Le choix de la France

La France est confrontée à un conflit de valeurs : d’une part, elle souhaite garantir à ses citoyens juifs le droit à l’école républicaine, la sécurité et la liberté de vivre leur culte. Et d’autre part, en convalescence de sa période colonialiste, elle ne se sent pas en droit d’exiger de ses citoyens d’origine musulmane de se débarrasser d’un élément consubstantiel de leur identité.

Ce dilemme s’était illustré dans les années 2000-2005 dans les écoles publiques des quartiers sensibles, microcosmes des sociétés, et a été résolu par l’exclusion arrangée des enfants juifs de ces écoles et l’arrêt temporaire des cours sur l’Holocauste et Israël.

C’est vrai que comme « role model » c’est pas joli de virer l’élève qui dérange quand on sait que ce sont les autres qui ont tort mais le directeur d’école doit faire tourner la boutique et c’est déjà assez difficile. Entre le message officiel humaniste de l’école républicaine et le message sous-jacent transmis par ce type d’acte contraire aux valeurs de 1789, les élèves retiendront trois choses:

(1) que le discours officiel n’est pas si fondamental que ça, (2) que les représentants de l’autorité ne sont pas forcément prêts à la confrontation pour défendre les valeurs qu’ils affirment du matin au soir et (3) que si on gueule un peu on obtiendra ce qu’on veut.

On ne pouvait toutefois pas exiger d’un directeur d’école de régler sur le terrain les conflits de valeur que la société française elle-même se refuse de traiter et on a laissé couler « pour éviter d’ouvrir une boîte de Pandore ». Aujourd’hui les élèves ont grandi et comme ils sont des bons élèves et que l’école fonctionne bien dans son rôle de socialisation, ils ont retenu la leçon, les trois leçons…

L’énigme du malaise des Juifs de France

Ce précédent pourrait peut-être nous aider à déchiffrer une des énigmes de la société française. Après le crime antisémite et crapuleux de Créteil, les dirigeants politiques français ont tenu des discours exemplaires contre l’antisémitisme. Ils ont dénoncé les dangers des pamphlets de Dieudonné, Soral et autres antisémites notoires. Ils ont parlé de l’antisémitisme chez les membres du Front National. Ils ont même été jusqu’à condamner les discours anti-israéliens outranciers qui pourraient cacher un antisémitisme fondamental derrière un antisionisme de façade. Et pourtant, d’une manière surprenante, alors que les prises de position politiques sont de plus en plus fermes, l’antisémitisme ne cesse d’augmenter.

Comment se fait-il que la dissuasion ne fonctionne pas ici ? Comment expliquer une pareille énigme ? Y-a-t-il inadéquation entre discours et actes concrets, existence de facteurs incontrôlables par la politique ou alors peut-être erreur sur le diagnostic ? Il est en tout cas clair que ce type de causerie bisounours ne convainc personne.

Le drame de Créteil peut se reproduire n’importe où et, malgré les sermons incantatoires des personnalités en poste, ni les criminels des banlieues n’ont changé d’avis sur les Juifs ni les Juifs n’ont été rassurés.

La perspective psychanalytique

Pour le psychanalyste Daniel Sibony, spécialiste des méandres de la haine de l’autre, la France aurait peur de se confronter avec 20% de la jeunesse française de demain. « C’est un paradoxe typique : l’establishment français ne cesse de dénoncer l’islamophobie, et ses membres sont les premiers à la ressentir.

Ils la dénoncent chez les autres pour leur faire la morale, mais eux-mêmes ont cette peur étrange, la peur qu’a l’homme policé, refoulé, et plutôt lâche, face à l’être pulsionnel ; la peur qui fait qu’un surveillant ou un proviseur va se cacher dans son bureau pendant ces petits « frottements intercommunautaires », c’est-à-dire pendant l’agression contre une juive, et qu’il ressort quand c’est fini, donnant ainsi un bel exemple de dignité.

La peur qui fait qu’on ne sanctionne pas les agresseurs, qu’on demande aux Juifs d’être compréhensifs. […] Par leur lâcheté, c’est-à-dire par leur islamophobie, les responsables de la loi ou du règlement trahissent leurs engagements de lutter contre l’antisémitisme, engagements ressassés qui, en restant lettre morte, non seulement encouragent les agressions antijuives venant de musulmans, mais trahissent l’espoir que des musulmans éclairés ont mis dans la loi républicaine, l’espoir qu’elle mette un coup d’arrêt à des traditions séculaires, concernant aussi les femmes, et qu’elle les aide à se dégager d’un carcan médiéval qui s’est transmis à l’identique ».

Si l’analyse de Daniel Sibony s’avérait exact, il ne s’agirait alors non plus d’un problème de délinquance juvénile ou d’une poignée d’extrémistes islamistes mais d’un problème structurel lié à la France et à son rapport à ses migrants.

Si la majorité des maghrébins ont importé dans leurs bagages la vindicte antijuive qu’on trouve aux fondements de l’islam (90% des habitants des pays arabes sont profondément judéophobes et refusent notamment le droit à l’existence d’un état juif souverain au Proche Orient quelque soient ses frontières d’après PEW) et si la majorité des actes antisémites est commise par des personnes d’origine maghrébine, comment nommer autrement que par le terme de déni cet aveuglement à refuser de nommer une chose par son nom.

Par ce comportement irresponsable, les officiels français laissent malheureusement à l’extrême-droite le monopole de la parole intelligente sur ce sujet : à savoir traquer la parole antisémite ordinaire dans les banlieues, faire taire les discours islamistes dans les mosquées et se confronter sans concession avec ceux qui refusent les valeurs de la République.

En Hollande comme en Allemagne, les officiels ont depuis plusieurs années outrepassé la « tyrannie du politiquement correct », et ont permis de mettre en place des politiques de traitement de cette pathologie mentale répandue chez les immigrés musulmans et leurs enfants. Pour le WZB Berlin Social Science Center, 70% des musulmans d’Europe sont profondément antisémites et 40% préfèreraient la Sharia à la démocratie.

D’après un récent sondage français, 16% des français, on ne dit pas lesquels français mais il y a probablement peu de catholiques pratiquants parmi eux, soutiennent Daesh. De même que les juifs (et les chrétiens de plus en plus) ont quitté les pays arabes parce que ça devenait insupportable, si rien n’est fait les Juifs risquent de rencontrer des difficultés grandissantes en France.

Le choix de la France

Mais les jeux ne sont pas faits loin de là. Tout peut changer si la France décide de faire un choix dans ce conflit de valeurs et de prendre le parti d’imposer ses valeurs universelles – quitte à se confronter avec ceux qui souhaitent importer en France un modèle de civilisation incompatible avec les valeurs de la République. En mon nom et au nom de nombreux de mes amis, j’appelle la France démocratique et libérale, celle qu’on a aimée – la France de Zola, Péguy et Jean Moulin — à faire ce choix au plus vite et qu’elle n’attende pas que la situation empire pour nous voir finalement hériter à la fois des émeutes, du dirigisme politique d’extrême droite et de la catastrophe culturelle qui risquerait de s’en suivre.

à propos de l'auteur
Directeur de recherche au Jewish People Policy Institute (Jérusalem), Dov Maïmon est notamment l’auteur d’une étude portant sur « le judaïsme européen en 2030 », où s’esquissent divers scénarios possibles pour le devenir communautaire. Né à Paris, Dov Maïmon émigre en Israël à 18 ans. Ingénieur formé au Technion (Haïfa), diplômé de l’Inséad (Fontainebleau) en management, professeur aux Universités de Ben Gourion (Beer-Shéva) et du Mont Scopus (Jérusalem), il travaille sur les rapports entre histoire, religions et politique. Son doctorat, consacré aux convergences entre mystiques juive et musulmane, a été récompensé du prix du Chancelier des Universités 2005, attribué chaque année au meilleur doctorat français en sciences humaines. D'octobre 2013 à février 2014, il a coordonné la taskforce du gouvernement israélien sur l’avenir des Juifs d'Europe.
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