Le Décalogue est clair même pendant la Gay Pride

A Chavouot les (trop rares) juifs qui célèbrent cette fête ont coutume de lire les Dix paroles et le Livre de Ruth.

Le rapprochement de ces deux textes n’est pas sans enseignement au regard d’une actualité marquée par les propos d’un ancien Grand Rabbin de France, qui vient d’appeler, sur les antennes d’une radio communautaire, à réagir « de façon radicale » (sic) à la Gay Pride de Tel Aviv, un an à peine après l’assassinat d’une israélienne de 16 ans qui avait été justement victime de ce radicalisme à Jérusalem.

Les Dix paroles – dites improprement dix commandements – sont lues à cette occasion car censées contenir les 613 mitzvot et tout l’enseignement de la Torah. On sait qu’il existe deux façons différentes de les étudier : soit dans l’ordre dans lequel elles sont délivrées dans la parachah Ytro soit dans celui que nous montrent les deux tables de la Loi faisant se juxtaposer sur une même ligne la première et la sixième parole, la deuxième et la septième, ect. Cette dernière présentation est plus intéressante pour l’interprétation, du fait des rapprochements qu’elle induit.

Ainsi la parole sur la révélation de l’identité de l’auteur du Décalogue (en l’occurrence le Dieu qui a fait sortir les Hébreux d’une maison d’esclavage, c’est-à-dire le Dieu qui se soucie du destin des hommes et veut le bien pour eux) voisine avec le commandement de ne pas assassiner.

Cela fait de cet interdit le plus important de tous. Quoi de plus normal ?

Caïn assassinant son frère Abel a donné à l’histoire humaine une impulsion tragique sur laquelle il est impératif de revenir si l’on poursuit l’objectif du Tikoun Olam.

Rien ne sera possible sans le respect de la vie d’autrui. Notons que lorsqu’il est écrit « lo tirtza », on n’ajoute pas « les juifs orthodoxes et hétérosexuels ». Non. Cela concerne toute vie humaine. Il paraît bien sûr logique que cet interdit concerne également, dans le même ordre d’idée, tout appel au meurtre.

En effet, les mots, eux aussi, peuvent tuer. Les juifs l’ont appris à leurs dépends au cours des siècles. Les Israéliens de même, comme le montre le film d’Amos Gitaï « Le dernier jour d’Itzhak Rabin », l’assassinat du Premier ministre ayant été précédé d’appels au meurtre de la part de certains rabbins fanatiques.

Relire d’un seul tenant ces deux paroles, c’est de la sorte se persuader que toute incitation à des « actions radicales » contre des êtres humains profane le Nom divin. C’est comprendre que la qualité de Grand Rabbin dudit incitateur n’est pas une circonstance atténuante, mais bien une circonstance aggravante, compte tenu de l’autorité dont il est paré pour répandre une telle parole de haine.

Profaner le Nom divin ? En réalité la suite de l’étude montre que le cas est encore plus grave que le Hilloul Hachem. Que nous disent les troisième et huitième paroles ? Qu’il ne faut pas invoquer en vain le Nom divin pour l’une et qu’il ne faut pas voler pour l’autre. Les deux se tiennent : invoquer le Nom divin pour tenir un discours anti-humaniste, c’est bel et bien voler son Nom au Dieu qui s’est révélé en libérant l’humanité.

Certes, on nous dira que les inquisiteurs, les auteurs du 11 septembre 2001, ceux du 13 novembre dernier, les intégristes et terroristes de tous poils qui assassinent matin, midi et soir pour obéir à Dieu et faire de la Terre l’antichambre de leur bien étrange paradis ont été ou sont bien pires que ce malheureux Grand Rabbin racontant n’importe quoi sur RCJ. On nous le dira et on aura naturellement raison.

On ira même jusqu’à nous rétorquer, toujours aussi justement, qu’il n’y a pas de comparaison possible entre des psychopathes sanguinaires et un Joseph Sitruk – et l’auteur de ces lignes peut en témoigner personnellement – qui est d’un commerce agréable dans la vraie vie.

Il n’en demeure pas moins que si l’inspiration intégriste peut varier dans son intensité elle ne le fait pas dans son essence : il s’agit à chaque fois de jeter sur la figure de l’altérité un anathème qui peut être meurtrier s’il se trouve pris au pied de la lettre. Meurtrier moins par l’assassinat que par l’incitation au suicide dans ce cas précis. En France, chaque année, 30% des homosexuel(le)s de moins de 25 ans tenteraient de se suicider, d’après un rapport rendu au Sénat en 2013. Il est fort douteux que ce pourcentage soit moindre au sein de la communauté juive. Expliquer à ces jeunes qu’ils sont l’abomination du genre humain ajoutera à leur mal-être, à l’âge de toutes les fragilités, et ne sera pas nécessairement sans conséquence tragique.

Voilà pourquoi le Décalogue devrait inciter tout individu que ce soit à ne pas se prétendre le porte-parole de la loi divine ou même tout simplement celui d’Israël, qu’il n’appartient à personne de vouloir sauver au prix de la vie de certains de ses membres considérés comme déviants. Le titre de rabbin n’autorise pas à le faire. Mettons fin à cette imposture.

A Chavouot, le livre de Ruth est lu également. Que dit Ruth à sa belle-mère pour rejoindre le peuple juif ? « Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu ».

Si elle avait embrassé une religion, elle aurait dit le contraire : devenue catholique elle aurait informé une catholique qu’elles avaient désormais le même Dieu et donc qu’elles faisaient partie de la même communauté.

Oui mais voilà : Ruth est devenue juive. Elle est entrée dans un peuple dont la langue connaissait si peu la notion de religion qu’il fallut en emprunter le qualificatif aux Perses. Le judaïsme est un destin partagé au service d’une éthique, une morale en action, une ou plusieurs gastronomies, une forme d’humour, tout ce qu’on voudra, sauf une religion.

C’est si vrai que la midrash nous explique que l’Eternel tua les nouveaux-nés égyptiens, qui étaient consacrés au culte, pour montrer aux Hébreux, avant même le don de la Torah, qu’il ne fallait surtout pas s’installer dans une religion parce que les religieux bloquaient tout !

Certes le judaïsme a bien pris l’apparence d’une religion par la force des choses, les hommes étant ce qu’ils sont (et les Consistoires aussi!), et Maïmonide ayant précipité le mouvement au XIIe siècle, avec son Credo, pour faire face aux pressions de l’Islam et du Christianisme, contre lesquels il fallait bien résister à armes égales. Mais ne perdons pas pour autant de vue, huit cent cinquante ans plus tard, que l’autorité d’un homme qui parle n’émane que de la pertinence de ce qu’il nous énonce.

Lorsque sa parole va à l’encontre des Dix paroles, elle est nulle et non avenue. Cela vaut même en période de Gay Pride !

à propos de l'auteur
Gilles Orselly, cadre administratif dans une grande collectivité locale du Sud-ouest, est écrivain, prix François Mauriac de l’Académie française et prix Soubiran de l’Académie du Languedoc. Il a réalisé le moyen-métrage « Paroles de Résistants-Grenoble le 22 août 1944. Il a été l’un des animateurs du cercle de recherche sur la pensée juive de Grenoble et a été responsable de plusieurs associations cultuelles.
Comments