Le Qaddish ne regarde pas en arrière, il ne tire pas vers le passé
La lecture hebdomadaire est appelée « Vayechi/ויחי » (Et Jacob vécut) parce que sa mort et au repos Makpéla introduisent un nouveau mouvement de fertilité et de croissance au moyen de bénédictions.
« Yechi! \ ויחי »! La lecture hebdomadaire raconte la mort de Yaakov-Israël en exil. « Yechi \ יחי » = peuvent-il vivre « est semblable au cri de Batshevah: » Yechi adoni David le’olam va’ed – peut mon Maître David vivre éternellement \ יחי אדני דויד לעולם ועד « (Rois 1: 1-31).
Il semble que la Genèse/Bereichit marque les générations humaines et le respect dû aux ancêtres, en leur donnant une sépulture décente.
Adam et Eve avaient quitté le Gan Eden où il y avait un tombeau vide gardé par les Chérubins. Cain s’est caché le visage devant Dieu après avoir tué son frère Abel. La jalousie a scellé l’âme humaine dès l’origine et la survie de la création. Pourquoi mon sacrifice devrait être meilleure que la nôtre ou la vôtre ?
Abraham avait acheté une grotte et enterré Sara. Isaac et Rebecca les ont rejoints dans la même terre. Étant à l’étranger, Jacob et Joseph aussi voulaient se reposer avec leurs pères. Leur sépulture est devenue une source de la vie.
Nous sommes dans une situation unique: qui aurait jamais pensé que Jacob serait enterré avec Abraham à la grotte de Makhpélah ?
La grotte où ils ont été enterrés est une source de vie. Cela défie la raison et la perception que chacun peut se faire de l’Histoire.
De même, la grotte de Bethléem, ville du Roi et messie David, quoique le lieu ne soit pas clair mais traditionnel – comme pour Makhpelah, ma’arah = grotte/מערה = est ce lieu « aveuglant et qui réveille, où devient perceptible ce qui sort à la lumière » (Berakhot IV, 7b & Shabbat 33b).
Religions et aux croyances tournoyent comme des girouettes incertaines ou trop rigides à répéter des dogmes sécurisés alors que la vie ne peut que jaillir bien au-delà de nos certitudes ou manques de confiance.
Comme Job, figure universelle du pacte entre Dieu et Satan qui nous laisse tous les bras ballants : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu. Ainsi, je me rétracte et l’afflige sur la poussière et sur la cendre » (Job 42: 3-4).
Cette année, le jeudi 1er janvier 2015 correspond au 10 Tevet 5775 \ י’ טבת תשע »ה. C’est le jour où « dans la neuvième année de son règne, le dixième jour du dixième mois, Nabuchodonosor attaqua Jérusalem avec toute son armée.
Il assiégea la ville, et ils ont construit des tours contre toute: jour exact – de et-Etzem hayom Hazé \ את עצם היום הזה « (Ezéchiel 24: 2) Le prophète a minutieusement consigné le jour qui marque le début du Khourban, la destruction du Premier Temple » (2 Roi 25.1). »
Le 10ème jour du mois de Tevet ou « Asarah beTevet \ עשרה בטבת » est donc un jour de jeûne. Ceci prend sûrement du sens au cap de cette année civile nouvelle alors que l’humanité et l’humanité passent par des cris et des tremblements de meurtres, de confusions et d’irraisons.
Le Grand Rabbinat d’Israël a décidé que ce jour mémorial serait le Yom HaKaddish Haklali \ קדיש הכללי – le jour du Qaddish général ou universel pour commémorer tous ceux qui ont péri à des dates inconnues pendant la Shoah\שואה-Khourban / Khirb’n – חורבן (en yiddish).
Le mot « Khourban/חורבן » souligne un lien fort entre le Temple et nous en tant qu’êtres vivants dont les corps, les muscles, les tendons, les os, les membres et aussi les neurones sont appelés à revenir à la vie (cf. Ezéchiel 37).
La communauté d’Israël quitte donc 2014 et entre en 2015 par une journée de deuil, portant la mémoire vivante de tous ceux qui ont péri, parce que, quelles que soient leurs conduites morales personnelles, leurs mérites ou manquements, ils avaient reçu la marque particulière et gratuite de témoigner que l’amour (la vie) est féroce ou forte, voire plus puissante que la mort – ki ‘Azah khamavet ahavah \ כי עזה כמות אהבה (Cantique 8, 6).
Il s’agit des victimes du génocide nazi comme aussi de toutes les victimes qui furent assassinées au cours de l’histoire du peuple juif dans ses diverses dispersions. Cette date montre le lien avec la destruction des deux Temples. Il est d’ailleurs frappant de voir que le 9 du mois de Av (en été), les familles se regroupent au mur Occidental comme pour montrer que la vie a dépassé la puissance de mort.
Le Qaddish est l’une des des plus anciennes prières juives. Le mot signifie « saint » en araméen et l’ensemble du texte est dans cette langue, sauf la finale : « Que Celui qui fait la paix dans les Hauteurs, fasse aussi la paix sur nous et sur tout Israël et dire amen – osseh shalom bimromav \ עושה שלום במרומיו ».
En fait, il y a cinq textes différents du Qaddish récités selon diverses occasions. La prière est en araméen, la langue de l’exil à Babylone parlée et comprise par tout le monde, juifs et non-juifs. La tradition insiste sur le fait que tout être vivant, quelle que soit son origine ou langage puisse entendre, écouter et savoir que Dieu règne sur toute Ses créatures.
Le Qaddish dit « de l’orphelin » ou « Qaddish Yatom \ קדיש יתום (de la personne en deuil) », le texte ne parle absolument pas de la mort. Les différentes versions du Qaddish font exclusivement référence à la vie, Dieu comme Celui qui crée, donne, sustente, nourrit, déploie la vie par Son Nom, Sa Volonté et Son Règne sur la création.
Beaucoup de Juifs qui vivaient dans des régions éloignées ont souvent conservé, avec respect, la translittération du texte – en caractères russes, latins, arabes, grecs et même en chinois ou persan, – qu’ils récitaient souvent sans en comprendre le sens.
Ils sont souvent surpris de découvrir que c’est, en fait, une hymne à la sanctification de Dieu et comme un cri à la vie et à la bénédiction. En Israël, le texte est souvent publié avec une version en hébreu moderne. En yiddish, le Qaddishele \ קדישעלע désigne celui qui est choisi pour dire la prière des morts pour ceux qui n’ont pas de descendance.
A Yad VaShem\יד ושם, le rappel constant des 1.500.000 enfants dont les noms sont prononcés en hébreu, yiddish et en anglais insiste sur la mémoire de ces jeunes êtres humains.
L’Institut – tout comme le Kibbutz des Résistants de Ghettos ou le Musée Holocauste-Shoah de la Vieille Ville de Jérusalem – rappelle que tout souffle de vie reste vivant, en un lieu spécifique et que le nom est conservé comme une mémoire vive.
Les survivants ont les plus grandes difficultés à dire « qui » ils sont comme si leurs noms avaient été rayés ou déniés de la réalité humaine et sociale. Le monde virtuel actuel tend aussi vers cette automatisation anonyme et négationniste d’autrui sans même y prendre garde.
En fait, le Qaddish fut d’abord récité après avoir étudié la Torah ou le Talmud, ou à la fin d’un sermon prononcé par des rabbins. Le Kaddish de Rabbanan, dits « des rabbins » \ קדיש דרבנן sert de bénédiction majeure après un temps d’étude et de compréhension de textes vivants transmis de génération en génération par le moyen de mots anciens et actualisés qui ne sauraient être rabâchés mécaniquement.
Souvent raillés comme tous les responsables religieux, le rabbinat et les maîtres continuent de scruter et surtout de découvrir les sens multiples de la révélation, de la volonté et providence divines. Il faut des années et des années d’étude pour entrer dans le sens de mots sonores et aiguisés par la fidélité qui sculpte un témoignage en forme de rouleau d’éternité.
« Sur Israël et ses rabbins et leurs disciples (étudiants), et sur tous ceux sont occupés dans (l’étude de)la Torah, ici et dans tous les autres lieux (de la terre), qu’ils reçoivent ainsi que vous-mêmes la paix, la grâce et la bonté, la miséricorde et longue vie, l’abondance de la nourriture, le salut de leur Père (Avuhon \ אבוהון דבשמיא) qui est au ciel et dit: Amen. »
La foi procède d’une communauté qui accepte d’être enseignée et se tourne vers Dieu et Ses professeurs de génération en génération. A cet égard, la solitude ne peut exister et est inepte car le savoir est collectif, communautaire, transgénérationnel et transmémoriel pour utiliser des mots en vogue.
Il s’agit fondamentalement d’une action dynamique que le christianisme déploie par ses nombreux paysages culturels et linguistique, voire mentaux.
Le Qaddish Yatom – des orphelins \ קדיש יתום a été apparemment adopté plus récemment, vers le 13ème siècle. Il est récité tous les jours pendant les 30 jours de deuil ou le yohrzeit \ יארצייט – jour anniversaire de la mort selon le calendrier hébraïque. Il doit être prononcé lentement et avec beaucoup de respect. Si la date n’est pas connue, c’est précisément au 10 du mois de Tevet, donc le 1/1/2015 cette année, qu’il sera récité.
Le Qaddish deIt’hadata \ קדיש דאתחדתא (de’itchadata) ou Qaddish du « champ du repos ou jugement/צידוק הדין (version orientale) », récité lors d’un enterrement au cimetière, est centré sur le monde à venir, la reconstruction de Jérusalem et du Temple, l’ouverture d’une ère ou le paganisme étranger sera effacé de la surface de la terre et la foi renouvelée pour monter vers le Saint / ulma’qar pul’hana nukhra \ ולמעקר פולחנא נוכרא « .
Le noyau-même du Qaddish commence toujours par ces mots du Livre du prophète Ezéchiel 38:23: « Itgaddal veyitqaddash \ יתגדל ויתקדש … Exalté et sanctifié le Grand Nom (de Dieu) dans le monde qu’Il a créé selon Sa Volonté et qu’Il établisse Son règne, que Son salut et Son oint approchent (omis dans le texte achkénaze), de notre vivant et de vos jours et du vivant de de toute la maison d’Israël, bientôt et dans un temps proche et dites: Amen ».
Le Qaddish entier \ קדיש שלם (Shalem) insère: « Titqabel na tzlot’hon \ תתקבל נא צלותהון … Puissent les supplications et les prières de tout Israël être reçues par leur Père qui est aux ciel ».
Ces lignes ont été reprises mot pour mot dans la prière de Jésus telle qu’il l’a enseignée à ses disciples pour invoquer le Père céleste: «Notre Père qui es aux cieux (Avun divshmaya/אבון דבשניא) – ton nom soit sanctifié (yitqadash Shmekha) -peut ton règne vienne – que Ta volonté soit faite (khirute \ כרעותא) « (Matthieu 6: 9-14) ».
De façon inattendue, le Qaddish inclut, en Israël, ceux qui, comme beaucoup de nos concitoyens, étaient peu conscients d’être juifs, d’autres l’étaient de manière affirmée.
Mais la communauté israélienne unit aussi les Tsiganes et Gitans, les Sinti, les chrétiens, les communistes, les handicapés, les gens piégés par erreur, les homosexuels gays et lesbiennes, les transsexuels, les malades mentaux et tout un « aéropage d’Untermenschen-sous-hommes ».
Le Qaddish ne regarde pas en arrière, il ne tire pas vers le passé … Au contraire, il envisage la façon dont la vie peut produire la vie pour que l’être humain grandisse bien au-delà de ce qu’il est, sans nuire à quiconque, ni à soi-même.
En effet, le Qaddish permet d’avancer comme sur une échelle ou un escalator de nos jours, bientôt et dans un temps proche.
Il a été prononcée en terre sumérienne, c’est-à-dire l’Irak d’aujourd’hui où les massacres quotidiens sont perpétrés contre tous les êtres humains. Nous n’avons pas le droit de nous payer de mots ou de belles phrases.
Le Qaddish invite à la sainteté comme l’appel au respect de la vie.
Quand nous prions en Israël et en Palestine, nous ne devons jamais oublier les meurtres qui affectent quotidiennement toute la nation humaine.
Qu’Il nous garde en vie et nous fasse grandir bien au-delà de ce que nous sommes, si telle est Sa volonté, amen.