Featured Post

Le chaos israélien : aboutissement d’un long processus

Des Israéliens bloquant l'autoroute Ayalon à Tel Aviv lors de la manifestation contre la réforme judiciaire prévue par le gouvernement israélien le 25 mars 2023. Photo par Avshalom Sassoni/Flash90
Des Israéliens bloquant l'autoroute Ayalon à Tel Aviv lors de la manifestation contre la réforme judiciaire prévue par le gouvernement israélien le 25 mars 2023. Photo par Avshalom Sassoni/Flash90

Les étapes du passé récent de l’histoire d’Israël ont ouvert la voie à la dérive inéluctable que vit le pays aujourd’hui : en voici quatre qui me semblent des indicateurs significatifs pour comprendre l’inquiétante réalité à laquelle nous assistons aujourd’hui.

1967 – La Guerre des Six jours et la conquête de Territoires habités par des millions de Palestiniens.

1973 – Sébastia, la première colonie israélienne en territoire occupé reconnue officiellement par l’Etat d’Israël.

1982 – La guerre du Liban (Shlom Hagalil) qui fut le cadre du premier assassinat d’un militant pour la Paix Emile Grinsweig par un opposant d’extrême droite israélien.

1995 – Assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin.

1967 – La Guerre des Six jours 

La conquête de ces territoires en Juin 67 a mis en branle un très actif mouvement de ces Juifs religieux nationalistes qui attendaient jusque-là, patiemment, l’avènement du Grand Retour.

Leur dialectique était implacable.

La porte de Damas à Jérusalem, le dimanche 2 juin 2019, à l’occasion du « Jour de Jérusalem », fête israélienne célébrant la prise de la vieille ville lors de la guerre des Six Jours. (AP Photo / Ariel Schalit)

Avant 67, nous vivions dans un ersatz de la Terre d’Israël. Tel Aviv, Yafo, Haïfa, Saint Jean D’Acre, ne revêtent aucune importance biblique. Par contre, Bethlehem, Hébron, Sichem, Bethel, Elon-Moreh, le tombeau de Rachel, des Patriarches, celui de Joseph etc…, ces lieux portent notre histoire sacrée, et si nous les avons obtenus aussi facilement en moins de six jours contre plusieurs armées arabes déterminées à en finir avec nous, c’est qu’il y eut indubitablement une intervention divine. Le Seigneur nous a offert sur un plateau d’argent tous les lieux qui furent le théâtre de notre épopée biblique. Les rendre à l’ennemi serait comme faire offense à la face du Divin.

Le pouvoir travailliste de l’époque redoutait au-delà de tout, cette frénésie mystique qui allait suivre immanquablement cette victoire éclair.

Depuis le début de son histoire, le projet sioniste était porté par, schématiquement, trois grands courants : la mouvance socialiste, la plus active et politisée, dont Ben Gurion en fut le leader et le Premier chef d’Etat, qui engendra plus tard le Parti Travailliste, la mouvance nationaliste dont la figure principale était Zeev Vladimir Jabotinski, duquel est inspiré l’actuel parti Likud de Netanyahou et la troisième, mouvance sioniste-religieuse, vaguement messianique, portée par le Rav KooK, Rabbin maitre-penseur des colons actuels.

Levi Eshkol, alors Premier ministre travailliste, avait tout tenté pour aboutir à un accord de Paix avec ses voisins arabes en échange de la restitution des territoires conquis, car densément peuplés par des millions d’habitants palestiniens et bien conscient aussi que cette fulgurante victoire allait être récupérée par les deux autres mouvements : nationaliste et sioniste religieux

En réponse, neuf pays arabes s’étaient réunis en septembre 1967 lors de la fameuse conférence de Khartoum – connue sous le nom de « Résolution des trois nons ») :

Non aux négociations avec Israël,

Non à la reconnaissance d’Israël,

Non à la Paix avec Israël.

Des pourparlers secrets continuaient pourtant pendant plusieurs années avec les voisins arabes mais sans aucun résultat.

Ainsi, après avoir contenu difficilement les foules de Juifs nationalistes et religieux résolus, déferlant par vagues, déterminés à remplir de populations juives ces territoires conquis, le gouvernement israélien a fini par céder et en 1973 s’installèrent les premières « implantations » ou « colonies » dont la première officiellement reconnue fut Sebastia, en Cisjordanie, autorisée par Shimon Peres alors ministre de l’Intérieur.

La consule générale de l’époque à New York, Colette Avital, et le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Shimon Peres, s’adressant à la Conférence des présidents des principales organisations juives, le 23 mai 1994, à New York. (Photo AP/David Karp)

Six ans, de 1967 à 1973, durant lesquels les autorités israéliennes tentèrent désespérément de sortir de cette impasse, et de ne pas se laisser déborder par ces foules trépignantes, parfois violentes. En vain.

Depuis, Israël est un Etat où seulement un peu plus de 50 % de la population qui vit dans ses frontières actuelles bénéficient du régime démocratique qu’il s’est choisi.

1973 – Premières colonies israéliennes

Vagues après vagues, des citoyens israéliens se sont installés dans ces territoires qui ne sont pas reconnus par les Nations du monde.

La motivation de ces migrants est de trois ordres : politique, religieux et économique.

Nombre de ces colons sont politiquement de droite nationaliste, majoritairement laïques même s’ils prônent le Grand Israël, en référence au Royaume de David pour justifier leur positionnement idéologique. Pour eux, les Palestiniens ont déjà leur propre pays, la Jordanie, composée en effet de 70 % de population palestinienne, et dont la solution, pour certains, serait tout simplement d’opérer à un transfert de population. Ils sont très motivés, déterminés, n’hésitant pas à user de la violence pour museler leurs opposants.

Les colons religieux invoquent bien sûr le récit biblique pour justifier leur démarche. Ils peuvent être aussi virulents que les colons de droite politique, tels que les adeptes du Rabbin Kahana, figure paroxystique du suprématisme juif, dont deux des ministres importants de l’actuel gouvernement, Itamar Ben Gvir ministre de la Sécurité nationale et Bezalel Smotritch ministre des Finances, en revendiquent l’appartenance. Mais nombre d’entre eux ne sont pas forcément mus par cet élan nationaliste et exclusiviste. Ils seraient même, pour certains, prêts à vivre sous souveraineté palestinienne, pour peu qu’il leur serait permis de demeurer dans ces lieux bibliques où ils ont choisi de vivre. Le défunt Rabbin Fruhman, de la colonie de Tekoah en était une des figures emblématiques.

Le troisième groupe, à mon sens majoritaire est composé d’une population ayant trouvé dans ces colonies des opportunités pour acquérir des habitations confortables et très abordables sur le plan financier avec une qualité de vie et des infrastructures de haut niveau. Les gouvernements de droite, qui ont majoritairement régi le pays depuis la fin des années 70, ont fortement encouragé, jusqu’à ce jour, ces populations à venir s’installer dans ces territoires.

On évalue aujourd’hui à plus de 500 000 le nombre d’habitants installés dans cette région. Ils ont développé depuis plus de 50 ans une culture et un comportement collectif qui leur est propre et très souvent en rupture avec le reste de la société israélienne. Ils sont aujourd’hui considérés comme le principal obstacle à l’éventuelle solution à deux États, soutenue par une grande partie de la société israélienne et par l’ensemble des démocraties internationales. Leur proximité, très souvent hostile, avec la population occupée palestinienne, majoritaire dans cette région, est très régulièrement extrêmement tendue, atteignant parfois des sommets de violence de part et d’autre des populations.

1982 – Premier assassinat politique autour de la Guerre du Liban

Pour la première fois de son histoire, l’Etat d’Israël décide d’engager une guerre sans que le pays ne soit en situation de survie, en juin 1982.

Pour rappel, les précédentes guerres qu’Israël a dû mener seule pour sauvegarder son existence furent la Guerre d’Indépendance, en 48, la Guerre des Six jours en 67 et la Guerre de Kippour en 73.

Menachem Begin avec Ariel Sharon, Jérusalem, août 1977.
(Crédit : Saar Yaacov/GPO)

Cette Guerre du Liban, baptisée de façon cynique Paix en Galilée par les gouvernants de l’époque, sous l’égide de Menahem Begin et Ariel Sharon comme ministre de la Défense, fut déclenchée suite à plusieurs incursions terroristes palestiniennes dans le nord du pays et dont le paroxysme fut atteint lors de l’assassinat de l’ambassadeur israélien Argov à Londres par un groupuscule palestinien.

Les forces armées palestiniennes s’étaient installées au Liban après avoir été vigoureusement chassées de Cisjordanie à la fois par les armées jordanienne et israélienne.

Cette Guerre du Liban, engagée par Israël visait à détruire les infrastructures et les arsenaux d’armes militaires accumulés par les combattants palestiniens depuis près de dix ans dans ce pays.

Israël mettra à contribution toute sa force de frappe pour annihiler totalement les forces armées palestiniennes, alors que le Liban traversait à cette même époque une terrible guerre civile qui avait débuté dans les années 70.

Dans ce contexte, les milices phalangistes chrétiennes libanaises, très impliquées dans cette guerre civile, considérait cette intervention israélienne à l’encontre des Palestiniens comme une véritable aubaine.

A un point tel que le terrible massacre de milliers d’habitants des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Shatila fut perpétré par ces même Phalangistes sans qu’Israël n’intervienne.

L’opposition à cette guerre, s’exprimait en Israël dès les premiers jours de l’incursion israélienne au Liban. Mais l’épisode du massacre sans discernement de toute une population, femmes et enfants compris, dans les camps de réfugiés palestiniens, a mobilisé plus de 400 000 Israéliens sur la Place des Rois d’Israël à Tel Aviv (alors que le pays comptait moins 5 millions d’habitants à cette époque). On assistait pour la première fois à une confrontation entre Israéliens en temps de guerre.

Et l’irréparable advint lors d’une des nombreuses manifestations contre cette guerre où un jeune manifestant, Emil Grunzweig fut fauché par une attaque à la grenade sur la foule et menée par un activiste d’extrême droite.

Yona Avrushmi, au centre, qui a tué le manifestant Emil Grunzweig à l’aide d’une grenade jetée dans la foule lors d’un rassemblement pour la paix en 1983, le jour de sa libération de prison, le 26 janvier 2011 (Crédit : Flash90)

Cet évènement sera à l’origine du fameux mouvement Shalom Akhshav, La Paix Maintenant, qui est mobilisée jusqu’à ce jour pour arriver à une solution à deux états entre Israël et la Palestine.

4 novembre 1995 – L’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin

Cet événement tragique a marqué un tournant dans l’histoire politique d’Israël et a eu des conséquences significatives sur le processus de paix israélo-palestinien.

Rabin fut, avec Shimon Peres, l’artisan du processus de paix d’Oslo avec les Palestiniens qui avait pour objectif d’aboutir à une paix définitive avec les voisins Palestiniens. Cela impliquait forcément d’énormes concessions que l’Etat d’Israël, sous la gouvernance d’Yitzhak Rabin, était prêt à faire pour y aboutir.

Mais une opposition virulente à la poursuite de ce processus s’exprimait outrageusement, avec des accusations de trahison et des pancartes représentant Rabin en uniforme nazi. Les partisans de Rabin restaient pourtant majoritaires dans le pays et lors d’un rassemblement de masse pour soutenir la poursuite des pourparlers avec les Palestiniens, Rabin fut assassiné.

L’auteur de l’attentat, Yigal Amir, est un extrémiste juif d’extrême droite issu des mouvements juifs messianiques, installés jusqu’à ce jour dans des colonies au cœur des territoires occupés, qui ont largement contribué au climat de haine et d’incitation à la violence qui accompagnait alors le déroulé du processus de paix.

Le Premier ministre Yitzhak Rabin à Washington, DC, le 16 novembre 1993 (Crédit : AP Photo / Charles Tasnadi)

L’assassinat de Rabin a eu un impact radical sur le processus de paix qui fut finalement totalement abandonné lors de la deuxième Intifada (« soulèvement » en arabe) des Palestiniens en 2000.

En conclusion, ces quatre dates que j’ai définies comme étant des moments clé pour tenter de comprendre ce qui ce passe aujourd’hui en Israël et dont nous sommes les témoins médusés, sont bien sûr parfaitement arbitraires. Mais elles ont en commun d’avoir, à plusieurs reprises par le passé, révélé les failles d’une société israélienne de plus en plus polarisée.

Lors de l’étonnante victoire éclair de la Guerre des Six jours, en juin 1967, alors que le peuple d’Israël célébrait cet incroyable moment de grâce, un homme, issu de ce même peuple, décida de s’imposer deux jours de jeûne, tant cette victoire lui est apparue comme une véritable catastrophe pour l’avenir d’Israël. Son nom : Yshayahou Leibovich. Considéré comme une des sommités intellectuelles de ce pays, Juif pratiquant, qui a vu, au premier jour de l’occupation du peuple palestinien par son pays, la fin de la gouvernance démocratique, qui était pour lui la seule garantie pour que ce peuple profondément déchiré pour moult raisons ait une chance de coexister. Jusqu’à son dernier souffle, en 1991, il s’est évertué à mettre en garde des effets pervers de l’occupation de millions de gens, tout en nous prétendant parfaitement démocrates, sans que nul n’y perçoive la moindre contradiction.

Me gardant d’un excès d’optimisme, au regard de l’inquiétante dérive que traverse Israël, il me semble cependant que l’incroyable mobilisation de centaines de milliers d’Israéliens depuis plus de trente semaines d’affilées pour protester contre les tentatives de l’actuel gouvernement d’affaiblir dangereusement les contre-pouvoirs indispensables à tous régimes démocratiques, aura pour effet de repenser à de véritables solutions aux obstacles qui paralysent la société israélienne aujourd’hui en initiant la mise en place d’une véritable constitution, le retour à la recherche active d’une solution viable avec pour objectif de mettre un terme à cette occupation destructrice de tout un peuple et une approche politique véritablement orientée vers la réduction de l’immense et grandissant fossé social entre les populations du pays qui a atteint aujourd’hui des proportions vertigineuses.

à propos de l'auteur
Edgar est franco-israélien, ayant vécu plus de trente années en Israël, il est co-fondateur de l'association Bait Ham à Jérusalem en 1981. Par ailleurs, il est vice-Président de l'AJMF (Amitiés judéo-musulmane de France à Paris). Auteur d'un livre qui sortira fin octobre dont le titre est: Les amandiers en Fleur de Jérusalem, il est aussi co-fondateur de l'Association Carrefour des monde à Paris.
Comments