Le pari du centre dans un monde clivé
Nous vivons dans un monde secoué par les extrêmes, où tout semble réduit à des camps opposés, pour ou contre, gauche ou droite, tradition ou progrès. Le débat public se transforme en affrontement permanent, où la nuance est perçue comme une faiblesse et le compromis comme une trahison.
Cette polarisation enferme chacun dans sa bulle idéologique, attisant les tensions au lieu de les apaiser. Pourtant, face à ces fractures grandissantes, une autre voie existe, celle du centre, qui refuse les extrêmes, cultive le dialogue, et cherche des solutions justes.
Je suis profondément libre d’esprit, au sens où je n’entre dans aucune case. Je suis traversée de contradictions que je ne cherche pas à gommer car elles enrichissent ma pensée et dynamisent mes réflexions. J’aime construire des idées, les déconstruire, les questionner, les reconstruire autrement.
Le doute est pour moi un moteur qui alimente une réflexion constante, une quête perpétuelle de sens. Quand je m’engage, je le fais sincèrement et jamais au prix de ma liberté intérieure, je refuse les étiquettes et toute forme d’enfermement idéologique. J’assemble les idées, j’en admets les limites, j’opère des choix. J’aime explorer des points de vue divergents, me confronter à d’autres visions du monde car c’est ainsi que la pensée s’affine.
Aujourd’hui, le débat public et politique semble s’être transformé en une série de monologues. Plus personne n’écoute, plus personne ne dialogue vraiment.
Dans ce contexte, un engagement politique s’impose. Je me situe comme centriste, parce qu’il est temps de dépasser les vieux clivages gauche-droite. Ces repères ne servent plus aujourd’hui qu’à désigner les extrêmes et à masquer la complexité du réel.
Et c’est précisément à partir de cette position que je souhaite développer ce que représente l’idéologie centriste. Une vision trop souvent dénigrée et incomprise. Comme si penser en dehors du clivage gauche-droite relevait de l’impossible.
Pour la droite, le centriste est trop à gauche, pour la gauche, trop à droite. Et lorsqu’on tente d’expliquer cette posture, de justifier une pensée nuancée, cela ne fait qu’alimenter la suspicion, on continue à nous interroger pour mieux nous assigner, malgré nous, à un camp de droite ou de gauche. Comme si la complexité intellectuelle ne pouvait être qu’un masque, jamais une sincérité.
Le centriste ne revendique pas une vérité absolue, mais une honnêteté intellectuelle, une capacité à douter, à évoluer, à entendre des arguments opposés sans s’y perdre.
Pour développer et présenter le centrisme, le livre The Center Must Hold, dirigé par Yair Zivan[1], apparaît comme une respiration intellectuelle bienfaisante face à la montée du populisme et des clivages. Cette œuvre collective, à laquelle participent des figures telles que Michael Bloomberg, Malcolm Turnbull, Micah Goodman, Yair Lapid, Tony blair et encore une trentaine d’autres, des philosophes, des politiques, des entrepreneurs, des journalistes, des historiens, des économistes, qui tous défendent avec force le centrisme comme boussole politique et morale du XXIe siècle.
Le centrisme défendu dans cet ouvrage est présenté comme une idéologie proactive fondée sur le pragmatisme, prônant l’ouverture et l’équilibre et non comme une posture de compromis. Il s’agit d’un effort lucide pour concilier les tensions majeures de notre époque : mondialisation et enracinement, sécurité et libertés, marchés ouverts et protection sociale. Le centriste n’est pas tiède, il est nuancé, capable de penser en dehors des dichotomies simplistes.
La vision israélienne éclairante de Micah Goodman[2] philosophe israélien, apporte une profondeur spirituelle et intellectuelle. Il mobilise la tradition juive pour plaider un centrisme de sagesse. Reprenant l’enseignement talmudique selon lequel des opinions opposées peuvent toutes deux être des paroles justes, éclairantes et légitimes comme quand deux sages arrivent à des conclusions opposées mais légitimes :
אֵלוּ וְאֵלוּ דִּבְרֵי אֱלֹהִים חַיִּים הֵן
[Elou vé-elou divrei Elohim ḥayyim hèn]
Traduction littérale :
Celles-ci et celles-là sont les paroles du Dieu.
Cette philosophie invite à reconnaître que la vérité peut être multiple, que l’adversaire peut avoir raison sans que je doive nécessairement avoir tort. Cette pensée exige une humilité intellectuelle, l’acceptation du pluralisme et un respect profond de l’altérité, y compris en politique.
Pour Goodman, une démocratie saine ne choisit pas entre liberté et sécurité, entre modernité et tradition. Elle maintient vivante la tension entre ces valeurs et cherche des équilibres dynamiques. Le centriste, selon lui, est un artisan éclairé, qui refuse le confort des vérités absolues.
Cette pensée s’étend aussi dans un autre ouvrage de Goodman, The Wondering Jew, où il interroge la fracture entre Juifs laïcs et religieux en Israël. Il critique une laïcité déconnectée de l’héritage juif et une religiosité fermée au monde moderne. Sa solution : un judaïsme culturel, vivant, non coercitif, où tradition et liberté ne s’excluent pas. Il propose un « espace partagé » entre tous les Juifs d’Israël religieux ou non fondé sur l’étude, l’hébreu, la mémoire et l’éthique. C’est une tentative de réconciliation nationale par la culture et la spiritualité, qui fait écho à sa vision politique plus large.

Parmi les voix rassemblées dans The Center Must Hold, celle de Micah Goodman se distingue par sa capacité à articuler un centrisme existentiel, enraciné à la fois dans la pensée juive traditionnelle et dans les défis contemporains de la démocratie israélienne. Goodman ne défend pas seulement le centre politique comme stratégie, mais comme position philosophique cohérente, un refus assumé des extrêmes et des récits binaires qui divisent le monde en bien et mal, traîtres et justes, croyants et infidèles.
Dans une époque dominée par la logique des camps, Goodman propose une posture radicalement différente : celle de l’écoute active, de la nuance et de la tension assumée entre des valeurs opposées. Il refuse la pureté idéologique trop souvent célébrée par les extrêmes au profit d’un réalisme moral. Ainsi, au lieu de chercher à résoudre les contradictions du monde par une idéologie simplificatrice, le centriste selon Goodman les accueille comme constitutives de la condition humaine.
Il voit dans la complexité une vérité à honorer, pas une menace à fuir. Il propose donc une autre voie : ne pas diviser mais réconcilier par une vision réparatrice de l’identité juive. C’est un modèle exigeant qui suppose cependant effort pour instaurer le dialogue.
L’éthique du centrisme selon Goodman peut se résumer en quatre piliers essentiels :
- Humilité : reconnaître que je ne détiens pas toute la vérité.
- Complexité : refuser les réponses simplistes aux problèmes complexes.
- Compromis : comme outil de maturité, non comme renoncement.
- Dialogue : non pas seulement écouter pour répondre, mais écouter pour comprendre.
Il incarne une voix rare, celle du bâtisseur de ponts, du penseur de la nuance, du citoyen de la coexistence.
Chacune des figures, qui s’exprime dans le livre dirigé par Yair Zivan, propose une vision du centrisme façonnée par son domaine d’expertise, qui oriente ses priorités et sa lecture des enjeux contemporains.
Michael Bloomberg, ancien maire de New York, entrepreneur et philanthrope, plaide pour un centrisme comme méthode de gouvernance et une culture de l’efficacité publique, fondée sur la compétence, la donnée, et la responsabilité budgétaire. Pour lui un bon gouvernement ne vient pas des extrêmes mais du pragmatisme, de l’équilibre entre innovation économique et solidarité sociale avec comme enjeu principal de combattre la polarisation.
Pour Malcolm Turnbull, ancien Premier ministre australien, le centrisme est un rempart démocratique. Selon lui, le centrisme est le socle de la démocratie libérale, menacée par les populismes. Il défend l’État de droit, les institutions et le pluralisme contre la montée du cynisme et des discours anti-démocratiques. L’enjeu principal étant de préserver la confiance dans le système démocratique et lutter contre la dérive autoritaire.
Yair Lapid, ancien Premier ministre israélien et leader du parti centriste Yesh Atid, propose une vision du centrisme comme une idéologie distincte, fondée sur la nuance, le pluralisme et la coopération.
Il affirme que le centrisme n’est pas simplement un compromis entre la gauche et la droite, mais une idéologie à part entière. Il critique les partis centristes qui, par peur de perdre des électeurs, hésitent à se distinguer clairement des extrêmes, ce qui les rend moins attractifs pour les électeurs.

Selon Lapid, la division traditionnelle entre droite et gauche est dépassée. Le véritable clivage politique se situe désormais entre les modérés et les extrémistes. Il soutient que le centrisme est la seule idéologie capable de créer un équilibre constant entre les contradictions de la vie moderne, en s’inspirant des bonnes idées de la droite et de la gauche, sans chercher un équilibre artificiel. Il évoque l’idée d’une gouvernance basée sur la coopération et souligne que le centrisme repose sur l’idée que des personnes ayant des opinions divergentes peuvent travailler ensemble pour atteindre un objectif commun.
Lapid insiste sur le fait que le centrisme est le seul rempart efficace contre la montée des populismes et des extrémismes. Il appelle les centristes du monde entier à s’unir pour défendre ces valeurs.
Ces positions ont comme point commun le rejet du récit binaire et des solutions simplistes. Ils valorisent la nuance, non comme faiblesse mais comme vertu civique et morale. Leurs contributions appellent à une réhabilitation du dialogue et de la responsabilité dans la vie publique.
Goodman parle en termes de sens, de tradition, de profondeur culturelle, Bloomberg parle en termes de résultats, de gouvernance, d’action concrète, Turnbull parle en termes de structures démocratiques, d’institutions et de libertés, Lapid présente une idéologie d’équilibre et de lucidité en politique.
Ensemble, et avec de nombreux autres, ils dessinent un centrisme pluriel et complémentaire, enraciné dans la pensée, incarné dans l’action, et défensif face aux menaces démocratiques. Un appel à la reconstruction du politique à travers la voie exigeante et salutaire du centre.
Il ne s’agit pas de rêver à un monde parfait, mais de retrouver le courage du dialogue, de la nuance et de la responsabilité. Le livre The Center Must Hold présente le centrisme comme un antidote lucide à l’extrémisme de gauche comme de droite qui est exacerbé aujourd’hui.
Cela ne concerne pas seulement Israël, mais s’observe également à l’échelle mondiale. Une voie exigeante qui valorise la diversité sans fragmenter, la liberté sans désordre, la tradition sans exclusion.
–
[1] Yair Zivan est diplomate et conseiller en politique étrangère de Yesh Atid et éditeur de The Center Must Hold, un plaidoyer international pour le centrisme face aux extrêmes.
[2] Micah Goodman, philosophe israélien et auteur, spécialiste de la pensée juive et des enjeux politiques d’Israël, connu pour ses ouvrages Catch-67 et The Wondering Jew.