Le plan Trump pour Gaza : réponse à Freddy Eytan sur les perspectives de paix

Monsieur Freddy Eytan,
Votre billet « Le plan Trump pour Gaza est-il utopique? » propose une lecture engagée et argumentée de la situation à Gaza et du plan Trump.
Vous soulignez l’importance d’une solution axée sur le développement économique et l’éradication militaire des milices à Gaza. Toutefois, la fin du conflit ne pourrait être réduite à cette seule perspective. C’est dans cet esprit que ce texte souhaite apporter quelques réflexions complémentaires.
Votre texte est le reflet d’une perspective très tranchée sur la situation à Gaza et le plan Trump. Malheureusement, votre texte rejette systématiquement les propositions de la communauté internationale. Certes, nous pouvons admettre que l’échec des solutions traditionnelles et la nécessité d’éradiquer le Hamas sont devenus des arguments répétés – sans pour autant offrir une alternative viable – et favorisant avant tout une reconstruction des liens entre Israéliens et Palestiniens.
Si l’on se limite seulement au développement économique pour assurer une stabilité, alors nous ferons face à une impasse. Le plan avancé par Trump concernant Gaza reçoit actuellement une résistance très forte de la part des gouvernements, mais surtout des populations. Le problème des propositions de Trump réside dans la recherche de solutions rapides et simplistes afin d’empêcher une autre attaque meurtrière identique à celle du 7 octobre, notamment à travers le déplacement de populations palestiniennes.
Comme vous le savez, Israël est condamné à vivre avec ses voisins et vice-versa. Il est donc nécessaire que les efforts de paix aboutissent à des solutions endogènes et durables. L’opinion publique israélienne doit avoir conscience que la seule approche sécuritaire et économique ne sera pas suffisante.
Considérons l’exemple de la guerre contre Daech, qui a impliqué la coalition internationale. Cette guerre n’a pas mis fin aux groupes extrémistes, ils continuent de prospérer, en Irak et en Syrie, sous différentes formes. Un résultat similaire pourrait également s’appliquer à Gaza si l’on se fie seulement à une défaite militaire du Hamas. D’autres groupes extrémistes pourraient bien surgir, peut-être encore plus radicalisés.
Aujourd’hui, on pourrait supposer que le Hamas a perdu de son influence à Gaza, mais en Cisjordanie, la situation pourrait être différente. Il est très probable que le Hamas ne puisse pas servir de parti négociateur de la paix après les atrocités du 7 octobre. Cependant, l’éradication militaire du Hamas et le coût humain de cette guerre ne supprimeront pas les raisons qui ont mené au succès électoral du Hamas en 2006. L’utilisation de la répression ne détruit que rarement une idéologie. Elle peut même avoir l’effet inverse.
Votre critique qualifie « d’obsolète » le processus de paix, qui se concentre sur le consensus des parties prenantes, en arguant qu’il a été un échec.
Il est vrai que de nombreux obstacles ont été rencontrés tout au long des pourparlers de paix. Cependant, cela ne signifie pas que chaque effort diplomatique est voué à l’échec. Un accord politique n’est pas nécessaire pour que certains processus de paix progressent, notamment lorsqu’on mise sur une paix au niveau populaire. En tant que sous-produit de ce processus, il existe des développements notables comme la coopération en matière de sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne. Force est de constater qu’elle pourrait bien être la seule réussite des Accords d’Oslo.
Quant au registre du développement économique comme moteur de relance de la paix, oui, la prospérité économique pourrait stabiliser une situation politique. Après une guerre sanglante et sans accords de paix, il s’agirait là d’une simplification de résolution du conflit.
Certes, un essor économique favorisera la vie des Gazaouis et des Palestiniens, et entravera temporairement le recrutement par les milices, mais il est illusoire de penser que seule la prospérité économique couvrira des décennies d’humiliations, de déplacements forcés et de manque de souveraineté. Les habitants de Gaza et de Cisjordanie aspirent à des perspectives économiques, mais ils exigent également la reconnaissance de leurs droits citoyens et du respect.
L’idée d’un engagement de l’Arabie saoudite et des Émirats dans la reconstruction de Gaza est séduisante. Sans doute, Riyad et Abu Dhabi ont un intérêt stratégique à maintenir la stabilité dans la région. Toutefois, les populations ne supportent plus de voir une solution imposée aux Palestiniens sans leur consentement.
Par ailleurs, l’Égypte s’oppose aussi à l’idée d’une intégration totale ou partielle de Gaza au Sinaï, par crainte que cela n’affaiblisse son autorité sur cette zone. L’histoire démontre que toute tentative d’associer le monde arabe à une solution imposée a été mal reçue, car elle est considérée comme une renonciation aux droits palestiniens.
L’idée perpétuelle que l’Arabie saoudite et les Émirats du Golfe devraient être les principaux bailleurs de fonds pour la reconstruction de Gaza mérite d’être questionnée.
Malheureusement, cette idée est devenue obsolète et ces pays refusent d’être des bailleurs de fonds sans que cela ne soit reconnu et souligné, et surtout sans que cela ne devienne une excuse pour une attaque diplomatique et médiatique future, comme c’est le cas pour le Qatar. Cet émirat finance les institutions de Gaza (Hamas), depuis des années, sous forme d’aide humanitaire, de salaires pour les fonctionnaires et de financement pour des infrastructures, avec la bénédiction du gouvernement israélien.
Le Qatar a mauvaise presse, notamment de la part d’Israël, des États-Unis et certains pays occidentaux. Les pays du Golfe ne supportent plus ce double discours. Si des fonds ont été déviés au profit du Hamas, il aurait fallu créer un mécanisme neutre de financement des projets.
Aussi, Israël a mené des opérations militaires dans la bande de Gaza, causant des destructions massives d’infrastructures. Bien que ces opérations aient été justifiées par des impératifs sécuritaires, elles ont laissé la bande Gaza en ruines. Si les pays arabes sont prêts à financer la reconstruction, ce ne devrait pas être une occasion pour exonérer d’autres parties de leurs responsabilités. Le financement arabe sera constructif dans le cadre d’un projet politique qui inclut financièrement la communauté internationale.
Dans votre billet « Contre la création d’un État palestinien et non à un État binational », vous adoptez un chemin pragmatique et réaliste, toujours avec un ton résolument engagé en faveur de la position israélienne.
L’affirmation selon laquelle « les Palestiniens préfèrent vivre sous administration israélienne » mérite d’être appuyée par des données. Certains indicateurs montrent que, bien que des Palestiniens bénéficient d’opportunités économiques en Israël, le désir d’indépendance nationale reste fort.
Cette envie de faire partie de la société israélienne n’est qu’un désir par défaut. Faute de quoi, on accepte la moins pire des solutions. Le texte du professeur Yigal Bin Nun « Que veulent en fait les Palestiniens ? Deux États pour deux peuples, la solution qui a échoué » pourrait compléter cette réflexion. Sa pensée est intéressante à lire dans le contexte de division que subit la société israélienne. Il nous assure que la paix ne se décrète pas par le simple « fait accompli ».
Toute solution durable devra nécessairement inclure une dimension politique crédible, qui réponde non seulement aux impératifs sécuritaires d’Israël, mais aussi aux aspirations légitimes du peuple palestinien.
Contrairement à votre réflexion, le professeur Bin Nun plaide en faveur d’un État binational, ou du moins souligne que certains Palestiniens préfèrent cette option, notamment pour bénéficier des infrastructures et des avancées israéliennes sans pour autant balayer la velléité indépendantiste des Palestiniens. L’idée des « confédérations économiques » est intéressante à explorer, mais mériterait plus de concessions du côté israélien, et une implication effective des États arabes.
La proposition de « frontières ouvertes et du libre-échange » est contradictoire votre affirmation que « la création d’un État palestinien indépendant dans les années à venir serait un suicide pour l’État juif ».
Un État palestinien pourrait être la seule solution pour une réelle dynamique de paix, et un encouragement pour la normalisation complète avec les pays arabes et musulmans. La crainte de voir un État palestinien relève d’une peur irrationnelle.
La création d’un État palestinien ne représente pas une menace plus grande que la situation actuelle, où des groupes hostiles sont déjà actifs. Bien au contraire, un État palestinien signifie que sa souveraineté sera encadrée par des accords et soumise à des contraintes internationales.
Cette opposition de voir un État palestinien rappelle l’opposition aux accords de Camp David. Pour rappel, les opposants au retrait du Sinaï soutenaient que l’Égypte pourrait représenter une menace pour Israël. La vision de Jabotinsky (qui estime que renoncer à des terres, même dans un cadre de paix, est un acte de faiblesse) a prouvé son inexactitude. En effet, l’Égypte et la Jordanie ont respecté les traités de paix pendant des décennies, contribuant à la stabilité régionale. Contrairement à la doctrine de Jabotinsky, le retrait du Sinaï ou même de Gaza (par exemple) ne s’est pas traduit par un affaiblissement stratégique d’Israël.
Le 7 octobre 2023 a été un rappel brutal des défis sécuritaires auxquels Israël fait face. Pour garantir une sécurité absolue, Israël doit négocier avec des États et non avec des milices à travers des médiateurs, qui, souvent, ont leurs propres agendas. Que la solution passe par la création de deux États ou par un État fédéré, force est de constater que le statu quo ne profite à aucune partie.
Au final, nous devons garder en tête qu’un plan rejeté par les Palestiniens et les pays arabes risque d’avoir l’effet inverse, et de renforcer le ressentiment ainsi que la nécessité d’une solution radicale. Le rejet des solutions traditionnelles ne signifie pas qu’une alternative radicalement opposée soit forcément viable.
Le début de la solution réside dans un dialogue sain et constructif. Les débats publics contribuent à relancer une réflexion qui prenne en compte les aspirations légitimes de toutes les parties concernées. Il faudrait mettre au premier plan la réconciliation populaire entre les Palestiniens et les Israéliens, et une normalisation des échanges culturels entre les pays arabes et Israël, afin d’entreprendre un avenir inclusif.
Bien respectueusement.
La paix n’est pas l’absence de guerre, c’est une vertu, un état d’esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice. – Baruch Spinoza