Le Canada et les juifs syriens

Des Juifs syriens célèbrent la fête de Pessah à la synagogue al-Firenj dans le centre de Damas, en Syrie, le 20 avril 2018. (AP Photo/Bassem Tellawi, File)
Des Juifs syriens célèbrent la fête de Pessah à la synagogue al-Firenj dans le centre de Damas, en Syrie, le 20 avril 2018. (AP Photo/Bassem Tellawi, File)

Le décès au printemps 2021 du dernier grand rabbin de Damas, Avraham Hamra, à Holon en Israël, m’a personnellement touché. C’était un homme exceptionnel et particulièrement attachant.

Lorsque j’étais en poste à l’Ambassade du Canada en Syrie, au début des années ´90, j’ai eu l’honneur de le côtoyer dans le cadre de mon travail diplomatique.

Le contexte était très difficile pour sa communauté, discriminée, brimée et interdite de quitter le pays. Mais lui et son épouse étaient toujours souriants, chaleureux et attentionnés.

Le grand rabbin Hamra devait à la fois être leader religieux et spirituel, tout en jouant les équilibristes avec le régime dictatorial d’Hafez el-Assad. Une tâche complexe. Il y avait encore près de 4500 juifs surtout à Damas mais aussi Alep et Qamishli dans le nord-est du pays.

Plusieurs organisations juives ont été actives pour notamment aider financièrement les juifs syriens au cours de ces années, pour soulever des cas de détentions et finalement obtenir qu’ils puissent partir. En maintenant la pression sur leurs gouvernements nationaux.

C’est Mme Judy Feld Carr de Toronto qui fut l’instigatrice et la maitre-d’oeuvre de cette campagne, du côté canadien. Elle y a consacré plus de 25 ans de sa vie. C’était une cause qu’elle défendait sans relâche.

Déterminée et volontaire, elle a réussi à convaincre le gouvernement canadien de s’y impliquer de manière concrète. Elle a d’ailleurs été décorée de l’Ordre du Canada et de la médaille présidentielle israélienne.

On ignore généralement le rôle que les diplomates canadiens ont joué pour faciliter le départ des juifs de Syrie.

De 1990 à 1993 à Damas, j’ai fait la liaison avec le grand rabbin et d’autres contacts pour m’enquérir de la situation de la communauté, de ceux qui étaient emprisonnés et souvent torturés pour avoir tenter de quitter la Syrie. Ou simplement venir saluer, avant leur départ, ceux qui réussissaient à partir.

Les rencontres secrètes avec mes interlocuteurs se tenaient en soirée ou même la nuit.

Je recueillais de l’information et passais des messages de la part de Mme Feld Carr.

C’était parfois très émouvant. Pas toujours facile de tout abandonner derrière pour un avenir inconnu à l’étranger. Beaucoup des juifs plus âgés ne parlaient que l’arabe avec des rudiments d’hébreu ou de français. J’en ai vu pleurer.

Je risquais d’être arrêté et éventuellement expulsé du pays.

Que je sache nous étions la seule ambassade qui prenait de tels risques.

Quand je me rendais dans le quartier juif du vieux Damas, j’étais suivi dans ses ruelles mal éclairées, par des agents de la mukhabarat, les services de sécurité syriens.

Mes conversations téléphoniques étaient écoutées. J’avais donc dû développer un langage codé avec mon interface aux Affaires étrangères à Ottawa.

Les services secrets syriens n’étaient pas très subtils. Quand je quittais le domicile du grand rabbin, un coup de sifflet se faisait entendre. C’était pour signaler que la filature pouvait reprendre.

Un jour alors que je parlais en français au téléphone avec un collègue, celui qui nous écoutait était intervenu au milieu de la conversation pour nous demander de parler en anglais pour comprendre ce que nous nous disions !

Le service d’immigration canadien a facilité l’obtention de visas pour des juifs syriens.

Un diplomate retournant au Canada a exfiltré un livre religieux inestimable, caché dans son porte-documents.

Au plan officiel, l’Ambassadeur du Canada effectuait régulièrement des démarches auprès des autorités syriennes sur le sort de la communauté juive de Syrie.

Elles se heurtaient à un mur d’intransigeance mais ses efforts et ceux d’autres pays ont finalement fait reculer le régime dans des cas de détention et pour obtenir le droit au départ.

En mars 1995, après que les derniers juifs syriens eurent quitté le pays, une ultime cérémonie de Shabbat Zachor pour les juifs syriens se déroula à la Synagogue Beth Tzedec de Toronto.

On y a alors salué le rôle que le gouvernement du Canada avait joué pour cette fin heureuse, particulièrement celui de ses représentants directement impliqués sur le terrain et à Ottawa.

La veille, à l’occasion d’un dîner de shabbat offert par Mme Feld Carr, l’ambassadeur israélien au Canada , S.E Itzhak Shelef, avait lu un message du Premier ministre Rabin pour remercier Mme Feld Carr ainsi que les diplomates canadiens présents. Le grand rabbin Hamra et son épouse y assistaient.

Cette période de ma carrière m’aura beaucoup marqué. Ce que la petite équipe de diplomates canadiens a accompli, il y a une trentaine d’années maintenant, est assez unique.

Cela méritait d’être signalé, je crois. D’autant plus que les témoins de cette époque ne sont plus très nombreux.

Ces souvenirs confirment aussi la traditionnelle politique canadienne de défense des droits de la personne.

Quand je pense à ce qui serait arrivé aux juifs de Syrie pendant la récente guerre civile là-bas, s’ils y étaient encore, je me dis que nous avons probablement sauvé bien des vies et évité beaucoup de souffrances.

à propos de l'auteur
François LaRochelle est un ancien diplomate canadien. Il a été en poste en Egypte (deux fois), à Boston, en Syrie ainsi qu’à Vienne (OSCE) et Bruxelles. A la retraite, il habite à Montréal.
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