Le Pessah le plus cher de l’Histoire d’Israël

La foire alimentaire Shulchan Aruch du Shuk au Port à Tel Aviv, les 13 et 14 avril 2022. (Crédit : Autorisation Shani Brill)
La foire alimentaire Shulchan Aruch du Shuk au Port à Tel Aviv, les 13 et 14 avril 2022. (Crédit : Autorisation Shani Brill)

Pessah 2024 est un véritable casse-tête pour le consommateur israélien : les prix déjà élevés ont continué de flamber et les traditionnelles soldes de fête sont rares.

Malgré l’état de guerre et une consommation au ralenti, la hausse des prix en Israël n’a pas ralenti, loin de là : 2024 pourrait même connaître le Pessah le plus cher de l’Histoire du pays.

A priori, l’environnement économique laissait entrevoir un recul des prix : les Israéliens ont réduit leur consommation durant la guerre, ce qui aurait dû convaincre les commerçants à corriger leurs étiquettes à la baisse, sans compter un shekel qui se renforce, rendant moins chers les produits importés de l’étranger.

En Israël, rien ne se passe comme les livres d’économie l’enseignent ; le ralentissement de l’activité, la baisse du revenu des ménages et la morosité des consommateurs sont autant de facteurs qui sont censés inciter les commerçants et industriels à abaisser leurs prix pour éviter la faillite et attendre des jours meilleurs ; or, il n’en est rien.

Abus de fidélité

C’est ainsi qu’à l’approche de ce Pessah 2024, le prix de la majorité des produits de consommation courante a fait un bond de plusieurs dizaines de pourcents, comme alimentation, entretien, fleurs, cadeaux, hôtels, billets d’avion, etc. Il n’est pas un article ou service que l’Israélien consomme fortement en cette période de fête qui n’ait vu son prix s’envoler, parfois jusqu’à 50% de plus par rapport à l’année passée.

Certes, les producteurs, distributeurs et importateurs se relancent la responsabilité les uns sur les autres, sous des prétextes divers : la demande est forte alors que l’offre est limitée, les matières premières augmentent, les coûts de production s’envolent, etc.

En fait, les vendeurs font un abus cynique de la fidélité de l’acheteur israélien : celui-ci est fidèle à ses marques et ses enseignes, même une valse des étiquettes ne le fera pas modifier ses habitudes de consommation. Les distributeurs le savent bien, ce qui leur permet de relever leurs prix sans craindre un boycott du consommateur.

Fibre patriotique

Sans compter que les producteurs locaux n’hésitent pas à jouer sur la fibre patriotique du consommateur israélien pour le convaincre d’acheter « bleu-blanc », même à des prix battant toute concurrence.

En cette période de guerre, et alors que de nombreux fournisseurs étrangers menacent de suspendre leurs livraisons à l’Etat juif, le consommateur israélien donne la préférence aux produits locaux plus chers, délaissant les produits turcs ou européens moins chers.

L’exemple le plus marquant est sans doute celui d’El Al qui n’hésite pas à abuser de la situation sécuritaire pour relever ses prix. Début avril, l’Autorité de la Concurrence a décidé d’ouvrir une enquête pour vérifier le bien-fondé des fortes augmentations des prix des billets d’avion et pour évaluer si la compagnie El Al a profité de manière déloyale de la situation sécuritaire et de son statut de quasi-monopole.

Gagnants et perdants

S’il fallait une preuve de la hausse abusive des prix en Israël, il suffit de regarder les bilans financiers des grandes sociétés israéliennes. Loin de perdre de l’argent, les distributeurs, producteurs et importateurs, affichent d’énormes profits.

Dans le domaine de l’alimentation par exemple, la plupart des fournisseurs et grandes enseignes ont vu leurs bénéfices faire un bond substantiel en 2023 et la tendance se poursuivra sans doute en 2024.

Autrement dit, la guerre ne fait pas que des perdants : si le consommateur israélien doit débourser davantage pour la fête de Pessah 2024, les gros actionnaires n’hésitent pas à empocher des dividendes substantiels que leur société leur verse.

à propos de l'auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de "Les Arabes d’Israël" (Autrement, 2008), "Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ?" (Armand Colin, 2012), "Les Israéliens, hypercréatifs !" (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et "Israël, mode d’emploi" (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : "Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël" (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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