Le Maghreb et ses multiples migraines
Le Maghreb est assis sur un volcan qui pourrait exploser à tout moment et faire des ravages considérables tout autour.
Cette région, comme le reste des terres arabes fracturées par le manque de démocratie est en grande agitation, pour le moins. Toutes les grandes questions du passé et du présent n’ont pas encore été réglées et élucidées et ainsi tout reste en suspens, pour le moment.
Il est vrai que le soulèvement pour la démocratie dans le monde arabe qu’on a communément surnommé le « Printemps arabe » est né en Tunisie en 2010-2011, un pays petit en territoire mais grand en combativité et créativité. Mais, malheureusement, ces révoltes saccadées, au lieu d’apporter la paix et le bien-être aux Arabes, elles ont menées inéluctablement à la guerre civile, la désolation, plus de pauvreté et une condition d’existence sans prévisibilité ou sécurité.
Le Maghreb en question
Le Maroc a miraculeusement survécu aux bouleversements des soulèvements arabes, mais la démocratie incrémentale promise implicitement dans la constitution de 2011 ne s’est pas encore matérialisée, comme souhaité.
En Algérie, le leadership bréjnevien souffrant de vieillissement et d’incapacité physique est largement contesté par le peuple, verbalement, pour l’instant par le biais du Hirak (soulèvement pacifique), mais cela pourrait engendrer des conflits incontrôlables si l’état, appauvri par la continuation de la chute des prix du pétrole diminue les subventions et démonte l’état providence, chose qui a commencé timidement mais qui pourrait se généraliser très bientôt, et bonjour la catastrophe.
En Tunisie, le parti Islamiste Ennahda réprimandé durement par l’électorat a décidé de se muer en institution politique »laïque » pour pouvoir accéder au pouvoir de nouveau dans l’avenir. Pendant ce temps, les partis laïques n’ont pas de grande assise populaire car ils sont un méli-mélo de politiciens prêts à servir publiquement le pays, mais en privé intéressés par le pouvoir et sa manne financière. Le pire de tout c’est que le président Kais Saied, elu démocratiquement, a opté pour un coup d’état constitutionnel pour sauver la Tunisie de la banqueroute mais son approche, peu orthodoxe, est contestée par la classe politique du pays.
En Libye, malgré la paix péniblement négociée avec l’aide l’ONU, les blessures du pays ne guérissent point pour le moment, à tel point l’on se demande, à juste titre, si c’est vraiment un vrai pays ou une confédération fracturée de tribus éparses, patriarcales et indisciplinées. Toutefois des élections présidentielles sont prévues prochainement (le 24 décembre 2021) et tout espoir pour une rennaissance du pays n’est pas perdu.
Patriarchie et népotisme
Historiquement parlant, les communautés d’Afrique du Nord ont évolué progressivement de tribus en états islamiques de Califat patriarcal modélisés sur les institutions politiques préislamiques de l’Arabie Heureuse (Felix Arabia). La population autochtone amazighe, en revanche, avait-elle un système tribal progressiste dans la pratique politique de la démocratie et égalitaire dans l’esprit et dans l’âme. La tribu a été gouvernée par un conseil élu appelé ait rab3in, représentant les différents clans de cette institution. Les représentants élus étaient pleinement responsables devant le conseil. Avec l’arrivée de l’Islam dans la région au 8ème siècle après JC, les Amazighs ont été en quelque sorte émasculé et leur système politique détruit progressivement, au nom de cette nouvelle religion.
Depuis, le patriarcat est devenu un système politique de la région et a donné naissance à des systèmes politiques autocratiques où les chefs héréditaires règnent au nom de la religion et se disent représenter Dieu sur terre pour mieux asseoir leur légitimité religieuse et temporelle. Ces systèmes politiques ont toujours considéré la population comme des sujets et non des citoyens, sous réserve d’allégeance et d’obligations, mais, en revanche, n’avaient pratiquement presque aucun droit.
Après l’indépendance du 20ème siècle, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, ont automatiquement opté pour un régime républicain, alors que le Maroc a préféré rester une monarchie. Mais ce changement de tutelle et d’identité ne signifiait pas la démocratie, du tout, juste le retour au système patriarcal d’avant, sinon pire, un patriarcat plus féroce et plus répressif.
En effet, au Maroc et en Tunisie, la démocratie a été subverti par le système coupe-gorge de la cooptation politique, alors qu’en Algérie et en Libye par des subventions généreuses issues de la manne pétrolière créant des états de providence qui ont asservi la population.
Cooptation
Les systèmes politiques postindépendance des pays d’Afrique du Nord, plutôt que d’opter pour le partage du pouvoir dans le contexte du jeu démocratique des urnes, le leadership autoproclamé, pour rester au pouvoir, a purement coopté les partis politiques, les syndicats ainsi qu’une partie la société civile.
Toutefois, chaque fois que la cooptation a échoué, la police politique féroce et inhumaine prenait le relais pour créer une culture de peur par l’intimidation et, en cas de besoin, par la torture qui laisse de terribles blessures psychologiques à vie, tant que les blessures physiques peuvent éventuellement se cicatriser à la longue. Heureusement, l’avènement du Printemps arabe en 2011 a mis fin à ces systèmes politiques totalitaires,en principe, et surtout à la peur des régimes en place.
Au Maroc de Hassan II pendant les Années de Plomb (1960-1990), l’establishment a laissé libre court à la police politique pour mater l’opposition, chose que Mohammed VI, une fois sur le trône, a essayé de corriger par la création de l’Instance Equité et Réconciliation (IER).
En Tunisie, sous le règne du dictateur Ben Ali, le rapport police/habitant était le plus élevé dans le monde avec l’intention manifeste de créer une atmosphère de peur et une culture d’intimidation afin de subvertir l’opposition.
En Libye, l’opposition n’a pas été acceptée ni tolérée par la dictature de Qaddafi ( 1969 – 2011). Le régime pratiquait, sans vergogne, l’assassinat politique et la liquidation physique pure et simple des opposants, dans les conditions les plus barbares possibles pour humilier le citoyen et l’obliger à courber l’échine.
En Algérie, la victoire électorale écrasante du Front Islamique du Salut (FIS, parti islamiste) aux élections législatives de 1992 a été annulée par l’armée et le parti a été déclaré hors-la-loi conduisant à une guerre civile du 26 Décembre 1991 jusqu’au 8 Février 2002, qui a fait plus de 200.000 morts, surtout parmi les civils, souvent pris entre les feux de l’armée et des Islamistes.
La corruption et le détournement de fonds
Au Maghreb, la corruption s’est avérée être la meilleure arme pour mater l’opposition et à la faire ramper. Depuis l’indépendance, elle est devenue monnaie courante pour ne pas dire monnaie légale des politiques et de leurs institutions qui sont censées, en principe, donner l’exemple dans la droiture. Tout le monde, establishment et politiciens la dénonce, du bout des lèvres, pour la forme, mais on a jamais arrêté et condamné des politiques ou des fonctionnaires corrompus ou incriminés pour détournement de fonds publics.
Dans la région, les responsables pensent à la corruption comme un privilège de leur position et non un crime. D’autre part, l’establishment politique utilise les informations des pratiques de corruption, en sa possession, comme une épée de Damoclès sur la tête des politiciens et des fonctionnaires, au cas où ils décident de contester quoi que ce soit ou de s’opposer au régime en place.
Les analystes politiques internationaux affirment que les gouvernements de la région ne veulent pas éradiquer ces deux fléaux, pour des raisons évidentes, et qu’ils devraient, cependant, touche d’humour noir oblige, »taxer les bénéficiaires pour enrichir le trésor public ».
Le manque de liberté personnelle, culturelle et religieuse
Les gens de la région sont « nés » entravés par un certain nombre de tabous culturels qui limitent considérablement leur liberté, leur créativité, et leur capacité de critique constructive et d’évaluation positive. Au fil des siècles, ces tabous sont devenus tradition qui s’est transformée en culture, et avec le temps elle a gagné en sacralité et légitimité, en quelque sorte.
La liberté religieuse n’est point autorisée par le système politique, dans certains pays de la région, et toute expression de croyance en une religion autre que l’Islam Sunnite est considérée comme apostasie et hérésie punissable par la mort. Les minorités religieuses telles que les chiites et les citoyens convertis au christianisme sont stigmatisés par la société et réprimandés par la police et vivent principalement incognito en attendant patiemment des temps meilleurs pour étaler leur vraie croyance.
Les Amazighs, eux aussi, luttent toujours en Afrique du Nord pour obtenir la pleine reconnaissance de leur langue, culture et civilisation. Le Maroc et l’Algérie ont reconnu, du bout des lèvres, la langue et la culture amazighes dans leurs lois fondamentales, mais, n’empêche, l’arabe reste la langue prédominante ainsi que la culture qui va avec en raison de son lien avec le Coran et l’islam.
Inégalité des genres
La tradition et l’interprétation déviante du Coran ont littéralement émasculé les femmes et les ont soumises aux hommes et à la société, mais aussi, leur ont, indirectement, refusé l’autonomisation, l’éducation et de meilleures conditions de vie.
Certains progrès ont été, certes, accomplis dans le domaine de l’égalité entre hommes et femmes et aussi dans le domaine de l’équité, ces derniers temps, pour lutter contre le radicalisme religieux, mais il y a beaucoup de travail à entreprendre sur des sujets brûlants tels que : le droit de la famille, l’éducation des femmes, l’héritage, l’égalité au travail et à la criminalisation du viol.
Système éducatif défaillant
Depuis l’indépendance, la plupart des pays d’Afrique du Nord ont investi massivement en éducation pour habiliter la population et permettre le développement économique. Cependant, pour atteindre une éducation de qualité les gouvernements devraient, d’abord, généraliser l’apprentissage et faciliter l’accès à la connaissance en cherchant régulièrement à autonomiser la population par l’alphabétisation, en particulier dans les régions éloignées. Ceci pourra être réalisé en offrant des cours d’alphabétisation, sur mesure, associées à une formation professionnelle qui, en fin de compte, peut permettre à l’individu de subsister et de survivre dans un environnement très difficile.
L’éducation au Maghreb est en crise totale et doit être remanié de toute urgence pour mener à la qualité, l’égalité, l’équité, la dignité et l’employabilité.
Le désenchantement des jeunes
Il est illogique que la région de l’Afrique du Nord où la jeunesse est prédominante en nombre soit gouvernée exclusivement par une gérontocratie totalement déconnectée de leurs besoins et aspirations et, pire encore, faisant usage de pratiques tribales et patriarcales d’un autre âge, pour les faire taire et les dominer.
Inutile de dire que les soulèvements arabes ont commencé en Tunisie en 2010, quand Mohammed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant, après avoir été maltraité par la police locale et ses marchandises confisquées, a préféré se donner la mort par le feu que vivre dans l’humiliation. Mais, hélas, aucun changement en faveur de la jeunesse n’a eu lieu, en conséquence, pour changer la donne, et la jeunesse est toujours émasculée par les séniors au pouvoir.
Et ce n’est pas tout, les jeunes sont, également, contraints par la tradition de porter le poids des tabous sociaux. Dans certains pays, comme le Maroc cela a conduit à une révolution culturelle silencieuse réussie et toujours en cours.
De nos jours, beaucoup de jeunes se sentent émasculé par leurs gouvernements parce qu’ils sont incapables d’obtenir un emploi après être passé par le système éducatif et reçu des diplômes universitaires.
Un dernier mot
Le Printemps arabe, cette initiative jeune pour le changement et cette révolution sans précédent dans le monde, menée au Maghreb n’a pas résolu les problèmes persistants et guéri les maux de tête douloureux de la société, au lieu cette révolution a amené les Islamistes au pouvoir et donner naissance à des dictatures spirituelles beaucoup plus féroces. Ainsi, on peut dire, en quelque sorte, que ce printemps est assurément un échec social et politique en partie. Mais l’espoir persiste, toutefois, parmi la jeunesse qui croit à d’autres vagues de soulèvements qui, éventuellement, pourraient apporter la démocratie, tant désirée par les gens de la région.
Vous pouvez suivre Professeur Mohamed Chtatou sur Twitter : @Ayurinu