plus, on cherche plus d’information, notamment des informations en français… mais rien ne vient. Puis on apprend par des personnes qui ont suivi le cas en France, que le rabbin en question serait Strasbourgeois, et non affilié au Consistoire.

Le 8 septembre, Jeanine Elkouby, active à Strasbourg, publie un article sur son blog Times of Israël : « Le scandale de Strasbourg ». Un article en français, qui analyse les implications de l’affaire sur les institutions juives françaises. En commentaire de cet article, le Rabbin Michaël Szmerla prend la peine d’intervenir pour rappeler la position et le rôle du Consistoire dans cette affaire. C’est le premier article en français, un article qui analyse vraiment la situation française, au-delà du dénouement israélien, mais publié sur un média numérique et indépendant.

Et enfin, Actualité Juive publie un article le 12 septembre sur leur site internet, dans la rubrique Israël : « Douze ans pour obtenir le guett ». A ce jour, c’est le seul article publié sur ce sujet par un journal juif français. On le découvre le 13 septembre sur leur page Facebook avec en légende : « La femme concernée était française ».

Tout de suite, ça saute aux yeux. Pourquoi présenter la nationalité de la femme comme un détail, alors que dans cette histoire, le fait le plus scandaleux vient de France ? Et la lecture de l’article renforce ce sentiment d’amertume.

Pourquoi présenter ça comme une « histoire peu banale » ? L’euphémisme n’a pas sa place dans une affaire aussi grave.

Pourquoi dans ces lignes, ce « scandale de Strasbourg » se transforme en fait divers israélien ? Certes le dénouement est venu d’Israël, et heureusement, mais le problème vient bien de France, et subsiste en France, puisque le rabbin continue à agir.

Pourquoi ne pas insister sur le rôle insupportable joué par ce rabbin strasbourgeois ? Alors même que personne n’ose dire son nom, ici on n’ose même pas lui faire porter sa responsabilité. C’est pourtant lui qui pendant toute ces années, a gardé cette femme dans son statut d’« agounah », de femme enchaînée à son ex-mari, dans l’impossibilité de se remarier, alors même que l’ex-mari l’avait lui libérée. C’est aussi ce même rabbin qui a remarié l’homme en sachant parfaitement que l’ex-femme attendait toujours.

Cette affaire est très grave, et en plus de causer de la souffrance à des gens, elle fragilise la confiance déjà amoindrie des fidèles juifs dans les autorités religieuses. Finalement, elle remet en cause tous les fondements de notre communauté telle qu’elle est organisée aujourd’hui.

Or on attend des journalistes d’Actualité Juive qu’ils participent à l’éveil critique du public, et non pas qu’ils nous endorment avec des « histoires peu banales ».

Comme le dit Jeanine Elkouby, « la société juive (…) doit sortir de l’indifférence béate où, toutes obédiences confondues, elle est immergée et se montrer ferme et exigeante à l’égard du leadership religieux et laïc qui prétend la représenter ».

La conclusion de cette affaire, c’est Ohr Torah Stone qui nous la donne : « On demande aux tribunaux de faire un exemple de ce rabbin en particulier, si bien que les autres seront dissuadés d’agir de la même manière ».

à propos de l'auteur
Membre active du Conseil d'Administration de la synagogue de Saint-Leu la Forêt (95), bénévole au Réseau Ezra, investie avec LectureSefer pour la lecture de la Torah par les femmes dans le monde orthodoxe, Sandra Jerusalmi est également une Almuna des organisations juives internationales Ten Project (India), Moishe House, Paideia, Matan, Pardes, Yesod et ROI Community. Aujourd’hui, elle est coordinatrice de l’enseignement supérieur à l’AIU et résidente à la Moishe House Paris.
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