Le contribuable israélien paiera le prix de la guerre

Après plus de cinq mois d’improvisation budgétaire, le gouvernement israélien peut enfin mettre de l’ordre dans les finances publiques : désormais, Israël dispose d’un budget rectificatif pour 2024 pour financer l’effort de guerre.

Un budget révisé est une bonne nouvelle car il permettra de mieux prendre en compte les recettes et les dépenses de l’Etat qui sont largement dictées par la guerre en cours.

Encore faut-il que le budget 2024 remplisse ses objectifs de relance et de reconstruction de l’économie israélienne ; or rien n’est moins sûr.

Budget populiste

A l’arrivée, le budget 2024 revu à la hausse reste confus et populiste, dont l’objectif majeur est de maintenir la coalition gouvernementale au pouvoir. Sinon, comment expliquer qu’au lieu de fermer des ministères inutiles et de réduire les dépenses improductives, le gouvernement Netanyahou préfère accroître la fiscalité indirecte et effectuer des coupes sombres dans les budgets importants ?

Pour financer le déficit budgétaire qui va faire un bond à 6,6% du PIB en 2024 soit 120 milliards de shekels, le gouvernement israélien va donner d’une main pour reprendre (plus) de l’autre. Qu’on en juge : les taxes sur l’essence et le tabac sont augmentées, la cotisation médicale est relevée de 0,15% alors que la TVA va augmenter d’un point (de 17 à 18%) ; par ailleurs, les allocations sociales (normalement indexées au salaire moyen) seront gelées, alors que les salariés verront leur prime de vacances amputées d’un jour. De plus, des taxes nouvelles sont introduites, notamment sur les transactions immobilières et les voitures électriques.

Des mesures qui confirment que c’est bien le contribuable israélien qui paiera la facture de la guerre ; il paiera plus d’impôts mais recevra moins de services puisque tous les budgets courants sont coupés de 5% et même de 15% pour les budgets dédiés à la communauté arabe.

Bref, un budget qui va appauvrir la classe moyenne, creuser les écarts et abandonner les allocataires de minima sociaux à leur sort.

Faire autrement

Certes, la guerre exige un effort important de la part de tous les Israéliens ; mais pouvait-on faire autrement ? Oui, il suffit de prendre l’argent là où il se trouve, de faire payer les plus riches tout en dédommageant les plus pauvres qui sont les victimes directes de la guerre.

Car s’il est justifié d’augmenter les recettes de l’Etat par la fiscalité pour financer l’effort de guerre, encore faut-il le faire équitablement ; il aurait été préférable d’augmenter l’impôt sur le revenu que paient les plus riches, plutôt que les taxes sur la consommation qui affectent les plus pauvres.

Par exemple, il est possible de relever la TVA mais à condition de la rendre plus progressive. En Israël, il existe un taux unique de 17% : le faire porter à 18% va renchérir de nombreux produits de base. Israël devrait adopter le modèle occidental de taux réduits ; en France par exemple, le taux normal de la TVA est de 20% (supérieur à Israël) mais il existe un taux réduit de 5,5% sur les produits alimentaires et de 2,1% sur les médicaments.

Autre moyen pour financer des dépenses imprévues sans mettre la main dans la poche du contribuable : utiliser les réserves en devises que le pays garde justement pour les coups durs et qui atteignent le montant record de 206 milliards de dollars. Dès le 9 octobre dernier, la Banque centrale a proposé de vendre 30 milliards de dollars pour fournir les liquidités nécessaires à la poursuite de l’activité régulière en temps de guerre : or jusqu’au début de ce mois de mars, seulement 8,5 milliards ont été utilisés, le gouvernement préférant relever la fiscalité locale et emprunter à l’étranger.

Un peu d’imagination financière et une dose de bonne volonté auraient permis au gouvernement israélien de proposer un budget mieux adapté à la situation de guerre ; il a préféré prendre dans la poche des Israéliens qui travaillent pour gagner leur vie et qui servent dans l’armée du peuple.

à propos de l'auteur
Jacques Bendelac est économiste et chercheur en sciences sociales à Jérusalem où il est installé depuis 1983. Il possède un doctorat en sciences économiques de l’Université de Paris. Il a enseigné l’économie à l’Institut supérieur de Technologie de Jérusalem de 1994 à 1998, à l’Université Hébraïque de Jérusalem de 2002 à 2005 et au Collège universitaire de Netanya de 2012 à 2020. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et articles consacrés à Israël et aux relations israélo-palestiniennes. Il est notamment l’auteur de "Les Arabes d’Israël" (Autrement, 2008), "Israël-Palestine : demain, deux Etats partenaires ?" (Armand Colin, 2012), "Les Israéliens, hypercréatifs !" (avec Mati Ben-Avraham, Ateliers Henry Dougier, 2015) et "Israël, mode d’emploi" (Editions Plein Jour, 2018). Dernier ouvrage paru : "Les Années Netanyahou, le grand virage d’Israël" (L’Harmattan, 2022). Régulièrement, il commente l’actualité économique au Proche-Orient dans les médias français et israéliens.
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