Le cheval de Caligula ou le pouvoir d’un seul homme
Après l’hospitalisation samedi de Benyamin Netanyahou, on est en droit de se demander s’il est raisonnable que le Premier ministre israélien n’ait pas désigné un ministre qui assure son intérim en cas de vacance du pouvoir.
Pour d’aucuns, la question paraîtra superficielle à un moment où le critère de raisonnabilité est en passe d’être supprimé ou affaibli dans le droit israélien.
La limitation de la référence au raisonnable pour rejeter une décision du gouvernement israélien va consacrer la suprématie de la politique sur la compétence professionnelle.
Ce volet de la réforme judiciaire a rappelé à de nombreux commentateurs une autre époque où un empereur romain voulait nommer son cheval consul.
Déséquilibre des pouvoirs
L’adoption en première lecture par la Knesset de la loi visant à limiter l’usage du critère de raisonnabilité pour annuler une décision gouvernementale constitue un volet important de la réforme judiciaire.
Lorsque la loi sera définitivement approuvée, la Cour suprême ne pourra plus invalider une décision du gouvernement ou d’un ministre au motif qu’elle n’est pas raisonnable.
Autrement dit, le pouvoir exécutif ne serait plus soumis au pouvoir judiciaire pour contrôler certaines de ses actions, concernant notamment les nominations de fonctionnaires, le rapport Etat-religions, l’octroi de crédits publics et autres.
La limitation de l’usage du critère de raisonnabilité n’est qu’une première étape d’une réforme qui va affaiblir le pouvoir judiciaire au profit du pouvoir exécutif.
Depuis son retour au sommet de l’Etat en décembre dernier, Benyamin Netanyahou, mis en accusation pour corruption et prises illégales d’intérêts, fait tout pour se perpétuer au pouvoir, quitte à mettre en péril les principes démocratiques d’Israël ; en voici quelques exemples.
Suprématie de la politique
La nomination des juges par la coalition gouvernementale donnera au pouvoir exécutif la prérogative de nommer des hauts magistrats et juges de la Cour suprême qui seront soumis à sa cause.
La mise en accusation de Netanyahou accélèrera aussi la volonté politique d’une séparation de la fonction de Conseiller juridique du gouvernement de celle de Procureur général qui serait plus favorable au premier ministre.
De même, la modification des modalités de recrutement des conseillers juridiques qui existent dans chaque administration permettrait de les transformer en postes marqués par un lien de confiance et révocables à tout moment.
Ces projets de réforme permettront de révoquer aisément des hauts fonctionnaires, directeurs de cabinet et directeurs d’entreprises publiques qui déplaisent à leur ministre de tutelle, et d’en nommer d’autres en fonction de leur couleur politique et non plus selon leurs compétences professionnelles.
Comme si de rien n’était
Après le vote en première lecture de l’amendement à la loi sur le pouvoir judiciaire (critère de raisonnabilité), plusieurs éditorialistes israéliens ont évoqué l’empereur romain Caligula qui voulait nommer son cheval consul ; une désignation qui est restée le symbole de la suprématie de la politique sur la compétence.
Certes, personne ne prétend comparer l’Etat d’Israël à l’empire romain et Netanyahou n’est pas Caligula.
Il reste qu’après l’adoption de la réforme judiciaire, rien n’empêchera un premier ministre israélien de nommer son épouse au poste de directrice de cabinet ou son fils consul à New-York.
En l’absence de tout contrôle judiciaire, rien n’empêcherait un chef de gouvernement de nommer ministre un délinquant, condamné plusieurs fois pour fraude fiscale et abus de pouvoir, qui a effectué une peine de prison ferme et qui reviendrait sur les « lieux du crime », comme si de rien n’était…
Même après son admission aux urgences samedi dernier, Benyamin Netanyahou continue de peaufiner son image d’homme fort, qui maîtrise les médias et entretient le culte de sa personnalité ; oubliant qu’aussi fort soit-il, un homme politique n’est ni irremplaçable, ni immortel…