Le psychodrame de l’antisionisme

À gauche : le Grand Rabbin de France Haïm Korsia (Crédit : Ludovic Marin / AFP), à droite : le député français Aymeric Caron. (Crédit : AFP)
À gauche : le Grand Rabbin de France Haïm Korsia (Crédit : Ludovic Marin / AFP), à droite : le député français Aymeric Caron. (Crédit : AFP)

Israël mène une guerre juste et nécessaire. Contre les terroristes du Hamas, pas contre les civils palestiniens. La guerre en cours est malheureusement meurtrière comme toutes les guerres. C’est une guerre défensive et coûteuse en vies humaines et c’est une tragédie. Cette guerre n’est pas voulue par Israël mais par des ennemis acharnés qui ne jurent que par la mort et le sang. Y compris des leurs.

Israël croit dans la vie. La guerre n’est pas son but mais son sacrifice. Ce sacrifice triomphera de la guerre, et de la barbarie.

Interdire toute parole libre qui irait dans ce sens est une manœuvre totalitaire qui dicte au lieu de convaincre, préfère la polémique au dialogue, alimente la confusion et la peur au lieu de les combattre.

Cette morale fausse et cynique, c’est celle que les nervis de la coalition de la honte appelée NFP veulent imposer dans la société française aujourd’hui par une remarquable stratégie d’inversion des valeurs et des rôles.

Dire que le Hamas est un mouvement de résistance, c’est de l’apologie du terrorisme. Brandir le drapeau palestinien à l’Assemblée nationale, c’est un attentat anti-républicain qui vise à déstabiliser les institutions et salir leur fonctionnement. Attiser le feu de la détestation d’Israël pour élargir son électorat au risque de légitimer et d’excuser l’antisémitisme communautarisé des banlieues et bobo-fanatisé des centres-villes, c’est de l’incitation à la violence et à la haine raciale et religieuse. Et c’est puni par la loi.

LFI joue avec les nerfs de la démocratie. L’autre gauche est activement complice, par son silence ou ses compromis.

Contre ces nouveaux – vrais – fascistes qui sont tout proches du coup d’État dans un pays qui s’enfonce chaque jour dans un désordre indescriptible, il est urgent de décrypter au mieux cette stratégie de mise à mort de notre constitution et des libertés individuelles à laquelle nous assistons quotidiennement sans nous offusquer outre mesure.

De la polémique au discrédit

Voilà ce que dit Le Media, organe de presse en ligne, contre le grand rabbin de France Haïm Korsia qui s’est exprimé l’autre jour sur la chaîne BFM TV :

Il y aurait tenu « des propos immondes sur Gaza », fait « des déclarations choquantes », des propos qui menaceraient la République, choqueraient profondément l’opinion publique dans son ensemble et auraient provoqué « une onde de choc à travers le pays ». Des propos qui constitueraient « une grave dérive qui doit être traitée avec la plus grande sévérité par la justice [car] potentiellement criminelle, susceptible d’encourager la haine et de banaliser les crimes de guerre. […] La justice doit être rendue et ce, dans les plus brefs délais ».

Le Media se dit « engagé en faveur des causes sociales et écologiques, indépendant des puissances industrielles et financières ». Se revendiquant « progressiste » mais d’une progression sans pluriel d’opinion, cet organe de gauche vise surtout un public jeune, facilement épidermique et perméable.

Dans la diatribe émouvante de ce journal contre le rabbin Korsia, j’ai cru y reconnaître le ton gentiment exacerbé de mes anciens élèves de Terminale faisant en classe un exposé d’Éducation civique. Main sur le cœur, je les revois trembler de passion pour les injustices du monde qu’ils découvraient sur les grands titres de leurs écrans, se contentant souvent de la première page Google. Pas encore de ChatGPT à l’époque, mais déjà une intelligence superficielle, et la culture générale d’une boîte à chaussure.

Reprenons notre souffle. Non, pas encore. Causons avec Aymeric Caron, professeur des âmes sensibles.

Le député français Aymeric Caron, membre de la coalition de gauche NUPES (Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale), lors d’un rassemblement de soutien à la révision de la législation européenne sur les droits des animaux d’élevage, organisé par plusieurs ONG de défense des animaux, Place des Invalides, à Paris, le 11 avril 2023. (Crédit : AFP)

Le député insoumis dénonce les propos du rabbin dans un tweet rageur qui distribue à souhait les grands mots et les belles formules : attribuer les morts de civils gazaouis au Hamas et non à Israël, ce serait dit-il « de l’apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité »[1]. Puis il termine, l’air de rien, par un coup de griffe assassin, censé égratigner à jamais la réputation et la crédibilité du rabbin: « C’est soutenir le génocide en cours […] les masques tombent » [car] Haïm Korsia dit « sa détestation du peuple palestinien ».

Le président du CRIF, Yonathan Arfi, a apporté son soutien à Haïm Korsia qu’il considère comme « plus républicain que tous les députés LFI » et a accusé Aymeric Caron de trahir « jour après jour les valeurs de la République en attisant les divisions et la haine ».

Entre coup de bluff et coup de force

De quoi cette méthode est-elle le symptôme ?

Peu importe le sujet et la nature des accusations. Il s’agit d’atteindre à travers les personnalités publiques visées, d’abord la fonction qu’elles occupent et donc l’assise institutionnelle que ces fonctions représentent. Le but recherché ensuite est d’écorcher l’envergure morale ou spirituelle de ces fonctions auprès des populations qui les respectent, et des autres qui les jugent. Enfin et surtout, l’ambition à long terme est de toucher les personnes ciblées pour ce qu’elles sont intimement, et ce qu’elles incarnent symboliquement au-delà de leur magistère.

Tout est fait pour laisser des traces, quoi qu’il en coûte.

Peu importe le fond et la pertinence des attaques. Ce qui compte c’est ébranler les certitudes, brouiller les cartes et faire du bruit. Ce coup de boutoir politique est en réalité un grand coup de bluff, qui prêterait volontiers à sourire s’il ne cherchait systématiquement et en permanence à asséner les coups de force médiatiques et les coups de grâce ad hominem, pour mieux détruire la crédibilité des individus et des causes.

Que veulent dire Le Media et Aymeric Caron ? Ils disent que le vrai criminel ce n’est pas le Hamas mais le Juif, toujours et encore le Juif qui se fait passer pour une victime mais assouvit en réalité sa soif de vengeance contre les Palestiniens.

« Le masque tombe » écrit Caron indiquant implicitement que les Juifs sont bien les vrais criminels puisque la vérité subliminale apparaît dans les propos du premier d’entre eux, celui qui n’est donc pas une caution morale mais un porte-parole offensif et provocateur qui défend le chaos et soutient un génocide. Ce sont donc les Juifs qui sont des fanatiques ; ils doivent être mis hors d’état de nuire. L’appel à une justice immédiate laisse entendre que tout moyen pour ce faire est recommandé. C’est un appel à l’action dans tous ses possibles débordements.

Imaginez les dégâts d’un tel message auprès des esprits faibles.

Cette inversion des valeurs et des rôles s’apparente à une manipulation perverse : évincer le réel, congédier la conscience de ce réel, n’en retenir que la perception et l’affect, donc transgresser la vérité par cette inversion. Autrement dit, faire oublier les déclarations immondes de LFI sur le Hamas, effacer sa solidarité avec le terrorisme « résistant », en retirant à l’autre une caution morale que l’on endosse à sa place. L’art parfait du psychodrame.

L’art du psychodrame

Le docteur Jacob Levy Moreno, médecin américain d’origine roumaine, a travaillé sur une approche thérapeutique très efficace qu’il appelle « psychodrame ».

Le psychodrame serait le droit du patient se vivant comme une victime toute désignée, incomprise ou négligée, d’inviter le responsable de sa souffrance à l’inversion des rôles. Le protagoniste dont dépend le sort du plus faible se met alors à la place de celui-ci, réalise la violence de la situation et en comprend les enjeux. Brouiller les repères et changer arbitrairement la hiérarchie des acteurs conduirait, dans la vie comme sur la scène d’un théâtre, à susciter émotion et empathie, dialogue et résolution des conflits[2].

Cet art de la mise en scène désamorcerait à coup sûr l’explosion tragique d’un dernier acte.

« Les scènes de théâtre font disparaître les scènes de ménage » disait le bon docteur Moreno. L’approche ici se veut ludique et consciente.

Cependant, quand cette tactique vise à dissimuler et excuser une intention moins noble et plus tordue, alors elle devient une manipulation autrement plus dangereuse. C’est le cas de l’antisionisme : non pas atténuer les conflits, mais au contraire les renforcer.

Le psychodrame médiatique mis en scène et instrumentalisé par les élus de la France Insoumise invite militants et simples citoyens à exclure toute distance critique pour privilégier exclusivement l’action, laquelle serait forcément émancipatrice car elle libérerait sans entrave une réactivité spontanée, potentiellement violente mais légitime et juste. C’est « la Justice immédiate » et « la réponse urgente » réclamées à grand ressort émotionnel.

L’antisionisme n’est plus un sujet de réflexion mais un objet de querelle. On est pour, on est contre, on défend ou on s’oppose. Le psychodrame se nourrit de lui-même et gonfle comme une baudruche toujours prête à exploser. Entretenir ce psychodrame c’est jouer avec le feu.

Au bout du chemin, il y a la porte ouverte à toutes les exactions, une sorte d’invitation macabre à passer à l’acte et à rendre par soi-même une justice expéditive.

L’esprit faible entend des voix, la colère vengeresse résonne dans les esprits creux. Et le lynchage médiatique tend la main aux sauvages des rues.

Le chantage fonctionne à plein régime. La binarité de principe est admise et normalisée. Culpabiliser, criminaliser, exclure et sanctionner est un système de domination et de pouvoir. Le verrouillage psychologique se justifie par un refus de toute communication réelle. L’autre souffrance n’existe pas.

Une stratégie d’emprise mentale et affective prend le public à témoin, crée malaise et suspicion. La justification par l’absurde s’impose à toute réflexion. L’autre est un coupable et il doit se taire. L’indignité le guette. Soit il obtempère et se soumet, s’excuse ou reformule. Soit il persiste et signe sa propre condamnation. Quant au silence, c’est un aveu. Le psychodrame devient un piège qui se referme sur sa proie.

Tout est possible, tout est imaginable. Le mot d’ordre est clair, surtout quand des élus s’y mettent pour donner l’exemple de la confusion tactique et de l’ambiguïté explicite.

Rima Hassan, députée LFI, cultive avec brio la victimisation stratégique. Accusée d’avoir participé à une manifestation pro-Hamas à Amman en Jordanie, elle s’en défend et plaide l’innocence de la brebis égarée au milieu des multiples portraits d’Ismaïl Haniyeh qu’elle n’aurait pas vus, et des mots orduriers et anti-juifs qu’elle n’aurait pas entendus. Alors que les affiches et slogans scandés étaient parfaitement identifiables et compréhensibles pour une arabophone comme elle[3].

Mais les psychopathes, on le sait, n’ont ni remords ni regrets.

Pas un mot de compassion pour les six otages israéliens assassinés par des monstres après des mois de torture et d’angoisse ; plutôt une certaine satisfaction à y voir une société israélienne divisée, au bord du gouffre, qui crie sa douleur et son humanité.

Pour les journaux comme Libération ou Le Monde, couverts par une objectivité confortable dont ils ne font jamais preuve pour blâmer Israël, les otages ont simplement été tués et découverts dans un tunnel à cause d’un accord qui ne vient pas et de l’obstination de leur pays de continuer la guerre. C’est moins un drame qu’une fatalité laisse-t-on entendre, qui renvoie chacun dos à dos.

Même assassinés, même massacrés, les Israéliens seraient toujours victimes de leur propre gouvernement, pas du Hamas auquel le méchant Netanyahu promet « de régler son compte ». Alors que céder au chantage, accepter le piège, serait si simple pour préserver la vie aujourd’hui. On ne dit pas que ce serait surtout garantir une mort sûre et définitive pour demain. Mais qui s’intéresse vraiment au sort d’Israël ?

Ainsi, une certaine presse nous livre encore un spectacle obscène et écœurant d’arrogance et de mauvaise foi.

Alors de quoi ou de qui l’antisionisme est-il le psychodrame ? De quoi ou de qui les antisionistes veulent-ils guérir ? D’eux-mêmes bien sûr, c’est-à-dire de leur obsession d’Israël et des Juifs. Convaincus de ne pas être antisémites, ils créent en permanence tous les ingrédients d’une mise en scène de mauvais théâtre où ils se regardent et s’admirent, se complaisent et s’auto-congratulent. Dans un jeu de rôle et de foire, ils singent le malheur des uns en applaudissant au malheur des autres, comme les Soviétiques en leur temps qui, persuadés de ne pas être racistes, voulaient parquer les Juifs très loin, en Sibérie.

Sans limites ni état d’âme, des responsables politiques pervers et incendiaires usent de tous les cynismes et réclament toutes les excuses pour cultiver la haine invasive qu’ils sèment et répandent comme de la mauvaise herbe.

Tous les antisémites qui passent à l’acte plaident non coupables.

[1] Haïm Korsia accusé par Aymeric Caron « d’apologie de crimes de guerre à Gaza », Times of Israël, 28 août 2024.

[2] Cette méthode crée un « locus nascendi » c’est-à-dire un « état naissant […] où l’illusion et la réalité se rejoignent ». J. L. Moreno (1889-1974), Du théâtre au psychodrame, Anne Ancelin Schützenberger, Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 2011/n°56, pages 25 à 39.

[3] « Rima Hassan et le Hamas : l’art de l’ambiguïté », L’express, 21 août 2024 ; Rima Hassan et Mathilde Panot ont été convoquées par la police pour apologie du terrorisme, Le Point, 30 avril 2024.

à propos de l'auteur
Après une carrière dans l'enseignement, Jean-Paul a ouvert une librairie en Nouvelle Aquitaine où il vit actuellement.
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