Le partage des pouvoirs, selon la Bible

Les débats difficiles au sujet de la réforme judiciaire en Israël remettent en question le partage des pouvoirs gouvernementaux, qu’ils soient d’ordre exécutif, législatif ou judiciaire. Il est vrai que dans les pays démocratiques, il n’y a pas de formule parfaite qui régit ce partage de pouvoirs sinon qu’il est généralement admis qu’il faut un contrepoids à l’autorité d’un parlement : chambre haute ou sénat agissant sous l’égide d’une constitution. Peut-on extraire des enseignements dans la matière dans les Écritures hébraïques ?

L’égalité devant la loi

Lors de la Création, l’être humain est conçu à l’image de Dieu et en ce sens, tous les êtres humains sont égaux. De plus, la Bible exclut l’exclusivité des rois qui, dans l’Orient Ancien, s’appropriaient ou se réclamaient le titre de dieu. Il est par ailleurs édicté : « une seule loi régira vous-mêmes, l’étranger et le résident (Nombres 15-16). »

Tous les citoyens sont égaux devant la loi.

La responsabilisation progressive de l’être humain

Avant le Déluge, Dieu désespère de l’humanité lorsqu’il dit :

Mon esprit n’animera pas l’être l’humain de chair dont la vie sera limitée à 120 ans. Néanmoins, après le Déluge, Dieu accorde le pouvoir de jugement à l’homme dans le cas d’un assassinat : « celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé, car l’homme a été fait à l’image de Dieu. » Rappelons que dans les 10 commandements, le 6é se lit « tu n’assassineras pas » et non pas « tu ne tueras pas » ce qui prend en considération la légitime défense.

Dans la Bible, le pouvoir de justice évolue en direction de la responsabilité humaine. Décrivons en les grandes lignes : Abraham s’interpose lorsque Dieu veut détruire Sodome et Gomorrhe en précisant qu’un tel geste serait injustifié, car il ferait périr également des innocents. En outre, le rôle d’éducateur d’Abraham est souligné dans la Genèse : « Si je l’ai distingué, c’est pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de l’Éternel, en pratiquant la vertu et la justice (Genèse 4-16).»

Les 10 commandements

Les 10 commandements qui sont à la base du code juridique de la Torah ont été donnés à l’ensemble du peuple hébreu au mont Sinaï. Le peuple a répondu d’une voix unanime à Moise : « Tout ce qu’a prononcé l’Éternel, nous le ferons et l’entendrons (obéirons/ comprendrons) (Exode 24-7). » Le peuple s’engage à comprendre les commandements divins et pas seulement les appliquer.

L’égalité homme-femme

Par la suite, le jugement des filles de Tsélophad souligne l’égalité des droits de la femme et de l’homme.

Décisions juridiques difficiles

Lorsque certains commandements importants sont enfreints, Moïse demande à Dieu ce qu’il doit faire. Ainsi, dans le cas du blasphémateur, ce dernier fut mis en lieu sûr, jusqu’à ce qu’une décision intervînt de la part de l’Éternel. Il en va de même en regard de la transgression publique du Shabbat. C’est une condamnation à mort et il revint à la communauté (unie dans son ensemble) de procéder à la lapidation.

Par ailleurs, il est écrit : « Si tu es impuissant à te prononcer sur un cas judiciaire… tu iras trouver les pontifes, descendants de Lévi – qui enseignent la loi mais ne jugent pas – et au juge qui siégera à cette époque; (Deutéronome 17- 8/9). » Cette formulation laisse entendre que la norme juridique peut être contextualisée ou actualisée au fil des générations.

Quelles sont les qualités d’un juge ?

Dans le Deutéronome (16-18), il est prescrit : « Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes que l’Éternel » Noter la forme singulière (tu institueras) qui souligne un engagement unanime… Suivent les injonctions en matière de justice; « Ne fais pas fléchir le droit, n’aie pas égard à la personne, et n’accepte point de présent corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages et fausse la parole des justes. » L’impartialité est essentielle : « Ne faites pas acte de mauvaise foi dans l’exercice de la justice; ne montre ni ménagement au faible ni faveur au puissant : juge ton semblable avec impartialité (Lévitique 19-15). »

Le choix des juges et des leaders

Jethro conseille à Moïse de choisir entre tout le peuple « des hommes éminents, craignant Dieu, amis de la vérité, ennemis du lucre qui jugeront le peuple en permanence (Exodus 18-21). » Dans le premier chapitre du Deutéronome, Moïse dit : « choisissez parmi vous, dans vos tribus, des hommes sages, judicieux et éprouvés; je les établirai vos chefs (Deutéronome 1-13). » Nous sommes en présence d’un processus démocratique.

Le Sanhédrin

De la même façon que 70 anciens et Moïse furent réunis au mont Sinaï, le grand Sanhédrin des temps anciens avait 71 membres et constituait la Cour suprême. Il ne pouvait rendre justice à moins que tous les membres soient présents.

Limitations du pouvoir royal

Enfin, bien des limitations sont imposées au roi afin de limiter ses richesses ou ses femmes. Lorsque le peuple demande à Samuel un roi, il les avertit de ce que le roi prendra leur fils pour les employer avec ses chars, exploitera leurs filles et prendra le meilleur de leurs champs et leurs vignobles… « Vous deviendrez ses esclaves (Samuel I, 8-10/22). »

Le contexte actuel

Quand nous observons les débats en Israël, nous sommes en mesure de nous poser les questions suivantes : a) Est-ce que les leaders sont choisis démocratiquement ? b) Est-ce que le choix des juges fait l’unanimité ? c) Est-ce qu’il existe un contrepoids au pouvoir du parlement et du Premier ministre de façon à prévenir les abus ?

a)   Le parlement a été élu démocratiquement, il est vrai.

b)   Les nominations à la Cour suprême sont critiquées en ce sens que chez beaucoup, la perception est que la Cour suprême a formé une clique, ce qui va contre la présomption de conflit d’intérêts.

Précisons qu’en Israël, la Cour suprême est interpelée dans une multitude de cas que ce soit pour juger d’un conflit entre personnes ou d’un conflit entre une personne et une institution, dont le gouvernement.  Il n’y a pas de  constitution et c’est la raison pour laquelle les juges ont plus de liberté d’interprétation et d’intervention.

c)   La présente réforme judiciaire ouvre la porte au pouvoir absolu. Non pas qu’il en soit question, mais la formulation est une ouverture envers une telle éventualité.

Les débordements du débat sur la réforme judiciaire

Le débat sur la réforme judiciaire a dérivé et a accentué les clivages dans la société : entre autres, du fait que l’égalité des droits en Israël n’est pas accompagnée de l’égalité des devoirs. Alors que dans la Bible chaque personne est censée contribuer un demi-sicle (Exode 38-26), le fait qu’un segment entier de la population d’Israël ne contribue pas à l’effort économique et militaire est très mal perçue.

À cela s’ajoute le fait que d’autres segments de la population, dont celle des périphéries, ne considèrent pas jouir de l’égalité des chances en Israël en raison d’un déficit systémique. Aussi les frustrations latentes s’expriment au grand jour.

Que nous enseigne l’histoire ?

Salomon qui a souhaité en rêve avoir la possibilité de discerner entre le bien et le mal a accumulé les richesses et les femmes étrangères, dont des idolâtres. Et de fait, la scission du royaume en deux royaumes antagonistes que sont Juda et Israël s’ensuivra, culminant en l’exil des 10 tribus du royaume d’Israël.

La composition du Sanhédrin a été l’objet d’une lutte féroce entre pharisiens et saducéens.

Les rois hasmonéens accumulèrent les fonctions de royauté et de prêtrise qui leur donnaient un pouvoir quasi absolu. Les rivalités de deux prétendants en regard du pouvoir imparti par ces fonctions furent à l’origine de l’appel fait à Rome par l’un d’eux. L’armée romaine s’installa en Judée pour en faire un protectorat puis une province romaine et il s’en suivra une guerre qui résultera en la destruction du second temple et l’exil des Judéens dans l’Empire romain.

En résumé, l’équilibre des pouvoirs exige sagesse et compromis. Cela n’a pas toujours été le cas dans l’histoire.

Selon la Bible, la terre d’Israël se mérite

Selon la Bible, la terre d’Israël se mérite : un avertissement sur l’avenir qui attend les Enfants d’Israël en Terre promise est formulé dans le Deutéronome (16-20) : « C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher, si tu veux te maintenir en possession du pays que l’Éternel, ton Dieu, te destine. »

Dans le contexte du partage des pouvoirs en Israël contemporain, il faut qu’un consensus émerge, qui nécessite bon sens et compromis. Ce compromis se trouve dans les qualités divines de justice et de charité qui sont à émuler tant par l’individu que par Israël dans son ensemble.

Il est écrit dans les Psaumes (33-5) :   « ll (l’Éternel) aime la justice et le bon droit. »

Au niveau de l’individu, Michée (6-8) précise : « Ce que le Seigneur demande de toi: rien que de pratiquer la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu ! »

Isaïe (1-27) prône : « La rédemption de Sion passe par la justice et la générosité » et ajoute (56-1) : « Ainsi parle l’Éternel : Observez la justice et faites le bien; car mon secours est près de venir et mon salut de se manifester. »

L’avenir 

Il faut que dans la société israélienne, les droits et les devoirs soient partagés. Cela exigera des décisions résolues, notamment de la part du segment ultra-orthodoxe de la population.

Par ailleurs les inégalités systémiques devront être revues. Elles exigent des remises en question et des actions d’affirmation positive dans un esprit commun de réparation et de générosité.

La crise judiciaire en Israël est devenue une crise identitaire. Les immigrants venus de plus d’une centaine de pays ont été mus par l’espoir et l’idéal d’une société juste telle que préconisée par les prophètes. Les grandes réalisations passent par l’utopie. L’idéal de justice, de bon droit et de bonté peut être un idéal identitaire et rassembleur dans la réalité israélienne d’aujourd’hui.

Peut-être qu’alors se concrétisera le verset 8-20 d’Isaïe : « Un rédempteur viendra à Sion. »

à propos de l'auteur
Dr. David Bensoussan est professeur d’électronique à l’École de technologie supérieure. Il a été président de la Communauté sépharade unifiée du Québec et a à son actif un long passé d’engagement dans des organisations philanthropiques. Il a été membre de la Table ronde transculturelle sur la sécurité du Canada. Il est l’auteur de volumes littéraires dont un commentaire de la Bible et du livre d’Isaïe, un livre de souvenirs, un roman, des essais historiques et un livre d’art.
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