Le glaive et l’olivier, une éthique hébraïque de la guerre – Partie 1

Illustration. Une soldate israélienne donne le biberon à un bébé syrien en Israël, dans le cadre de l'opération Bon voisin d'aide humanitaire aux Syriens touchés par la guerre civile. Photographie non datée, publiée le 19 juillet 2017. (Crédit : unité des porte-paroles de Tsahal)
Illustration. Une soldate israélienne donne le biberon à un bébé syrien en Israël, dans le cadre de l'opération Bon voisin d'aide humanitaire aux Syriens touchés par la guerre civile. Photographie non datée, publiée le 19 juillet 2017. (Crédit : unité des porte-paroles de Tsahal)

Consécutivement aux massacres du 7 octobre et à la prise d’otages qui s’en est suivie, Israël est entré en guerre, malgré lui, contre ses ennemis, les terroristes du Hamas à Gaza. Depuis, il n’y a pas un jour où l’action sécuritaire de Tsahal, l’Armée de Défense d’Israël, ne soit remise en question.

Tsahal, accusé de commettre un « génocide » sur des populations civiles, perdrait donc toute légitimité pour défendre la population israélienne. En somme, toute défense serait interprétée comme un crime de guerre. Une telle allégation est-elle sérieusement recevable sur le plan éthique dans le contexte d’une guerre menée contre un groupe de terroristes sans foi ni loi utilisant des civils comme boucliers humains ? Quelle limite sépare le crime de guerre de l’homicide involontaire ? Existe-t-il une éthique de la guerre à proprement dit ?

La guerre et le principe de préservation de la vie

La guerre constitue en ses principes et en son essence destruction, souffrance, mort et désolation. Ne paraît-il alors point indécent, incohérent pour ne point dire illusoire d’évoquer en pleine période de guerre le principe de « préservation de la vie » ?

En effet, deux principes antinomiques s’opposent : d’une part, l’impérative mission de défendre sa patrie et son peuple, et de l’autre, le devoir moral d’épargner la vie d’innocents, fussent-ils identifiés au camp ennemi.

L’attitude des Patriarches Abraham et Jacob apporte une réponse à ce dilemme. Tous deux, déchirés à l’idée d’être entraînés dans la folle spirale de la guerre, ne craignent point tant la confrontation avec l’ennemi que sa conséquence inéluctable : le sang innocent versé. « Ne crains point, Abraham… » (Genèse 15:1).

Que « craint » donc Abraham, lors de l’opération de libération de Lot, sinon d’avoir par contrainte à verser le sang innocent ? La guerre n’entraîne-t-elle point le versement de sang ? Rabbi Lévi dit: « Le Seigneur le rassérène ». (Genèse Raba 44:4). Quant à Jacob, sa grande crainte (Genèse 32:8) était « d’être tué et… de devoir tuer son prochain » (Genèse Raba 76:2).

Abraham se fait l’avocat du principe de sainteté de la vie face à la Divinité :

Abraham s’avança et dit : Anéantirais-tu, d’un même coup, l’innocent avec le coupable ?… Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable. (Genèse 18:23-25)f.

Ne nous méprenons point sur l’intention d’Avraham ! Celui-ci n’a jamais aspiré à sauver le coupable avec l’innocent – où serait alors la justice – mais au contraire à extraire l’innocent d’une destruction imminente pour un mal dont il n’est aucunement coupable. Là réside le dilemme qu’Avraham pose à la Divinité !

Où sont les dix justes à Gaza auxquels fait allusion le Patriarche Avraham ? 

La Torah met donc une limite à une compassion excessive angélique où le coupable incarnant le Mal absolu serait nécessairement sauvé au nom de l’innocent. En effet :

Ceux qui éprouvent de la compassion face à la cruauté des hommes finissent par agir cruellement à l’encontre des hommes de bien.

Ainsi, le roi Saül épargne Agag, l’Amalécite qu’il aurait dû mettre à mort (I Samuel 15:2-9), mais fait assassiner les prêtres de Nov (I Samuel 22:19). Châtié par l’Éternel, Saül est destitué du trône royal (I Samuel 15:23).

Que firent les puissances alliées, la France, les Anglais et les Américains, à Mossoul et à Rakka en Afghanistan, eux qui n’hésitèrent à aucun moment à tuer des milliers de civils innocents, boucliers humains de Daesh, de l’État islamique ? Qui d’entre ceux qui accusent aujourd’hui Israël de « génocide » sur la population gazaouie s’est alors révolté contre les puissances occidentales qui n’ont jamais fait montre a posteriori de regret ni de culpabilité ?

David devenu roi, malgré sa mission de défense d’Israël, se voit refuser sans appel l’édification du Temple promise par le prophète Nathan. N’a-t-il donc point agi selon la volonté de la Divinité ? Motif:

Tu as versé beaucoup de sang et fait de grandes guerres ; ce n’est donc pas à toi à élever une maison en mon honneur, car tu as fait couler beaucoup de sang devant moi sur la terre. (I Chroniques 22:8).

En d’autres termes, les effets destructeurs de guerre, s’ils visent à l’anéantissement de l’ennemi, ont pour conséquence d’ébranler le degré moral de la nation toute entière qui, quel que soit le motif, a versé le sang de l’homme « créé à l’image de la Divinité ». C’est pourquoi les Sages font justement remarquer qu’il n’y a de véritable victoire que celle de la retenue.

Qui fait preuve de longanimité l’emporte sur le guerrier ; qui domine ses passions [l’emporte] sur un preneur de villes. (Proverbes 16: 32).

La question demeure, toutefois, de savoir si cette retenue doit être appliquée en tout temps et en tous lieux ?

Nous répondrons à cette question dans notre seconde partie.

à propos de l'auteur
Diplômé de l’Institut des Civilisations et Langues Orientales de Paris (INALCO) et certifié de l’Institut Catholique de Paris (ICP) enseigne la Bible (TaNa’Kh), sa langue, son éthique et son histoire. Installé, depuis son Alya en 1989 à Ashkelon, il participe activement au refleurissement d'Erets Israël. Végétalien par conviction morale, Haïm rêve d'une ère nouvelle où les grandes spiritualités pourraient se rencontrer en vue d'instaurer un monde meilleur. Convaincu que le retour du peuple d’Israël en Erets-Israël annonce la restauration de l'idéal de fraternité abrahamique, il encourage le dialogue interreligieux dans le respect de l'autre
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