Le débat interdit

Les efforts du président Itzhak Herzog et de quelques autres vont peut-être aboutir. Un débat sur le projet de réforme du système judiciaire pourrait ne plus relever du domaine de l’interdit. Mais que de conditions ! Le président propose de geler le débat à la Knesset durant quatorze jours pendant lesquels partisans et adversaires de la réforme tenteraient d’arriver à un compromis.

Les premières réactions sont très réservées. La présidente du Parti travailliste considère qu’on ne peut que repousser le projet gouvernemental. Mais avec quatre sièges à la Knesset, elle ne représente plus grand-chose. Les deux grands partis d’opposition et leurs leaders, Yaïr Lapid et Benny Gantz, ne se sont pas encore exprimés à l’heure où ces lignes sont écrites.

Du côté de la coalition, une solution est envisagée. Dans un premier temps, les travaux de la Knesset suivraient leur cours jusqu’à l’adoption en première lecture d’une partie du projet : la réforme de la procédure de nomination des juges et l’interdiction faite à la Cour suprême d’invalider une Loi fondamentale. Ensuite, les boutefeux de la réforme, le  ministre de la Justice, Yariv Levin, et le président de la commission des Lois, Simha Rotman, pourraient être contraints d’accepter l’organisation d’un débat sur cette réforme qu’ils pensaient facile à faire adopter alors qu’elle mobilise de plus en plus d’opposants.

Dans les milieux politiques, dans le monde des affaires, et bien sûr dans la rue, le gouvernement perd chaque jour un peu plus de crédit. Même sur la scène internationale, Binyamin Netanyahou doit rassurer ses interlocuteurs, comme il l’a fait à Paris en rencontrant le président Emmanuel Macron, des chefs d’entreprises et les dirigeants de la communauté juive. La réunion autour d’une table de politiques et de spécialistes montrerait sa volonté de soumettre cette initiative à un débat contradictoire. Ce serait bien le moins. Les (r)évolutions proposées impliqueraient un changement de régime, rangeant la démocratie au magasin des accessoires. On observera à cet égard que la concertation n’est pas antinomique de l’efficacité.

En 2007, voulant réformer la Constitution, Nicolas Sarkozy forma un comité présidé par Edouard Balladur chargé de réfléchir à la question et qui auditionnera des représentants de la majorité, de l’opposition, des juristes… La réforme – comportant des dispositions importantes comme la limitation à deux du nombre de mandats consécutifs du président de la République – a été adoptée « sans drame et sans larme » ainsi que le chante Jean-Jacques Goldman. On s’abstiendra de dire à Binyamin Netanyahou que la chanson s’intitule « puisque tu pars ».

Et pourtant, le sort judiciaire du Premier ministre est bien en jeu et explique le verrouillage opéré par un exécutif d’abord soucieux de donner à son chef tous les moyens d’échapper à son procès.

 

à propos de l'auteur
Philippe Velilla est né en 1955 à Paris. Docteur en droit, fonctionnaire à la Ville de Paris, puis au ministère français de l’Economie de 1975 à 2015, il a été détaché de 1990 à 1994 auprès de l’Union européenne à Bruxelles. Il a aussi enseigné l’économie d’Israël à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 1997 à 2001, et le droit européen à La Sorbonne de 2005 à 2015. Il est de retour en Israël depuis cette date. Habitant à Yafo, il consacre son temps à l’enseignement et à l’écriture. Il est l’auteur de "Les Juifs et la droite" (Pascal, 2010), "La République et les tribus" (Buchet-Chastel, 2014), "Génération SOS Racisme" (avec Taly Jaoui, Le Bord de l’Eau, 2015), "Israël et ses conflits" (Le Bord de l’Eau, 2017). Il est régulièrement invité sur I24News, et collabore à plusieurs revues.
Comments