Le Droit au Retour: l’impossible revendication

Un Palestinien marche devant une fresque murale appelant au retour des réfugiés palestiniens (Crédit : Abed Rahim Khatib/Flash90)
Exemple d'une abondante imagerie palestinienne exprimant l'inébranlable demande du droit au retour

Ce qui est écrit à la ligne suivante est vrai
Ce qui est écrit à la ligne précédente est faux

Ce paradoxe classique de logique illustre bien la position politique intenable dans laquelle se fourvoie l’autorité palestinienne, et plus généralement une partie du camp palestinien dit modéré, en affirmant sa volonté de créer un État qui vivrait en paix avec Israël tout en maintenant sa revendication inébranlable du droit au retour.

En effet, dans ce conflit du Proche-Orient, cette demande occupe une place particulière. Considérée comme ligne rouge à ne pas franchir pour l’ensemble des partis politiques israéliens qui comptent, il s’agit avant tout d’un rêve intouchable pour les Palestiniens. Ce point est si sensible qu’il a été l’un des obstacles majeurs à un accord entre Ehud Barak et Yasser Arafat en Juillet 2000 lors du sommet fatidique de Camp David.

Curieusement, peu d’analyses rationnelles existent aujourd’hui sur les corollaires logiques et politiques de cette position si ferme de l’agenda palestinien, partagée par la quasi-totalité des dirigeants.

D’un point de vue moral, il est indéniable que les Palestiniens ont beaucoup souffert depuis plus de 75 ans, suite à un exode dont les causes font encore l’objet d’âpres débats.

Cette souffrance s’est traduite par 19 années d’occupations militaires égyptienne et jordanienne pendant lesquelles une grande partie de ces populations ont été parquées dans des camps de réfugiés.

Puis, au terme de la guerre de 1967, sont venues une grosse cinquantaine d’années d’occupation militaire israélienne où la bande de Gaza et la Cisjordanie ont été délaissées, sauf lorsqu’il s’agissait de créer et de développer des colonies juives aux buts pour le moins douteux, voire nauséabonds, dans les relents d’apartheid qui s’en dégagent.

Il y a également le sort funeste fait aux réfugiés palestiniens vivant au Liban et en Syrie depuis 1948 ans dont la tragédie doit certainement autant, sinon plus, au refus systématique de toute intégration de ces « pays d’accueil » plutôt qu’à Israël.

Néanmoins, au-delà de ces souffrances passées, la direction palestinienne actuelle ne peut pas faire l’économie d’un examen approfondi de ce que signifie réellement cette demande du droit au retour.

Celle-ci est basée sur la résolution 194 de l’ONU adoptée en décembre 1948 qui stipule que :

[…] il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers […].

Il convient de noter que :

  • La clause « de vivre en paix avec ses voisins » conditionne ce droit, et que la quasi-totalité des dirigeants palestiniens l’ont fermement refusée pendant près de 45 années, dans la mesure où l’on considère que les accords d’Oslo de 1993 auraient ouvert la voie à une telle possibilité.
  • Cette résolution 194 ne s’applique qu’aux réfugiés eux-mêmes, leur descendance sur plusieurs générations n’étant pas mentionnée dans le texte. Sachant que la transmission génétique du statut de réfugié n’existe pas en droit international; le fait de la revendiquer pour le cas précis des Palestiniens est une première mondiale.
  • En 1948 les pays arabes ont voté contre cette résolution 194 car elle s’inscrivait dans un cadre politique qui prolongeait la décision de partage de la Palestine mandataire votée un an plus tôt et qui cautionnait donc la création d’un État juif. Ce surprenant constat souligne une nouvelle fois le décalage entre les évènements au moment où ils se produisent et la perception que l’on en a ultérieurement.

Il est peu de dire que l’environnement géopolitique dans lequel cette résolution a été adoptée a beaucoup évolué depuis plus de 75 années et que ce qui pouvait éventuellement apparaître plausible en 1948 pourrait ne plus du tout l’être en 2024 [1].

Dans le contexte actuel où cette demande de Droit au Retour devrait s’exercer, le consensus politique des Palestiniens dits modérés oscille en permanence entre deux tendances distinctes et antagonistes, et ce depuis des années.

1/ L’exigence légitime d’un retrait militaire des territoires occupés ne serait qu’une position tactique destinée à gagner des points sur le terrain, l’objectif stratégique principal restant la création d’un État unique, souvent appelé « Palestine Laïque et Démocratique » [2]. Dans cette perspective, une fois un premier retrait militaire acquis, le droit au retour viendrait préparer l’étape suivante du combat qui prendrait en tenaille l’État Israélien, la libération des territoires de l’occupation devant être suivie d’une invasion démographique. Il n’est alors pas difficile de comprendre la position de l’adversaire israélien qui refuse de concéder le moindre pouce de terrain à une organisation qui continuerait à œuvrer à sa perte politique par d’autres moyens que les attentats terroristes passés. Ceux-ci seraient ainsi remplacés par une stratégie par étapes comme de nombreuses déclarations de dirigeants palestiniens le laissent entendre.

2/ Cependant, ce n’est pas la position officielle affichée par la direction palestinienne depuis les accords d’Oslo de 1993. Celle-ci prétend vouloir clore le conflit en créant un État indépendant dans ces territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie. Les différents entre Barak et Arafat lors de ce sommet fatidique de juillet 2000 ne porteraient alors que sur quelques centaines de km2 et d’autres modalités dont, aussi importantes qu’elles puissent être, on a du mal à comprendre, qu’elles aient pu entraîner à l’aube des années 2000 un conflit de 3/4 ans au cours duquel plus de 3500 personnes ont trouvé la mort, sans compter les dizaines de milliers de blessés et leurs cortèges de vies brisées. En réalité, au cours de cette négociation, ce n’est que lorsque ce Droit au Retour a été évoqué comme condition sine qua non par le camps palestinien que s’est produite la vraie rupture au cours de ces mois critiques de l’été 2000.

Or, cette exigence, souvent présentée comme non négociable, apparaît en totale contradiction avec la position officielle de l’autorité palestinienne. En effet, si l’on considère que la principale richesse d’un mouvement de libération nationale sont les hommes et les femmes qui composent la Patrie en devenir, comment expliquer que le Fatah et d’autres organisations qui incarnent cette aspiration légitime à la souveraineté s’accrochent tant à un droit qui, s’il se trouvait miraculeusement accordé, priverait leur Nation de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliers de ressortissants ? Ceux-ci, voulant profiter de ce droit si difficilement acquis, s’installeraient alors en Israël et « déserteraient » donc le nouvel État palestinien à naître. Étant donné le différentiel de niveau de vie entre Israël, État déjà établi et bénéficiant d’un niveau de vie confortable, et la Palestine, où tant reste à construire, il se peut que le phénomène prenne une ampleur considérable.

En supposant que des quotas soient posés pour encadrer ce flux migratoire, je laisse aux lecteurs le soin d’apprécier quels postulants seraient les mieux placés pour « retourner » en Israël, entre universitaires, médecins, paysans, ouvriers, retraités ou chômeurs. Il est évident que du point de vue de la construction de la Palestine, cette hypothèse d’une hémorragie des élites en terre étrangère ne ferait qu’ajouter un handicap supplémentaire à une entreprise qui malheureusement en cumule déjà suffisamment aujourd’hui.

À moins qu’en réalité, dans cette vision palestinienne qui s’arc-boute sur ce droit au retour, Israël ne soit PAS considéré comme terre « étrangère » mais comme partie intégrante de la Nation. Auquel cas on rebascule vers la première hypothèse, soit celle de la position tactique qui ne considérerait la libération des territoires occupés que comme une première étape dans un combat bien plus large dont l’issue ultime serait la disparition de l’État d’Israël, pour laisser place à un État unique qui s’étendrait de la Méditerranée au Jourdain – le fameux slogan « From the river to the sea ».

D’où le paradoxe logique évoqué au début de ce texte où quelque soit la manière dont ces deux lignes sont interprétées, on ne pourra jamais leur donner simultanément un sens rationnel et cohérent. Il en va de même avec la vision de deux États pour deux peuples qui est totalement incompatible avec ce droit au retour et qui procède d’une vision erronée, comme une illusion d’optique peut l’être.

Illustration – illusion d’optique. L’échiquier d’Adelson : la teinte grise du carré A est la même que celle du carré B. (Crédit : Wikipédia / tout usage)

Bien que le sionisme puisse difficilement être considéré comme un modèle pour les Palestiniens, on imagine mal le mouvement de libération national du peuple Juif revendiquer un tel droit au retour pour des Juifs irakiens, polonais, algériens, allemands, russes ou égyptiens vis-à-vis de leur pays d’origine au nom d’une justice réparatrice de préjudices qui, dans bien des cas, n’auraient malheureusement rien à envier à ceux subis par les Palestiniens.

En revanche, il est tout à fait légitime pour l’autorité palestinienne de faire reconnaître les souffrances subies et de demander d’éventuelles compensations pour celles-ci. Il s’agirait alors de déterminer les responsabilités des parties prenantes dans le déroulement de ces tragédies et sur le banc des accusés, outre l’État d’Israël désigné en permanence comme coupable et comptable exclusif du malheur des réfugiés palestiniens, devraient également figurer :

  • Certains État arabes qui par leurs actions belliqueuses en 1948 ou 1967, ont engagé ou provoqué les guerres qui ont elles-mêmes entraîné la Nakba, soit la tragédie des réfugiés palestiniens. Avec le refus de ces mêmes État (hors Jordanie) d’assumer les conséquences désastreuses de leur politique hostile en proposant aux réfugiés des conditions d’accueil dignes et des possibilités de se reconstruire une nouvelle vie là où les événements les avaient conduits.
  • La plupart des dirigeants que se sont donnés les Palestiniens – Amin al-Husseini, Fawzi al-Kaukji, Ahmed Shukeiry ou même Yasser Arafat pendant la plus grande partie de son incertaine carrière – qui ont systématiquement refusé tout compromis dans une logique de tout ou rien et ont engagé leur peuple dans un conflit dont les populations civiles paient encore le prix.

Aussi, il est donc impératif que l’autorité palestinienne fasse le tri entre:

  • des demandes symboliques légitimes: reconnaissance des torts causés aux Palestiniens ;
  • des demandes de réparations à négocier avec TOUS les protagonistes du malheur des réfugiés, réparations qui permettraient de contribuer à l’essor économique du pays à construire ;
  • des demandes irréelles de droit au retour qui remettent en cause la crédibilité de tous ceux qui les formulent.

En maintenant cette revendication impossible contre vents et marées, et au vu de son incohérence patente avec l’objectif revendiqué d’un État qui vivrait en paix avec son voisin, ennemi d’hier, c’est l’ensemble du projet palestinien modéré qui est ébranlé.

La droite israélienne a alors beau jeu de dénigrer tous les interlocuteurs potentiels qui s’en réclament, dont l’une des exigences majeures affichée comme non négociable est en contradiction si flagrante avec la vision de deux États pour deux peuples.

En fait, est-ce que cette tendance de la cause nationale palestinienne dont l’objectif premier cherche à bâtir un État indépendant « à côté », et non pas « à la place » d’Israël ne devrait-elle pas au contraire combattre fermement ce droit au retour afin de préserver toutes ses chances au développement de cette nouvelle Nation ? Si ce n’est pas le cas, ce n’est alors pas seulement une revendication impossible mais une exigence impensée.

[1] Les Arabes de plus de 18 ans, qui ont fui ou ont été expulsés de la Palestine mandataire britannique en 1948 sont nés avant 1930. En 2025, ils auront donc au moins 95 ans et forment probablement une infime minorité des 5 à 6 millions de personnes enregistrées comme réfugiés palestiniens auprès de l’UNRWA.

[2] D’aucuns prétendent que dans le premier mot de cet intitulé, tout est déjà dit. En parallèle, il est difficile de mettre de côté l’idée qu’en ce début du XXIe siècle, le nombre d’États arabes laïcs et démocratiques ne plaide pas beaucoup en faveur d’une telle option…

à propos de l'auteur
Franco-Israélien né à Paris (France) en 1954, David Musnik vit en France avec un passage de plusieurs années en Israël dans les années 1970’s. Diplômé du Technion en 1977 dans la faculté "Electrical Engineering", puis mobilisé dans Tsahal pendant presque 3 années. Informaticien retraité spécialisé dans l’ingénierie documentaire.
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