Le plaider-coupable de Netanyahou met en danger la coalition

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu présidant la réunion hebdomadaire du cabinet à Jérusalem, dimanche 5 janvier 2020. (Ronen Zvulun / Pool via AP)
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu présidant la réunion hebdomadaire du cabinet à Jérusalem, dimanche 5 janvier 2020. (Ronen Zvulun / Pool via AP)

Le plaider-coupable est très répandu en Israël pour certains délits. Si l’accusé reconnait ouvertement sa culpabilité, il peut négocier par avance avec le procureur l’étendue de sa peine. Il s’agit souvent de limiter les procédures et la charge des tribunaux ainsi que d’éviter la prison à l’accusé. Cela s’applique aussi aux témoins de l’accusation qui, en échange d’informations de haut niveau, voient leur peine réduite au minimum. La reconnaissance préalable de culpabilité consiste, au terme d’une procédure allégée, à proposer au prévenu une peine inférieure à celle encourue.

Le procès traine en longueur et Netanyahou a exploité toutes les ficelles possibles, sans pour autant l’empêcher. Il espérait un renversement de situation politique en Israël, en vain. Le procureur général d’Israël, Avichai Mandelblit, négocie avec Netanyahou depuis plusieurs semaines en secret un accord de plaider-coupable à des accusations de corruption. Les avocats de Netanyahou, de leur côté, ont proposé qu’il plaide coupable pour deux chefs d’accusation seulement, ne purge pas de peine de prison et démissionne de la Knesset, mais avec la possibilité de se présenter à nouveau lors de futures élections.

Le dernier point de friction dépend du procureur qui veut obliger Netanyahou à se retirer de la politique pendant au moins sept ans. Il est prêt à ne pas demander de peine de prison ferme, mais exige une peine de prison de principe, à purger en tant que service communautaire. Enfin, le procureur envisage une peine de turpitude morale interprété comme un délit qui insulte la moralité générale. Le terme peut être divisé en deux parties : le crime fait référence à une infraction punissable par la loi et la turpitude morale fait référence à une conduite corrompue ou dégénérée qui insulte généralement la conscience publique. L’envers de la médaille pour Netanyahou est que cette peine l’empêcherait définitivement d’entrer aux États-Unis, selon la loi américaine.

Pour Netanyahou il s’agit d’un changement de stratégie car, jusqu’à présent, il avait toujours refusé d’admettre sa culpabilité dans trois affaires au moins parce qu’il clamait haut et fort que son dossier ne contenait rien. La première affaire, le dossier Bezeq, «Affaire 4.000», où il est accusé d’avoir tenté de s’assurer une couverture favorable par le site Walla contre des faveurs gouvernementales qui pourraient avoir rapporté des millions de dollars à Shaoul Elovitch, alors patron du géant israélien des télécoms Bezeq, dont Walla fait partie.

Dans «l’Affaire 2.000» ou Mediagate, il est accusé d’avoir cherché à s’assurer une couverture favorable mais cette fois du quotidien payant le plus lu en Israël, le Yediot Aharonot, en échange d’une possible loi limitant la diffusion du journal gratuit Israel Hayom, son principal concurrent. Dans «l’Affaire 1.000», Netanyahou et des membres de sa famille sont soupçonnés d’avoir reçu des cadeaux – cigares de luxe, bouteilles de champagne et bijoux – pour plus de 700.000 shekels (environ 200.000 euros) de la part de personnalités, en échange de faveurs financières ou personnelles.

Pendant trois ans au moins, les avocats de Netanyahou lui ont conseillé d’envisager un accord de plaidoyer, mais il a refusé, pressé par sa femme et son fils de contester les actes d’accusation devant le tribunal. Ce procès pollue depuis de longues années l’atmosphère politique du pays et surtout le Likoud, partagé entre ceux qui restent fidèles à leur leader et ceux qui estiment qu’il a fait son temps au parti et qu’il doit se retirer. Le plaider-coupable entrainera une recomposition politique de grande envergure au sein de la droite, avec en jeu le leadership du Likoud où de nombreux prétendants piaffent d’impatience. En paraphrasant le général de Gaulle, après le départ de Netanyahou : «Ce qui est à redouter, après l’événement, ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop plein !».

La lutte interne au Likoud sera féroce car plusieurs dirigeants attendent depuis longtemps de prendre le leadership du parti. Mais l’impact sera plus grand pour la coalition actuellement au pouvoir. Tout accord judiciaire créerait une tempête politique en Israël et pourrait faire tomber le gouvernement actuel. En effet le gouvernement de Naftali Bennett, constitué des partis de gauche, centristes et de droite, a été formé principalement pour évincer Netanyahou du pouvoir. Il a exclu le plus grand parti, le Likoud, face aux accusations de corruption de son leader. Netanyahou est le «ciment» qui maintient l’existence du gouvernement actuel de coalition. S’il quitte le pouvoir alors tous les scénarios deviennent possibles.

Il n’y aura plus d’exclusive et des regroupements sont attendus. Les alliances de circonstance n’auront plus cours et chaque dirigeant retrouvera le clan politique selon ses convictions. Naftali Bennett, Ayelet Shaked, Gideon Saar et Avigdor Lieberman pourraient reconstituer avec le Likoud un espace de droite plus conforme à leur histoire politique, avec pour conséquence l’élimination des extrêmes, aussi bien à droite qu’à gauche. La coalition de bric et de broc aura vécu.

L’extrême-droite, Meretz, les Travaillistes et surtout les partis arabes risquent de payer cher l’élimination de l’épouvantail Netanyahou. Parce qu’ils étaient indispensables à une majorité, ces partis n’ont pas cessé de se lancer dans une guérilla contre la coalition. Ils étaient convaincus que des solutions de rechange n’existaient pas. Cependant, la coalition risque d’exploser sans pour autant faire émerger un nouveau leader charismatique.

Au Likoud, personne ne se détache vraiment car la personnalité de Bibi était inimitable et que les haines entre candidats du même bord ont pris de l’ampleur. Le seul à avoir peaufiné sa stature est indubitablement Benny Gantz. Il est le plus apte à pouvoir créer une alliance entre le Likoud sous un nouvel leadership et le Centre dans le cadre d’une majorité élargie et large. Il a acquis une grande expérience politique aux côtés de Netanyahou et depuis quelques semaines, il s’impose comme le leader du gouvernement en prenant plusieurs initiatives aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger. Il pourrait bénéficier du combat de coq au sein du Likoud et de l’inertie qu’il génère.

En revanche les pendules seront mises à l’heure avec une droite et une gauche qui retrouveront leurs repères. Les clans originaux seront vite reconstitués et les frontières politiques bien délimitées. C’est dire si le plaider-coupable entraînera des conséquences imprévisibles.

Article initialement publié dans Temps et Contretemps.

à propos de l'auteur
Jacques BENILLOUCHE, installé en Israël depuis 2007, a collaboré au Jerusalem Post en français, à l'Impact puis à Guysen-Tv. Journaliste indépendant, il collabore avec des médias francophones, Slate.fr, radio Judaïques-FM à Paris, radio Kol-Aviv Toulouse. Jacques Benillouche anime, depuis juin 2010, le site Temps et Contretemps qui publie des analyses concernant Israël, le judaïsme, la politique franco-israélienne et le Proche-Orient sur la base d'articles exclusifs.
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