Le faux procès fait à Macron

L’opposition en France, et les Israéliens francophones en particulier, sont toujours à l’affut d’une déclaration d’Emmanuel Macron pour la détourner de son sens premier et pour trouver matière pour l’accuser sinon d’antisémitisme au moins d’antisionisme.

Les Français ne savent plus lire ou feignent de ne plus le savoir. Ils extraient un mot de sa déclaration, bien sûr le mot Shoah, pour se lancer dans des accusations sordides. Il suffit d’un titre accrocheur publié par un site peu fiable pour que, comme des moutons de Panurge, tous se faufilent dans la brèche afin de manifester leur haine sans avoir lu ni analysé toute sa déclaration. Les réseaux sociaux et les sites douteux s’y sont mêlés, heureux de trouver un buzz pour améliorer leur fréquentation.

Alors les journalistes, dont le rôle est de diffuser et d’analyser les informations, sont contraints de faire une explication de texte, comme en classe de troisième au Lycée. En revanche, les politiques ne sont pas dupes mais ils sont là pour exploiter à leur profit une situation qui ne méritait que quelques lignes dans la presse, voire aucune ligne du tout. C’est à croire qu’il existe des officines chargées de décortiquer les déclarations et de tronquer les textes pour les rendre plus sulfureux.

Bien sûr, beaucoup de sites francophones d’Israël, trouvent ainsi l’occasion soit pour attaquer nommément un ambassadeur français, comme le fut hier Patrick Maisonnave, soit pour ternir l’image de la France, surtout quand cela n’est pas justifié. Nous avons été souvent peu tendre avec la politique diplomatique de la France pour être accusés de mauvaise foi mais nous n’avons jamais cherché à travestir la vérité.

Nous ne sommes pas des fervents partisans d’Emmanuel Macron qui peut se passer de nous avec ses fans et ses officines de propagande; mais nous recherchons uniquement la vérité, laissant ensuite aux lecteurs, majeurs politiquement, le soin de juger par eux-mêmes. Cependant en France ce fut une bonne occasion pour les opposants, la droite et l’extrême droite en particulier, de dénoncer les propos d’Emmanuel Macron.

Dans l’avion qui le ramenait de Jérusalem après avoir commémoré la libération du camp d’Auschwitz, imprégné de l’ambiance exceptionnelle sur la Shoah qui régnait alors, il a affirmé : «Je suis très lucide sur les défis que j’ai devant moi d’un point de vue mémoriel, et qui sont politiques. La guerre d’Algérie est sans doute le plus dramatique. Je le sais depuis ma campagne. Il est là, et je pense qu’il a à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995».

Il a voulu, en s’inspirant de Jacques Chirac qui avait reconnu en 1995 la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, suivre la même méthode. Il souhaite créer un comité d’experts et d’historiens neutres pour analyser et juger la colonisation de l’Algérie, pour définir les responsabilités, pour pointer nommément les responsables et enfin pour prendre les mesures, certes tardives, afin de mettre un terme au «conflit mémoriel qui rend la chose très dure en France». S’inspirer des méthodes ne signifie nullement comparer les Histoires ni mettre sur un pied d’égalité la Shoah et la Guerre d’Algérie.

Longtemps nous n’avons pas voulu parler en France de l’épisode douloureux de l’utilisation de la police française dans l’arrestation et la déportation des Juifs de France. Longtemps la Guerre d’Algérie a été occultée et ne fait encore l’objet ni de films sérieux, ni de forums neutres, ni même d’études approfondies. Il a fallu que Jacques Chirac fasse en 1995 sa déclaration sur la Shoah pour que les langues se délient et que les faits soient enfin rapportés et condamnés.

Macron souhaite qu’il en soit de même de l’histoire de la colonisation en Algérie, qu’elle ait été bénéfique pour certains ou dramatique pour d’autres. Comparer les méthodes d’approche des deux drames historiques ne constitue aucun jugement de valeur sur la Shoah car «le crime absolu ne peut être comparé à aucun autre mais ces deux sujets mémoriels sont au cœur de la vie des nations». 

Emmanuel Macron a regretté que, comme pour la Shoah, les historiens n’aient pu à ce jour travailler sur la question algérienne. Dès que l’on parle de la Guerre d’Algérie, l’extrême-droite embraye très vite car les nostalgiques de cette guerre constituent le noyau dur de son électorat raciste et antisémite. Les entendre aujourd’hui vouloir sanctuariser la Shoah alors qu’ils l’avaient bénite est la preuve qu’en politique il n’y a aucune limite sérieuse. Ceux qui ont attaqué Macron se sont engouffrés, les deux pieds joints et avec l’aval des Juifs, dans un sujet que les ennemis des Juifs adorent.

Il suffit d’ailleurs de lire ce dialogue irréaliste d’hier sur Facebook pour se rendre compte que crier avec les loups pour les Juifs, revient à se flageller soi-même : «Perso j’en ai plus que ras le bol de ces Juifs pleurnichards… Le souvenir de la Shoah oui sans conditions… mais guère plus ! En France plus de 900 actes de vandalismes, dégradations, sacrilèges, contre les églises et cimetières catholiques sur une seule année = 3 par jour et rien ni dans les mierdas ni du pouvoir politique laïc… Les merdias et autres hauts dignitaires donnent volontiers parole et colonnes aux Juifs, CRIF etc… La différence de traitement entre un assassinat d’une (malheureuse je le concède) juive en plein Paris par un «déséquilibré» et celle d’un prêtre catholique en son église me sidère ! Ah oui j’oubliais … le Catho baisse l’échine et tend l’autre joue, le Juif criera toujours au loup».

À vouloir trop bien faire en croyant défendre les Juifs, on s’enlise dans les marécages douteux de la politique politicienne et on se détourne des vrais problèmes.

Article initialement publié dans Temps et Contretemps.

 

à propos de l'auteur
Jacques BENILLOUCHE, installé en Israël depuis 2007, a collaboré au Jerusalem Post en français, à l'Impact puis à Guysen-Tv. Journaliste indépendant, il collabore avec des médias francophones, Slate.fr, radio Judaïques-FM à Paris, radio Kol-Aviv Toulouse. Jacques Benillouche anime, depuis juin 2010, le site Temps et Contretemps qui publie des analyses concernant Israël, le judaïsme, la politique franco-israélienne et le Proche-Orient sur la base d'articles exclusifs.
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