Le désaveu

DOSSIER - Dans cette photo d'archive du 30 mai 2021, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'adresse au Parlement israélien à Jérusalem (Yonatan Sindel/POOL via AP, Fichier)
DOSSIER - Dans cette photo d'archive du 30 mai 2021, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu s'adresse au Parlement israélien à Jérusalem (Yonatan Sindel/POOL via AP, Fichier)

Pour Binyamin Netanyahou, Yariv Levin et Simha Rotman, la réforme du système judiciaire semblait bien partie.

Faisant preuve d’une froide détermination pour mener jusqu’à son terme cette révolution juridique qui ferait d’Israël une pseudo-démocratie, ils rejetaient d’un revers de main les protestations venues de la rue, de l’opposition ou des médias.

Tout en faisant adopter à marche forcée les textes de lois au Parlement, ils affichaient même une tranquille assurance en proposant à leurs adversaires d’engager « sans délai et sans préalable » un dialogue (idabrout) sur le sujet.

L’affaire n’est peut-être pas réglée pour autant. Le pays va mal et les électeurs du Likoud l’expriment de plus en plus. Dans les sondages où ils désavouent leur parti ; dans la rue où quelques-uns rejoignent les manifestations hebdomadaires… Ces électeurs, qui appartiennent pour l’essentiel aux classes populaires, n’ignoraient rien des projets du gouvernement en matière judiciaire, mais entendaient voir traités en priorité d’autres problèmes : la hausse des prix, la crise du logement, le coût de l’éducation pour la petite enfance qui grève le budget des ménages… Ils ne sont pas les seuls à s’inquiéter.

Enseignants, médecins, militaires, avocats et bien d’autres soulignent le caractère nocif de la réforme pour leur profession. Les économistes alertent les autorités sur la chute du shekel, l’image dégradée du pays à l’étranger et les observations des agences de notation.

Plus encore, des chefs d’entreprises diffèrent leurs investissements ou vont jusqu’à délocaliser leurs activités et retirer leurs fonds des banques israéliennes. Tout cela n’est pas de bonne augure pour une économie déjà handicapée par un niveau de prix élevé, une lente progression du chômage et une crise de la high-tech, ce navire-amiral de l’industrie du pays.

C’est la grande crainte, la seule crainte de Binyamin Netanyahou, le « Monsieur économie » qui s’enorgueillissait des performances du pays sous sa direction : être désavoué par les marchés.

Il ne devra pas attendre bien longtemps, et prépare déjà un argumentaire selon lequel c’est l’opposition, la presse et les juges qui auraient provoqué par leurs hauts cris la perte de confiance dans l’économie israélienne.

En proposant de discuter de la réforme dans le cadre d’une concertation qui n’en était pas une, le Premier ministre avait déjà opté – sans rire – pour une conception bien particulière de la négociation.

En déclarant qu’il n’est responsable en rien de la descente aux enfers de l’économie, il persiste en plaidant non-coupable contre toute évidence. Comme lors de son procès. Reste à savoir si ses électeurs sont encore prêts à l’innocenter.

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
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