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Le président Rivlin et les Églises en Israël

Alexander revient sur les liens entre l'Église et l'État juif

Le président israélien Reuven (Ruby) Rivlin a rendu visite au Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem ce mardi 14 avril 2015.

Cette visite est une première, une reprise de contact quasi officielle avec le Patriarcat de Jérusalem, au moins au niveau de la présidence de l’Etat d’Israël. Il est le premier chef de l’Etat hébreu à rendre visite, depuis longtemps, aux communautés chrétiennes dans la Vieille Ville de Jérusalem.

Pour autant que je me souvienne, ni le Président Moshe Katzav ou Shimon Peres n’étaient venus en raison des péripéties internes que nous avons vécues au cours de la dernière décennie. Le patriarche Iréneos venait d’être reconnu par l’Etat d’Israël quand il fut déposé par les membres du Patriarcat orthodoxe de Jérusalem.

A l’instigation de l’Archevêque Aristarchos, Secrétaire Général du Patriarcat, un recours fut déposé au siège orthodoxe du Patriarcat oecuménique de Constantinople. Avec l’accord de toutes les Eglises orthodoxes indépendantes, le Saint Synode du Patriarcat de Jérusalem élut alors à l’unanimité Theophilos III de Jérusalem comme nouveau chef de l’Eglise dite « Mère de toutes les Eglises de Dieu ».

Théophilos de Jérusalem a été élu le 22 août 2005 et fut intronisé le 22 novembre 2005 au Saint Sépulcre. Depuis lors jusqu’à aujourd’hui, aucun représentant officiel israélien ne rendit vraiment visite au patriarcat, aucun membre du gouvernement.

L’élection fut reconnue par la Jordanie sans l’assentiment du gouvernement israélien qui le confirma plus tardivement.

Sur ces entre-faits, nous avons dû faire face à beaucoup de problèmes, en raison de la composition interne de la Fraternité grecque du Saint-Sépulcre, de la personnalité de certains membres de la hiérarchie. Il a fallu faire face à des situations préoccupantes, les résoudre ou trouver des voies pour assénir les difficultés accumulées au cours des trente dernières années.

Il a aussi fallu redistribuer les rôles dans un vaste territoire patriarcal qui comprend Israël, les Territoires palestiniens et le Royaume de Jordanie.

Les relations du Patriarcat de Jérusalem ont aussi dû être redéfinies avec les autres confessions chrétiennes qui sont présentes dans les Lieux fondamentaux du christianisme comme le Saint-Sépulcre ou la Basilique de la Nativité à Bethléem.

Les choses ont été largement couvertes et pilotées depuis Constantinople, avec l’aide du gouvernement grec, durant le temps de terribles épreuves et de vaches (très) maigres qui ont largement affecté l’Eglise orthodoxe de Jérusalem. En fait de profonde disette, personne n’y croit localement en raison d’une sorte de corruption endémique et off-shore des Eglises. Pourtant c’est un fait, l’Eglise a gaspillé et n’a pas vraiment de réserves tout comme toutes les communautés religieuses. Mais la situation financière, les dettes ou les propriétés foncières prennent trop souvent le relais de la vraie vocation spirituelle qui est trop ritualisée.

Cette année, si l’on regarde attentivement le déroulement des fêtes pascales, il est indubitable que le Patriarche Theophilos III de Jérusalem et de toute la Palestine a conservé son premier rang au sein de toutes les Eglises présentes en Terre Sainte.

Cette position de leadership lui est souvent contestée par d’autres Eglises, en particulier les catholiques et d’autres Eglises comme l’Eglise orthodoxe russe de Moscou qui respecte son rang au nom de la tradition canonique mais beaucoup aimeraient soit se saisir de cette « primauté locale et historique » ou imposer leurs vues et leur présence de différentes manière. Chacun y va de l’importance de leurs pèlerins ou monastères en Terre Sainte quand il ne s’agit pas d’un pouvoir financier qui s’est avéré plutôt versatile au cours des âges. Sur deux millénaires ce fut souvent « à qui perd, gagne ».

Par ailleurs, les Grecs orthodoxes sont plutôt les héritiers de la culture hellénistique, présente depuis l’Antiquité dans cette région du Proche-Orient.

Elle a tant influencé la pensée philosophique que la religion juive par la traduction en langue grecque de la Septante par les Sages d’Alexandrie et le Talmud par l’acquisition de nombreux termes hellénistiques dans la Mishna et la Gemara.

Au cours des décennies qui viennent, la tâche de l’Eglise Roum (romaine; issue de l’Empire romain d’Orient et d’Occident) consistera à s’ouvrir sur le monde arabe et la nomination d’évêques et de prêtres, de développer un véritable respect et le sens de l’égalité avec le clergé et laïcs arabes les gens en Israël, dans les Territoires palestiniens et en Jordanie.

La culture hellénistique et l’expérience théologique semblent un peu «isolées» et «nationalistes» dans la région, les membres du clergé sont venus en Terre Sainte à partir de zones très spécifiques de la Grèce, en particulier de régions pauvres mais dont les habitants étaient restés profondément fidèles à la foi orthodoxe bien que sous le joug oppresseur des Ottomans.

 

Le patriarcat a ainsi de nombreux descendants des orthodoxes grecs qui ont été assassinés en 1915 au cours des meurtres de masse dans le Proche-Orient qui visèrent aussi les Arméniens et les Assyriens / Syro-orthodoxes et autres membres de communautés chrétiennes.

Qui oserait évoquer une compétition dans la marche vers le martyre ?

Le Patriarcat grec-orthodoxe orthodoxe de Jérusalem devrait être en mesure de jouer un rôle culturel et stratégique important pour le bien de toutes les obédiences chrétiennes, du moins c’est le défi qu’il devra tenter de relever, d’autant qu’il a un savoir-faire unique de par son expérience à surmonter tous les cataclysmes proche-orientaux.

Je pense qu’il sera un jour possible pour le patriarcat de rassembler en son sein toutes les Eglises orthodoxes aujourd’hui disséminées à travers le monde, voire de créer une sorte de « Orthodikan » à Jérusalem qui pourrait aider tous les croyants.

La visite de Reuven Rivlin, nouveau Président d’Israel, indique son intérêt personnel pour toutes communautés humaines et religieuses présentes dans l’Etat hébreu.

 

Il a le désir d’assurer la sécurité, la reconnaissance et de l’existence de toutes les communautés religieuses au sein d’Israël, dans le cadre de l’État juif qui comprend aussi les habitants de tout le Proche-Orient, sinon des résidents venus du monde entier.

Ceci constitue un fait nouveau pour les Eglises dont les positions théologiques n’ont guère évolué localement vers la modernité et l’acceptation du retour des Juifs et l’émergence d’un Etat d’Israël, pour la première fois depuis la venue de Jésus-Christ.

C’est encore trop récent. Ces mêmes communautés doivent se reconnaître mutuellement en profondeur, bien au-delà des « salam alek » habituels et ritualisés.

Le président Rivlin affirme aussi qu’Israël assure la protection des communautés chrétiennes dont le premier représentant est le Patriarche orthodoxe de Jérusalem, comme au moment où Patriarche Sophronios avait reçu l’Achtiname ou le Décret de tolérance accordé par le Calife Omar Ibn-Al-Khattab en 637 et qui a placé le christianisme sous le contrôle de l’Umma musulmane sans que cette décision n’ait été dénoncée ou annulée à ce jour par les autorités musulmanes.

Les intérêts divergent et les Grecs ont une expérience multiséculaire qui n’est pas toujours évidente à comprendre pour les locaux. Ils assurent cependant, comme par ricochet qui leur paraît naturel mais l’est de moins en moins comme pour toutes les Eglises établies, un recours extérieur pour des groupes de fidèles qui ont été tentés ou broyés par le tournis de l’histoire.

Le Président Rivlin est aussi un vrai Israélien du terroir – né dans une famille arrivée dans le pays depuis de nombreuses générations. Il tient à affirmer le respect de toutes les confessions et des chrétiens, à condition que tous soient dignes de confiance et acceptent la réalité de la présence et l’autorité de l’Etat israélien.

Cela prendra un certain temps. Patience.

Textes en anglais de l’allocution du président Reuven Rivlin : « http://www.jp-newsgate.net/en/2015/04/14/13610 »

et du Patriarche Théophilos de Jérusalem : « http://www.jp-newsgate.net/en/2015/04/14/13615 »

(c) photographies : Ioannis Kokovikos, Holylandphotos.net
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à propos de l'auteur
Abba (père) Alexander est en charge des fidèles chrétiens orthodoxes de langues hébraïque, slaves au patriarcat de Jérusalem, talmudiste et étudie l'évolution de la société israélienne. Il consacre sa vie au dialogue entre Judaisme et Christianisme.
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