Le glaive et l’olivier, une éthique hébraïque de la guerre – Partie 1

Consécutivement aux massacres du 7 octobre et à la prise d’otages qui s’en est suivie, Israël est entré en guerre, malgré lui, contre ses ennemis, les terroristes du Hamas à Gaza. Depuis, il n’y a pas un jour où l’action sécuritaire de Tsahal, l’Armée de Défense d’Israël, ne soit remise en question.
Tsahal, accusé de commettre un « génocide » sur des populations civiles, perdrait donc toute légitimité pour défendre la population israélienne. En somme, toute défense serait interprétée comme un crime de guerre. Une telle allégation est-elle sérieusement recevable sur le plan éthique dans le contexte d’une guerre menée contre un groupe de terroristes sans foi ni loi utilisant des civils comme boucliers humains ? Quelle limite sépare le crime de guerre de l’homicide involontaire ? Existe-t-il une éthique de la guerre à proprement dit ?
La guerre et le principe de préservation de la vie
La guerre constitue en ses principes et en son essence destruction, souffrance, mort et désolation. Ne paraît-il alors point indécent, incohérent pour ne point dire illusoire d’évoquer en pleine période de guerre le principe de « préservation de la vie » ?
En effet, deux principes antinomiques s’opposent : d’une part, l’impérative mission de défendre sa patrie et son peuple, et de l’autre, le devoir moral d’épargner la vie d’innocents, fussent-ils identifiés au camp ennemi.
L’attitude des Patriarches Abraham et Jacob apporte une réponse à ce dilemme. Tous deux, déchirés à l’idée d’être entraînés dans la folle spirale de la guerre, ne craignent point tant la confrontation avec l’ennemi que sa conséquence inéluctable : le sang innocent versé. « Ne crains point, Abraham… » (Genèse 15:1).
Que « craint » donc Abraham, lors de l’opération de libération de Lot, sinon d’avoir par contrainte à verser le sang innocent ? La guerre n’entraîne-t-elle point le versement de sang ? Rabbi Lévi dit: « Le Seigneur le rassérène ». (Genèse Raba 44:4). Quant à Jacob, sa grande crainte (Genèse 32:8) était « d’être tué et… de devoir tuer son prochain » (Genèse Raba 76:2).
Abraham se fait l’avocat du principe de sainteté de la vie face à la Divinité :
Abraham s’avança et dit : Anéantirais-tu, d’un même coup, l’innocent avec le coupable ?… Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable. (Genèse 18:23-25)f.
Ne nous méprenons point sur l’intention d’Avraham ! Celui-ci n’a jamais aspiré à sauver le coupable avec l’innocent – où serait alors la justice – mais au contraire à extraire l’innocent d’une destruction imminente pour un mal dont il n’est aucunement coupable. Là réside le dilemme qu’Avraham pose à la Divinité !
Où sont les dix justes à Gaza auxquels fait allusion le Patriarche Avraham ?
La Torah met donc une limite à une compassion excessive angélique où le coupable incarnant le Mal absolu serait nécessairement sauvé au nom de l’innocent. En effet :
Ceux qui éprouvent de la compassion face à la cruauté des hommes finissent par agir cruellement à l’encontre des hommes de bien.
Ainsi, le roi Saül épargne Agag, l’Amalécite qu’il aurait dû mettre à mort (I Samuel 15:2-9), mais fait assassiner les prêtres de Nov (I Samuel 22:19). Châtié par l’Éternel, Saül est destitué du trône royal (I Samuel 15:23).
Que firent les puissances alliées, la France, les Anglais et les Américains, à Mossoul et à Rakka en Afghanistan, eux qui n’hésitèrent à aucun moment à tuer des milliers de civils innocents, boucliers humains de Daesh, de l’État islamique ? Qui d’entre ceux qui accusent aujourd’hui Israël de « génocide » sur la population gazaouie s’est alors révolté contre les puissances occidentales qui n’ont jamais fait montre a posteriori de regret ni de culpabilité ?
David devenu roi, malgré sa mission de défense d’Israël, se voit refuser sans appel l’édification du Temple promise par le prophète Nathan. N’a-t-il donc point agi selon la volonté de la Divinité ? Motif:
Tu as versé beaucoup de sang et fait de grandes guerres ; ce n’est donc pas à toi à élever une maison en mon honneur, car tu as fait couler beaucoup de sang devant moi sur la terre. (I Chroniques 22:8).
En d’autres termes, les effets destructeurs de guerre, s’ils visent à l’anéantissement de l’ennemi, ont pour conséquence d’ébranler le degré moral de la nation toute entière qui, quel que soit le motif, a versé le sang de l’homme « créé à l’image de la Divinité ». C’est pourquoi les Sages font justement remarquer qu’il n’y a de véritable victoire que celle de la retenue.
Qui fait preuve de longanimité l’emporte sur le guerrier ; qui domine ses passions [l’emporte] sur un preneur de villes. (Proverbes 16: 32).
La question demeure, toutefois, de savoir si cette retenue doit être appliquée en tout temps et en tous lieux ?
Nous répondrons à cette question dans notre seconde partie.