Le contrôle de l’axe Philadelphie est-il un atout sécuritaire ou un prétexte politique ?
Depuis les années 1980, Benjamin Netanyahu défend la juste cause de l’État juif en se basant toujours sur le combat contre le terrorisme et la doctrine sécuritaire. Orateur inné et excellent démonstrateur à la télévision, il se bat aussi avec acharnement pour rejeter les pressions diplomatiques et les condamnations systématiques.
Le 7 octobre 2023, tout a basculé. La doctrine de défense s’est effondrée brusquement. Fortement surpris et bouleversé par l’étendue sauvage de l’attaque du Hamas, Netanyahu cherche en vain une solution militaire ou une issue diplomatique. 11 mois après, les structures de l’organisation islamiste palestinienne sont encore sur place. Le Hamas n’est toujours pas éradiqué.
En clair, le chef du gouvernement n’a pas réussi à appliquer les objectifs de la guerre :
- victoire totale contre le Hamas,
- libération de tous les otages,
- et une sécurité absolue au Nord et au Sud du pays.
Toutes les promesses n’ont pas été tenues.
Durant ses longues années au pouvoir, Netanyahu était fier de se présenter comme Monsieur Sécurité par excellence. Aujourd’hui, il a un grand mal à gérer les décisions gouvernementales, à maîtriser ses ministres et à éviter les fuites à la presse. Il n’accorde plus son violon avec les chefs militaires, et les divergences demeurent profondes également avec le chef du Shin Beit.
Le Président Biden exerce de fortes pressions et lance des ultimatums. Acculé tous azimuts, contesté par les manifestations de rue monstres, comment le Premier ministre peut-il sortir de l’impasse s’il demeure intransigeant et refuse obstinément de démissionner.
En vérité, les relations humaines de Netanyahu sont également compliquées et complexes. Présomptueux, très méfiant, le chef du gouvernement manque de sincérité profonde. Lors de sa dernière conférence de presse, Netanyahu a enfin présenté ses excuses aux familles pour n’avoir « pas fait assez » afin de sauver les leurs. Ce premier pardon est sans doute sincère mais a-t-il atténué la douleur, la colère et les frustrations ?
Après une cinquantaine de semaines d’angoisse et d’incertitude, comment Netanyahu voudra gérer la marche à suivre ? A-t-il des réponses pragmatiques satisfaisantes ? Quelle est sa véritable stratégie ? Comment lui faire aveuglément confiance ? Comment apaiser les esprits et offrir une lueur d’espoir à tous les Israéliens qui en ont ras-le-bol des guerres ?
Netanyahu appelle à l’union, mais en même temps continue à semer la zizanie, attaque ses adversaires et divise pour régner. Dans les négociations pour la libération des otages, il fait un pas en avant et deux pas en arrière. Bien entendu, il a parfaitement raison de dire que « celui qui tue des otages ne veut pas d’un accord », et d’ailleurs nous regrettons que l’opposition et la presse ne soulignent pas nettement cette macabre logique, jouent sur la récupération politique et se contentent d’accuser automatiquement Netanyahu en le traitant de « meurtrier ». Non ! Ces insultes sont injustes et indignes à son égard. Elles apportent de l’eau au moulin à nos ennemis et à nos détracteurs.
Pour détourner l’attention exclusive sur les otages, Netanyahu adopte, comme de coutume, la tactique sécuritaire. Il redit sa détermination à garder le contrôle militaire de l’axe Philadelphie[1].
Voici un bref rappel des faits historiques sur ce dossier épineux :
- Menahem Begin n’a pas réussi à restituer la bande de Gaza à l’Égypte dans le cadre du traité de paix signé en 1979 avec Anouar el Sadate.
- Itzhak Rabin et Shimon Pérès offrent Gaza à Yasser Arafat dans le cadre des Accords d’Oslo signés en 1993.
- Ariel Sharon se retire en 2005 de Goush Katif et expulse 8000 familles juives de la bande de Gaza. Au départ, Netanyahu approuve, puis démissionne du gouvernement et exige de Sharon de sauvegarder l’axe Philadelphie.
- Le 12 juin 2007, le Hamas chasse Mahmoud Abbas et ses troupes du Fatah. Il prend le pouvoir de toute la bande de Gaza et lance des roquettes quotidiennement sur les villages israéliens.
- Le contrôle de l’axe Philadelphie n’a pas été un objectif dans toutes les opérations de Tsahal menées depuis Plomb durci déclenchée le 27 décembre 2008.
- Le 11 décembre 2023, Benjamin Netanyahu déclare devant la commission des Affaires étrangères et sécuritaires de la Knesset qu’Israël contrôlera le corridor de Philadelphie et qu’il imposera une zone tampon à l’intérieur de la bande de Gaza.
- Le 29 mai 2024 Tsahal prend le contrôle militaire de Rafah et détruit plus de deux cents tunnels le long du corridor de Philadelphie.
Le contrôle d’une zone tampon, séparant Gaza de l’Égypte, est évidemment indispensable sur le plan sécuritaire et militaire. L’Égypte n’a pas rempli ses engagements, et durant des décennies elle n’a pas empêché la contrebande des armements acheminés à travers les tunnels.
Pour se redorer le blason, le chef de l’armée égyptienne s’est rendu pour la première fois à Rafah. Il a inspecté ses troupes et a rejeté toute tentative israélienne de contrôler le corridor de Philadelphie. De ce fait, une coordination sécuritaire permanente avec l’Égypte est indispensable car le traité de paix avec l’Égypte est vital et stratégique pour la défense d’Israël.
Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, et le chef d’État-major Herzi Halevi approuvent que l’axe est indispensable ; mais pour aboutir à un accord sur les otages, ils estiment que nous pouvons évacuer temporairement l’axe de Philadelphie, quitte à y revenir dans le cas d’une nouvelle menace. Cependant, pour pouvoir lancer une opération militaire, il est nécessaire de la coordonner avec les États-Unis, éviter un affrontement avec l’Égypte et obtenir une certaine légitimité internationale. La situation est donc complexe.
Alors pourquoi Netanyahu choisit de soulever le sujet actuellement au moment même où les Américains affirment que nous sommes à la phase finale d’un accord sur la libération des otages ? Pourquoi cette urgence soudain ? N’a-t-il pas commis une erreur tactique et une mauvaise manœuvre diplomatique ?
Sur le fond, le chef du gouvernement souhaite gagner du temps et attend impatiemment une victoire de Donald Trump aux prochaines élections présidentielles. Il refuse par tous les moyens que le Hamas reprenne les commandes dans la bande de Gaza. Il a sans doute raison.
Dans ce contexte, il poursuivra lentement les négociations pour aboutir à un accord solide, sera prêt à faire des compromis, mais en écartant des discussions le ministre de la Défense et le chef du Shin Beit. Désormais, toutes les décisions sur ce sujet sont prises par un triumvirat : Netanyahu, le chef du Mossad David Barnéa et Ron Dermer, le fidèle conseiller du Premier ministre, ancien ambassadeur aux États-Unis.
Pour l’heure, Netanyahu se trouve dans l’obligation de sauvegarder sa coalition et de présenter un nouveau budget national pour 2025, en prenant en considération le prix très élevé de la guerre et l’éventuelle présence de Tsahal dans la bande de Gaza pour plusieurs mois encore.
En conclusion, le contrôle de l’axe Philadelphie est vital sur tous les plans. Il prouvera que nos soldats ne sont pas tombés en vain sur le champ de bataille. Cependant, pour obtenir gain de cause, Netanyahu devra apaiser les esprits et faire une pause. Il doit d’abord libérer les otages et soulever après le contrôle de l’axe Philadelphie, idéalement dans le cadre d’un accord sécuritaire global avec les Égyptiens, en exigeant des solides assurances américaines.
[1] Le nom Philadelphie n’a aucun rapport avec la ville américaine. Il s’agit d’un code inscrit sur les cartes d’État-major de Tsahal. Le corridor est long de 14 km et 100 mètres de largeur.