Le feu aux poudres

Le ministre de la Défense Yoav Gallant salue en signe de respect les forces de sécurité israéliennes à la fin d'une conférence de presse et après avoir été limogé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, au ministère de la Défense à Tel-Aviv, le 5 novembre 2024. (Crédit : Reuters/Nir Elias)
Le ministre de la Défense Yoav Gallant salue en signe de respect les forces de sécurité israéliennes à la fin d'une conférence de presse et après avoir été limogé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu, au ministère de la Défense à Tel-Aviv, le 5 novembre 2024. (Crédit : Reuters/Nir Elias)

Benjamin Netanyahu a mis ce soir le feu aux poudres en limogeant son ministre de la défense, le général Yoav Gallant, également membre du Likoud, qui a mené la guerre depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023.

Pourquoi cette décision, somme toute une prérogative d’un Premier ministre, est-elle problématique ?

D’abord, le moment est critique et inapproprié, et il faudrait que le ministre de la Défense soit vraiment incompétent dans la conduite de la guerre pour le remplacer en pleine guerre. Or, les forces de défense d’Israël, après la surprise du 7 octobre, ont enregistré de nombreux succès sur le plan militaire : les capacités de nuisance du Hamas à Gaza et du Hezbollah au Sud Liban ont été sévèrement affectées, les leaders de ces mouvements islamistes ont été éliminés, les attaques de missiles venus d’Iran, du Yémen ou d’Iraq ont été neutralisées par les systèmes de défense israéliens, américains et alliés.

Ensuite, Netanyahu savait parfaitement qu’il provoquerait un large mouvement de protestations, alors qu’il prêche soi-disant l’unité avec le slogan passe-partout « Ensemble nous vaincrons ».

Netanyahu a soigneusement choisi le jour des élections américaines pour transmettre sa lettre de renvoi à Gallant : ni Trump ni Harris ne pourront ainsi lui reprocher d’avoir influencé le résultat du vote par son geste, et le prochain résident de la Maison Blanche, Trump ou Harris, sera ainsi placé devant un fait accompli.

Le Premier ministre a justifié sa décision dans un message enregistré en évoquant de nombreux différends avec son ministre depuis un an. Gallant a répondu dans une allocution quelques heures plus tard en indiquant trois motifs de désaccord :

  • son opposition aux lois pour exempter les Juifs ultra-orthodoxes de service militaire dans une période critique pour Tsahal,
  • sa priorité à libérer les otages par négociation,
  • et la nécessité d’une commission d’enquête gouvernementale indépendante pour déterminer les causes du fiasco du 7 octobre 2023 à protéger les frontières et les citoyens de l’État d’Israël.

Deux de ces trois motifs sont d’ordre politique et non militaire, car ils menacent de détruire la coalition gouvernementale.

Si on peut comprendre (sans l’admettre) la logique de Benjamin Netanyahu à vouloir se maintenir au pouvoir à tout prix pour repousser ou échapper à ses procès, il est beaucoup plus grave de constater que les députés du Likoud défendent la position du Premier ministre alors qu’ils ne partagent pas ses vues sur la mobilisation des Haredim.

Quel fâcheux exemple donnent ces leaders juifs des partis Haredim en refusant dans ces moments critiques à contribuer à la défense du pays dont ils sont les citoyens ? Leur non-adhésion à l’idée sioniste ne les exempte pas des lois de ce pays et ne les préserve pas des menaces vitales qui pèsent sur tous les habitants de l’État d’Israël, Juifs, Musulmans, Druzes, travailleurs étrangers, touristes quelles que soient leurs croyances. Ils répètent les erreurs de leurs prédécesseurs, les rabbins des grandes yeshivot d’Europe centrale et orientale n’ont pas non plus pris la mesure de la menace nazie en la combattant fermement.

En cela, les députés chefs de partis ultra-orthodoxes Yitzchak Goldknopf, Moshe Gafni, Aryé Dery encouragent les Haredim à se cantonner égoïstement dans leurs études religieuses, à se démarquer du reste de la population, pendant que le reste des citoyens, Juifs, Druzes, Bédouins sont forcés par la loi à donner quelques années de leur temps, leur santé et parfois leur vie. Quelle leçon de solidarité juive montrent-ils ? Aucune. Leur solution est de considérer les autres un peu comme des non-Juifs.

Plus encore, leur dictat face à la nécessité d’une législation immédiate à ce sujet, a amené Netanyahu à placer le pays dans un moment de faiblesse supplémentaire alors qu’on s’attend à une attaque iranienne imminente, et sachant que le successeur désigné du général Yoav Gallant, Israel Katz, n’a qu’une expérience militaire d’officier fort restreinte.

On me dit que l’armée n’est pas prête à accueillir des milliers de Juifs ultra-orthodoxes. C’est probablement en partie exact. Cependant l’armée n’était pas prête le 7 octobre et en quelque mois, elle a renversé le cours de la guerre. Si l’armée ne s’est pas préparée jusqu’ici à mobiliser ces Juifs ultra-orthodoxes, c’est parce que leurs représentants à la Knesset ont réussi jusqu’à présent à les exempter. Il ne faut pas renverser les causalités.

En fait, les leaders Haredim ont de plus en plus de mal à justifier leur position au regard de la halacha, et de celui des idéaux de justice prêchés par les prophètes. Ils utilisent des prétextes fallacieux qui sont contraires aux préceptes juifs.

C’est pourquoi il faut féliciter les quelques jeunes Haredim qui, malgré la doxa de leur groupe et la pression sociale de leurs pairs, ont décidé de se présenter aux bureaux de mobilisation de Tsahal.

Le Premier ministre est bel et bien l’incendiaire de cette nuit.

à propos de l'auteur
Jean-Pierre Stroweis, né à Paris en 1953 est un ingénieur, informaticien, et généalogiste, dont la famille a échappé au pire durant la Shoah. Depuis 2016, il prolonge Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld sous la forme d'un site internet (https://stevemorse.org/france). Il réside à Jérusalem depuis 1981.
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